
|
|
Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
« Coup de feu »
Propos à bâtons rompus
Midi
six heures
Les deux moments névralgiques de la journée. Tout le monde est sur les dents ; chacun a une excellente raison d'être fatigué, indigné ou excité.
Les tout petits sont à bout de résistance ; ils ont faim, ils ont sommeil, rien ne leur réussit plus ; les écoliers rentrent la tête et le coeur gonflés d'émotions diverses dont il faut aussitôt déverser le trop-plein dans les oreilles d'une mère attentive et compréhensive.
«- Maman, maman, j'ai un 5 d'allemand et puis la maîtresse
- Tu me déranges, sors de la cuisine, sinon je vais rater ma sauce. »
Voilà l'enfant déconfit qui s'en va ; toute sa spontanéité lui est renvoyée à la figure; il en veut à sa mère de ne pas l'écouter.
J'ai le souvenir de telles déceptions au cours de mon enfance et de mon adolescence et celle qui couronna le tout fut l'accueil que je reçus quand je rapportai à la maison le bulletin de ma licence. Il m'en est resté une grande amertume que je n'ai pas encore oubliée aujourd'hui, après tant d'années.
Quand j'ai eu des enfants et qu'ils rentraient tout bouillonnants de leurs histoires, j'ai dû faire un effort pour ne pas les éconduire, car j'avais aussi une sauce à réussir! Ce n'est pas facile et il m'a fallu me cramponner à mes souvenirs pour ne pas commettre la même erreur que ma mère.
J'avoue ne pas avoir pu me rendre compte moi-même si au moment du « coup de feu », je suis pour les miens, agréable à voir et à entendre ou au contraire nerveuse et rébarbative. J'ai alors posé la question au principal intéressé : mon mari.
« Le coup de feu? m'a-t-il répondu, pour moi, il n'existe pas. Lorsque j'arrive, je te trouve toujours souriante. » Et pourtant, il y en a toujours un, mais il peut devenir facile et même agréable s'il se passe à coups de sourires et non à coups de nerfs. Tout est peut-être question d'organisation ; minuter sa journée avec soin, en prévoyant suffisamment de temps pour la préparation du repas. Les enfants ont-ils quelque chose d'essentiel à raconter, entraînez-les à la cuisine ; ils se libéreront tout en hachant le persil ou en épluchant les oeufs durs.
Lorsque j'étais jeune fille, j'ai beaucoup admiré la femme d'un pasteur qui avait 7 enfants et 2 ou 3 pensionnaires. Aux environs de midi, elle avait toujours, autour d'elle, au moins la moitié de cet effectif qui arpentait la cuisine en tous sens, humant les odeurs culinaires et parlant avec animation. A cette époque, je m'étonnais que cette femme, par ailleurs si ferme et ordonnée, tolérât cette liberté de comportement qui ne pouvait, à mon point de vue, que la distraire de sa préoccupation essentielle : l'achèvement de l'important repas de cette importante famille.
Depuis que je suis moi-même une mère de famille, je ne m'étonne plus et je comprends mieux à quel point il est nécessaire de toujours « faire passer les gens avant les choses ».
Voici l'heure ; mari et enfants rentrent à la maison apportant l'air de l'extérieur, le reflet de leur travail matinal ou les nouvelles glanées ici ou là. Des discussions s'engagent, se poursuivent dans la cuisine où tout le monde finit par se retrouver. N'est-ce pas la pièce de la maison où l'on se sent le mieux à cet instant? Mieux que dans la salle à manger qui ne deviendra vraiment confortable que lorsque le dîner sera servi et l'ordre de la table quelque peu dérangé.
Ce n'est peut-être pas spécialement facile pour la mère de famille qui termine parfois l'apprêt de son repas avec 3 ou 4 hommes assis ou debout auprès d'elle ; pour avoir un peu d'eau ou une pincée d'épices, c'est une course d'obstacles entre la cuisinière, l'armoire et l'évier. Mais qu'importe ! Tout en s'activant, elle écoute, elle participe aux préoccupations des siens et après une matinée de travaux ménagers ou terre à terre, son horizon s'élargit, elle respire une grande bouffée d'air frais.
Le « coup de feu », chez moi, se passe dans ma tête plutôt que dans mes mains, car je suis obligée d'avoir des aides de maison avec ma grande maisonnée.
Il m'arrive cependant de descendre à la cuisine au moment du coup de feu pour voir si le repas s'annonce bien, comme prévu, et parfois je mets la main à la pâte. Mais j'ai souvent l'impression que je dérange plus que je n'aide la cuisinière et en voyant son visage tendu, je remonte promptement dans ma chambre.
Je songe alors à la grande tablée que je vais avoir à affronter (souvent dix, douze personnes) et je me prépare « in petto » à y faire face. Car il s'agira que l'on trouve le potage désirable et exquis, la viande savoureuse à souhait et devant être appréciée par sa qualité plus que par sa quantité ! En effet, certains de mes jeunes hôtes en engloutiraient bien cinq ou six tranches si on les leur offrait, tandis qu'ils dédaignent les bons légumes que le ciel nous octroie (nous avons un jardin potager) et les féculents, ces derniers à cause de « la ligne », chez les jeunes filles.
Bref, le coup de feu, je le vis plutôt intérieurement et par persuasion silencieuse, et souvent j'arrive à la fin d'un repas, qui s'est bien passé et où les plats ont été suffisamment abondants et les conversations intéressantes et enjouées, avec le sentiment d'avoir gagné une bataille, et gagné aussi le plaisir du moment de détente qui suit le repas, devant une tasse de bon café noir.
CONCLUSION.
A la cadence de la vie actuelle, il semble que nous allons de « coup de feu » en « coup de feu » : « coup de feu » bi-journalier du repas, « coup de feu » des examens, « coup de feu » des mariages, parfois hélas! « coup de feu » des ensevelissements ! Autrement dit, nous nous trouvons périodiquement ou constamment en face de situations qui exigent de nous à la fois notre totale disponibilité, notre maximum de concentration, et une extraordinaire rapidité d'action. Comment concilier ces contraires. D'abord en ayant dès le début de notre vie conjugale établi une échelle des valeurs. Il faut sacrifier quelque chose, c'est évident ; mais il ne faut pas que, chaque jour, nous devions reposer la question et refaire un choix (c'est trop fatigant et cela perd du temps!). Cette échelle n'est pas la même pour tout le monde ; à chacune d'établir la sienne.
Secondement, en décidant que nous ne nous permettons pas d'être énervées ou désarçonnées par de petites choses. Un éléphant s'inquiète-t-il d'une piqûre de moustique ? Est-ce que moi, femme adulte, intelligente, expérimentée, je vais m'agacer parce qu'un bambin crie, ou parce que mon fils tient absolument à me mettre au courant, à la minute, des derniers records du Tour de France ?
Enfin, en faisant tout au long de la journée, provision de sérénité : chaque jour nous voyons quelque chose de beau (une fleur, un nuage, une image) ; chaque jour nous côtoyons des gens aimables ou bons (un conducteur de tram, une vendeuse, une dame inconnue dont le sourire nous fait du bien) ; extrayons de toutes ces rencontres la sérénité qu'elles contiennent
et employons-la au moment des coups de feu.
Et par-dessus ou avant tout cela, organisons notre vie ! Mais cela c'est un problème à part.
|
|
|