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L'enfant et l'argent*
L'argent est aujourd'hui plus que jamais la clé - sinon du bonheur comme se plaît à le rappeler un dicton - du moins du bien-être, de la culture et des plaisirs. Or tout cela est décuplé par rapport à ce que nous avons connu; dès lors pourquoi l'intérêt de l'enfant et surtout de l'adolescent pour l'argent ne serait-il pour lui aussi décuplé ?
L'idée que l'enfant se fait de l'argent passe bien entendu par une série de stades que nous allons préciser. Cette évolution dépend tellement de facteurs personnels de maturité et aussi d'influences du milieu social et plus spécialement familial, qu'il serait arbitraire de vouloir situer ces stades par rapport à des âges précis. Pierrette attendra dix ans pour jouer à la marchande et Janine à sept ans y joue déjà fort correctement.
Avant trois ou quatre ans, avant « l'âge de la maternelle », l'argent ne suscite chez l'enfant aucun intérêt particulier : c'est, sans plus, un objet différent des autres certes, qui roule et qui brille, qui fait entendre un bruit particulier, mais il n'a en définitive qu'une valeur de jeu.
Bientôt pourtant, à travers les réactions de son entourage, l'enfant se rend compte que l'argent n'est pas un objet comme les autres : les adultes, en effet, attachent une importance toute particulière aux pièces et surtout aux billets qu'ils manipulent avec précaution et conservent dans des objets spéciaux qu'ils portent sur eux et qu'ils surveillent attentivement.
On lui prête bien à la rigueur quelques pièces inférieures pour jouer mais une interdiction formelle de « toucher » pèse sur les autres.
Et voici la maman qui fait ses commissions, poussant son bambin dans une voiture ou le traînant par la main. Chaque jour les mêmes gestes s'accomplissent comme une sorte de rite. Chez les commerçants l'enfant voit déposer dans le sac à provisions de sa mère, toutes sortes de choses qui se mangent, et sa mère en échange remet de l'argent qu'elle sort de son porte-monnaie.
A quoi tout cela peut-il bien correspondre? Les questions vont jaillir :« Pourquoi tu donnes des sous au monsieur ? » L'enfant découvre, sans comprendre profondément les choses, cela va de soi, que l'argent est un moyen d'obtenir la nourriture, de satisfaire, en un mot, nos besoins.
Ce n'est qu'une première étape qui est en effet rapidement dépassée. Désire-t-il un jouet, ou bien veut-il monter sur les balançoires ou assister à guignol: il y a toujours une grande personne qui demande de l'argent: le plaisir se paie aussi.
L'argent devient donc rapidement pour l'enfant, le bien précieux qu'il est pour l'adulte, en tant que moyen de s'assurer le nécessaire et de s'accorder des plaisirs, de satisfaire les instincts primordiaux.
A ce moment; vers cinq-six ans, pourront apparaître les premiers « vols » d'argent. Il faut bien se garder de les prendre au sérieux et de dramatiser. L'enfant n'a pas en effet la notion de la valeur des pièces ou des billets dont il s'est emparé: Pierre prendra un billet de 5000 francs dans le sac de sa mère pour aller s'acheter du chewing-gum ; ou bien il ira avec une pièce de dix francs acheter une petite auto qui vaut cent ou deux cents francs.
Il ne faut pas dramatiser, ne pas traiter l'enfant de voleur, ne pas voir là un signe inquiétant pour son avenir moral; il n'a pas volé au sens strict du mot, il a voulu se servir, pour son plaisir certes, de cette chose quasi-magique qui permet, un peu comme le coup de baguette des contes de fées, d'obtenir tout ce qu'on veut. Il n'a pas eu l'intention de prendre quelque chose qui ne lui appartenait pas, comme il pourrait le faire plus tard, réalisant un vol authentique ou un vol de compensation ; son sentiment de culpabilité s'expliquera tout simplement par le fait qu'il a touché à ce qu'il savait ne pas devoir toucher.
Les objets dans les échanges que font si souvent les enfants, n'ont d'abord d'autre valeur que celle que leur donne leur désir de les posséder; ils prennent ensuite une valeur monétaire, à peu près égale pour tous, pour les objets usuels du moins, à tel point qu'on verra des enfants de huit ans refuser d'acheter à un camarade un objet parce qu'il est trop cher.
On n'en est plus au stade du « je te donne mon crayon et tu me donnes ton canif » ou bien « tu me donnes deux billes et je te donne mon stylo-mine », mais on vend à l'un et l'on achète à l'autre avec l'argent comme intermédiaire.
C'est aussi la période, de six à huit-neuf ans, où l'on joue à la marchande avec des bouts de papier qui servent de billets de banque et de pièces de monnaie. On assiste à des dialogues de ce genre : « Je voudrais une botte de poireaux, Madame. » - « C'est dix francs. » - « Oh ! c'est trop cher, je n'en veux pas. » La notion exacte de la botte de poireaux n'est pas acquise, mais la notion du « trop cher ».
Pourtant une question le préoccupe encore, celle des sources de l'argent: « D'où vient-il ton argent? » ou bien « qui est-ce qui te le donne ton argent? » Et la maman répondra, selon le cas, qu'elle le gagne, ou bien que c'est le papa ou tous les deux qui le gagnent.
On en viendra donc à cette notion que c'est le travail qui procure l'argent et que c'est donc lui en définitive qui garantit la subsistance, le confort et les plaisirs. Et ce n'est pas une découverte sans importance. Cette notion fondamentale s'est considérablement dégradée dans l'esprit d'un certain nombre d'adolescents refusant de faire leur le « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » de la Genèse.
Mais pour les enfants et pour la majorité des adolescents « la source » normale de l'argent, celle qui est valable pour les adultes, et qui, à cause de cela, prend toute son importance, c'est le travail.
Au départ, l'enfant comprend mal les liens qui existent entre le travail, service rendu, et le salaire qu'il mérite ; le travail n'a pas pour lui, comme il faudrait qu'il l'ait pour qu'il le comprenne, la réalité matérielle d'un objet qui a un prix; il faut attendre qu'il soit capable de généraliser la notion de valeur à des actes humains - actes humains qui dans certains cas n'aboutiront même pas à la création d'objet - pour que, ce qui n'est d'abord qu'une affirmation acceptée des adultes, devienne une notion intégrée.
C'est ainsi que certaines notions fondamentales qui nous paraissent fort simples, ou même aller d'elles-mêmes, sont très ardues pour de jeunes intelligences même éveillées.
La question de « L'enfant et l'argent » pose bien des problèmes en éducation. Il serait intéressant que nos lecteurs qui ont fait des expériences ou des remarques à ce sujet nous les communiquent.
Nous les ferons paraître dans une rubrique « Correspondance », rubrique réclamée par plusieurs abonnés. Nous sommes certains d'intéresser d'autres lecteurs et de faire bénéficier les uns des expériences des autres.
* Causerie prononcée par le Dr Paul Le MOAL au cours de l'« Heure de culture française ». (Emission de la Radio-Télévision française.)
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