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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
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Chacun se défend

Or, tout jugement que je porte sur un homme, même si je me garde de le lui dire, même si je le cache bien secrètement dans mon coeur, même si je n'en suis qu'à peine ou pas du tout conscient moi-même, creuse entre lui et moi un fossé infranchissable et m'empêche irrémédiablement de lui apporter une aide efficace. Par mon jugement, je l'enfonce dans ses fautes, tout au contraire de l'en délivrer.
Je ne vise pas ici ces franches explications au cours desquelles deux adversaires, deux époux, deux amis s'expriment mutuellement leurs griefs. Si orageux et si douloureux que puisse être ce déballage de reproches accumulés, il est nécessaire et salutaire. C'est un acte de loyauté. C'est le prix d'une paix véritable, la condition d'un vrai pardon mutuel, d'une renaissance de la confiance réciproque. Il n'est de conflit plus malsain que ceux qui couvent secrètement, dans la rumination mentale, sous le couvert d'une courtoisie ou d'une amitié de façade. Voyez la vigueur avec laquelle Jésus-Christ apostrophe les pharisiens ! (Mat. 23.13.36.)
Ce que je conteste ici, c'est une illusion extrêmement répandue : qu'on puisse aider les hommes en dénonçant leurs fautes, même sans qu'ils nous le demandent. Nous retombons tous, à tout moment et en toute bonne foi, dans cette erreur et d'autant plus que nous avons un plus haut idéal moral, plus de zèle à aider les autres. Nous sommes persuadés de n'agir que pour leur bien, par amour pour eux : c'est parce que nous les aimons que nous avons l'ambition de les voir parfaits, que nous souffrons de leurs imperfections et les exhortons à les corriger.
En réalité, nous avons toujours l'intuition confuse de faire fausse route. Nous avons besoin de nous rassurer nous-mêmes. Cette critique envers autrui, nous la qualifions avantageusement de « constructive » pour la justifier. Nous disons : « Je ne te juge pas, mais… » Et tout ce qui suit le « mais », dément bel et bien ce préambule bienveillant. Nous cherchons à nous persuader qu'en dénonçant les fautes d'un homme nous allons le conduire à rentrer en lui-même, à reconnaître sa culpabilité et à redresser sa conduite.
Quelle utopie ! C'est tout le contraire qui se produit ! Tout homme, sous le coup d'une accusation, a un réflexe de défense, de justification de soi. La réponse à l'accusation jaillit aussitôt dans son esprit. Les arguments surgissent en flot, ils se pressent dans sa pensée et ne laissent aucune place à une humiliation et à une confession de ses fautes. Il a mille raisons valables de se disculper. On l'accuse de lâcheté : toutes les circonstances de sa vie où il a fait preuve de courage remontent en foule de sa mémoire. On l'accuse de mensonge : c'est le souvenir des mensonges d'autrui qui l'assaille ; il se juge lui-même, tout au contraire, trop franc ; et les vrais responsables, ce sont ceux qui, par leur comportement injuste à son égard, l'ont acculé à mentir.
Telle est, du moins, la réaction d'un homme normal. Celui qui, sous le choc d'un reproche, baisse aussitôt pavillon et accepte sans discussion le verdict, apparaît comme un malade. Il est en proie à un refoulement de son instinct de défense. Sa conduite est de mauvaise augure. Une repentance trop facile n'est pas une repentance, mais une capitulation. Ses perpétuels mea culpa ne porteront aucun fruit vivant, car ils sont commandés par un mécanisme névrotique et non par un authentique mouvement de l'esprit. Ils sont une défaite et non une victoire.
Bien sûr, de braves gens pourront s'y tromper, et loueront son humilité. Si ce sont ses parents, ils se féliciteront d'avoir un enfant si soumis et le donneront en exemple à ses frères et soeurs rebelles. Il pourra s'y tromper lui-même et prendra pour une haute vertu ce qui n'est qu'une paralysie de ses énergies psychiques. La véritable repentance ne surgit pas si vite. Elle n'a pas ce caractère automatique d'un déterminisme psychologique. On n'y parvient qu'après un long combat, après une tumultueuse défense. On n'y parvient, surtout, que lorsque la conviction de péché surgit du dedans et non du dehors, qu'elle monte du plus profond de nous-mêmes, du dialogue intime avec Dieu, de l'action du Saint-Esprit, et non des jugements des hommes.
… Tout jugement est destructeur. C'est probablement pour cela que nous avons tous si peur du jugement des hommes. Comme pour toutes les autres peurs, il s'agit d'une manifestation de l'instinct de conservation. Nous nous défendons contre les jugements avec la même énergie que nous mettons à nous défendre contre la faim, le froid ou les bêtes féroces. Car c'est une menace mortelle.

… Ainsi la plus tragique conséquence du jugement que nous portons sur un homme, c'est de lui barrer la route de l'humiliation et de la grâce, c'est précisément de l'enfoncer dans les mécanismes de justification de soi et dans ses fautes au lieu de l'en délivrer. Notre voix couvre pour lui celle de Dieu. Nous le rendons imperméable à cette voix divine qu'on n'entend que dans le silence. Les réponses passionnées que notre jugement déclenche dans son âme y font trop de vacarme.
En réalité, et bien paradoxalement, par notre ardeur à lui démontrer sa faute, et par le réflexe de justification que nous déclenchons ainsi en lui, nous provoquons au contraire chez lui une véritable éclipse du sens moral. Il en vient sincèrement à croire que sa conduite, loin d'être coupable, est plutôt vertueuse, excellente, qu'il eût été précisément, coupable, de se conduire autrement. Dans le dialogue, il n'écoute plus notre voix, mais la sienne propre qui la réfute.
Vous pensez peut-être que j'exagère. Mais je vous invite à ouvrir vos yeux et vos oreilles, à voir et à écouter le monde tel qu'il est. S'il arrive qu'un homme reconnaisse ses torts, c'est dans le silence du recueillement, ou dans l'atmosphère bienveillante d'un tête-à-tête avec quelqu'un qui ne le juge pas. Mais dans le feu des débats qui remplissent l'univers, chacun proclame son bon droit et les torts des autres, l'excellence de sa cause, la pureté de ses intentions, le souci moral qui l'inspire.
… Nous dépouiller de l'esprit de jugement, ce n'est pas du tout fermer les yeux sur les fautes que les hommes commettent, ni les nier, ni appeler bien ce qui est mal.
D'ailleurs personne ne peut se dépouiller de l'esprit du jugement par un effort volontaire. Tant que je suis obsédé par la faute découverte chez un ami, qui m'a choqué et que je lui reproche, je peux me répéter à l'infini :« Je ne veux pas le juger », je le juge quand même. Tandis que l'esprit de jugement tombe tout seul dès l'instant où je prends conscience de mes propres fautes et que j'en parle franchement à mon ami, comme lui me parle de celles qu'il se reproche à lui-même.
… Ainsi l'esprit de jugement peut tomber brusquement et faire place à un esprit de charité, et cela non pas par l'aveu que tout le théorème logique de l'accusation visait à arracher, mais par une toute autre voie. Précisément par l'abandon de ce terrain logique où les accusations se croisaient sans se rencontrer et par la rencontre authentique de personnes, par une ouverture sincère de chacun sur ses véritables problèmes.


Vraie et fausse culpabilité, dernier livre du Dr Paul Tournier, édité par Delachaux & Niestlé, est à la disposition de nos abonnés.









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