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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
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Imagination, mensonge…

Lorsque les enfants sensibles, imaginatifs créent des mythes ou inventent des personnages, c'est avec un tact infini qu'il faudrait intervenir et seulement si cela est nécessaire.

Un fillette de sept ans, pourtant placée entre un frère et une soeur, éprouvait la nostalgie d'avoir « encore un bébé » à la maison. Elle recueillait dans les pharmacies les réclames de produits pour bébés et racontait à chacun que « Maman avait eu des jumeaux ».
Il fallait intervenir, mais comment ? Traiter de sornettes ce désir si féminin ? Punir en accusant de mensonge ? Mieux valait chercher une solution lui permettant de satisfaire cet amour inemployé. Profitant des vacances et du voisinage immédiat d'une pouponnière dont la directrice fit preuve d'une compréhension parfaite, on mit la fillette en stage, trois ou quatre fois par semaine de dix heures à midi pendant deux étés. La toute petite infirmière s'occupa des nourrissons et ne tarda pas à se montrer réellement capable et consciencieuse. Très vite, elle ne parla plus de jumeaux et cessa de s'approvisionner de prospectus dans les pharmacies.
Avec l'entrée à l'école, l'inégalité des conditions humaines devient plus visible et tout est sujet à comparaison. Grande alors la tentation de créer des êtres ou des choses pour l'enfant qui voudrait que sa famille soit aussi « bien » que celle du camarade.
« La voiture de mon père?… C'est une Buick dernier modèle, décapotable, avec des pneus blancs, et la radio,… et.., et… » Tant qu'à inventer, Michel (7 ans) peut bien parer cette auto imaginaire des perfectionnements les plus remarquables.
« Ah ! répondirent les petits camarades, mais alors, pourquoi est-ce qu'on ne te voit jamais dedans ? - C'est parce que ma mère est française et que notre auto reste en France. » Assez content d'avoir trouvé une réplique à ces questions embarrassantes, Michel rentre chez lui. Il est quand même bien ennuyé d'avoir menti, mais peut-on avouer à des enfants que leur père vient chercher chaque jour à l'école dans des DS 19 ou des Fairlines que l'on ne possède même pas de 2 CV. ?
Tracassé par son mensonge, Michel décide de tout raconter à sa maman. C'est une occasion pour elle de lui expliquer certaines conceptions de la vie et au lieu de pousser de grands cris ou de se désoler de ne pouvoir donner à son enfant tout ce qu'il aimerait, elle décide de lui parler comme à un grand garçon.
Le papa de Michel n'a pas de voiture. Pour quelle raison ? Il n'a pas assez d'argent. Il gagne sa vie modestement; il n'a fait aucun héritage, au contraire, il a dû aider une soeur malade. Ce n'est pas qu'il soit moins intelligent qu'un autre, mais il n'a pas eu la possibilité de se faire une meilleure situation. Est-ce que la valeur d'un homme se mesure à l'argent qu'il gagne? Il faut que Michel comprenne bien la différence entre la réussite professionnelle, matérielle qui se voit, qui rend la vie facile, et la valeur morale. Il faut accepter les difficultés d'un coeur courageux et avoir une vie intéressante. Bien des choses sont comme les chanterelles qui se cachent dans des creux moussus: elles valent la peine d'être cherchées.
Enfin Michel devra, quand l'occasion s'en présentera, faire un effort de franchise et dire à ses camarades que la belle Buick si bien décrite était une image de l'auto qu'il aimerait avoir, mais qu'il ne possède pas.
Claude, cinq ans, est une petite fille unique.
« Tu sais, maman, dit-elle un jour en revenant de l'école, la maîtresse nous a demandé ce matin si nous avions des frères et des soeurs. J'ai dit que j'avais un frère. »
Cette affirmation prononcée d'un ton catégorique tombe lourdement sur le coeur de maman.
Claude ne veut pas mentir, mais elle exprime ainsi un désir qu'elle aimerait tant voir devenir réalité. Pourtant il faut bien lui expliquer qu'elle ne doit pas dire une chose « pas vraie » et qu'elle devra rectifier auprès de sa maîtresse.
L'après-midi, très fière, Claude annonça :« J'ai dit à la maîtresse que je n'avais pas de frère, mais que j'avais trois oncles ». Son besoin inassouvi avait trouvé cette compensation.
Avant de punir ou d'humilier celui qui forge une fable, pensons à tous les adultes qui vivent les yeux fixés sur leur entourage et acquièrent parfois des objets superflus ou trop coûteux pour leur niveau de vie afin d'être estimés au plus haut.
Le bonheur de posséder, si agréable, si humain est aussi normal que l'est le refuge dans l'imagination en cas de frustration, à condition que ces sentiments ne soient pas exagérés. Si les fables des petits enfants sont le symptôme de quelque désir ardent, de quelque déception de l'existence communautaire, il sera bon de chercher la solution joyeusement et avec un très grand bon sens. Mais la plupart de ces créations imaginaires passent totalement inaperçues des parents qui ne peuvent donc pas intervenir sinon par leur attitude en face de la vie et la fidélité à leur idéal qui créent le climat familial.

Anne avait dix ans lorsqu'elle raconta à ses amies qu'elle possédait chez elle, un salon. Non pas un salon quelconque, classique, Louis XVI ou moderne, non, mais un salon… chinois.
Quel plaisir de le décrire, d'ajouter à la description maints détails, de multiplier dans cette pièce imaginaire (l'intérieur des parents d'Anne ne comprenait aucun salon, ni chinois, ni d'un autre style) les éventails précieux, les lanternes multicolores, les coussins de soie brillante, les nattes fleuries, les élégants meubles laqués, les bouquets de fleurs exotiques, les bibelots de jade!
Mensonge extravagant, imagination pervertie ? Non, désir immense d'habiter, comme certaines camarades d'Anne, un appartement luxueux.
Son châtiment sera le souci constant que ses interlocutrices apprennent la vérité et ses parents son « mensonge ». Le jour où elle a compris qu'il y a d'autres valeurs que les biens matériels, elle a fait un grand progrès dans la connaissance de la vie et un grand pas vers le bonheur. Anne a maintenant quarante ans. Le salon chinois reste pour elle le symbole des tourments de l'adolescence et aussi celui de son ascension spirituelle.

*

Lisons encore Elisabeth Goudge dans son « domaine enchanté »:
En plus du jardin potager et du jardin de fleurs, il y en avait un troisième à Damerosehay, le jardin abandonné. A l'origine, il n'existait pas, mais Lucilla (la grand'mère) avait fait construire un mur de briques rouges pour le séparer et le garder intact. Maintenant, le mur disparaissait presque complètement sous des touffes de renouée blanche et la grille était cachée par un grand buisson d'églantines, si bien que le jardin abandonné gardait jalousement ses secrets… Les adultes trouvaient Lucilla aussi folle que son jardin, mais les enfants la bénissaient chaque jour de leur vie. Caroline tout spécialement…
Caroline, ainsi que David dans son enfance, était une enfant solitaire. Excepté Lucilla et sa Jill bien-aimée, elle n'estimait pas beaucoup la race humaine ; Grand'mère et Jill étaient si souvent occupées à d'autres besognes, qu'elle ne les voyait pas souvent. Mais cela ne lui déplaisait pas. Pourtant à l'instar de beaucoup de solitaires, elle éprouvait le besoin d'une compagnie, même imaginaire. Il est lassant de se parler à soi-même, mais Caroline avait découvert que, si on ferme les yeux et qu'on s'adresse à quelqu'un, quand on les rouvre, ce quelqu'un est là… Selon elle, ce quelqu'un est vraiment là. Elle oubliait, si elle l'avait jamais réalisé que son propre désir avait un pouvoir créateur… C'est ainsi qu'elle avait fait la connaissance de la dame et du petit garçon.
C'était arrivé l'année précédente, par un jour d'automne comme celui-ci ; Maman était là et Caroline se sentait particulièrement abandonnée… Assise sur la balançoire, de grosses larmes débordant de ses paupières fermées, elle avait ressenti un urgent besoin de tout raconter à quelqu'un et elle avait commencé tout de suite…
A la fin de cette narration, elle avait ouvert les yeux et cru, à première vue que les colchiques à ses pieds s'étaient transformés en un nuage de papillons, parce qu'elle avait un brouillard mauve devant les yeux; mais en regardant mieux elle avait vu une dame dans une ravissante robe mauve, avec une longue jupe qui traînait sur l'herbe.
Tout d'abord elle avait cru voir sa mère, car elle était brune et svelte comme celle-ci ; puis elle s'était aperçue qu'elle ne ressemblait en rien à Nadine. Son visage était plus rond et ses yeux brillaient de manière à faire comprendre que, à l'encontre de Nadine, elle aimait les petites filles tout autant que les petits garçons.
Un petit garçon, vêtu de vert, avec des boucles rousses et une tête beaucoup trop grosse pour son corps, avait jailli de derrière les jupes de la dame et avait fait des grimaces à Caroline. Caroline avait dégringolé de la balançoire pour l'attraper et ils avaient joué ensemble toute la matinée dans le jardin et la dame, assise sur l'herbe, leur souriait…
Elle les avait revus souvent depuis ce jour mais seulement dans le jardin abandonné. Elle pouvait les faire venir les yeux et en leur parlant.
A onze heures, quand Jill lui apporta son lait et ses biscuits, elle la trouva assise sur la balançoire, très grave et les yeux brillants, plus colorée que d'habitude.
- Quelle drôle de gosse ! s'exclama Jill. Tu es contente toute seule ?
Caroline prit son bol de lait et y enfouit son nez. Elle ne daigna pas répondre, mais cligna des yeux par-dessus le bord de sa tasse. Elle ne pouvait pas raconter, même à sa chère Jill, l'histoire du petit garçon, mais elle pouvait lui faire partager sa joie…
Sitôt Jill partie, le petit garçon sortit de derrière le tronc d'arbre et Caroline joua longuement avec lui, tandis que la dame en mauve les regardait avec attendrissement. Subitement, ils disparurent et Caroline se demanda pourquoi, jusqu'à ce qu'elle entendît un coup de sifflet, semblable à celui du merle, mais différent tout de même. C'était le sifflet de David; il l'employait toujours pour signaler son arrivée aux enfants.
Cela leur plaisait beaucoup. David comprenait que les grandes personnes pénétraient comme des intrus dans un monde qui n'était pas le leur et que les enfants ne désiraient pas être surpris inopinément en train de faire quelque chose qu'elles désapprouveraient ou ne comprendraient pas. Il les prévenait toujours de son approche… »

*

L'imagination est un des biens précieux de l'humanité, à condition qu'elle ne soit pas trop la « folle du logis »! N'est-elle pas à la source de la culture, de la science, de l'art ? C'est elle qui précède toute création de l'esprit humain et si parfois elle s'oublie à inventer de petites histoires mensongères qu'il faut combattre, réjouissons-nous de voir fleurir chez nos enfants ce don merveilleux et divin.









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