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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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L'opportunisme

Bien dangereuse, cette maxime: Qui veut la fin veut les moyens ! Bien contestable aussi du point de vue moral, mais ceci, n'en parlons même pas ! Quoi qu'il en soit, beaucoup de parents semblent la pratiquer avec une remarquable inconscience.
Pour obtenir ce que l'on veut de l'enfant, tous les moyens sont donc bons. Si le résultat est atteint, n'est-ce pas la preuve qu'on était dans le vrai? Le tout-petit entend parler du Père Fouettard, de Croquemitaine, des méchants loups, des rats jaunes, etc., bref, son univers se meuble de monstres au milieu desquels, il est prié de vivre avec sérénité ? Après cela, on s'étonne: « Comme il est nerveux ce petit… Il a des cauchemars la nuit… Il crie, il pleure pour un rien !…» Et les mêmes personnes de proclamer d'un air triomphant : « Il suffit que je le menace de la vilaine sorcière qui prend les petits enfants, pour qu'il obéisse au doigt et à l'oeil ! ». Et l'on en rit d'aise !
On reproche aux enfants de mentir, à un âge où ils savent encore à peine distinguer la réalité de la fiction. Mais il est effrayant de voir comme les adultes peuvent mentir aux enfants, sans même s'en rendre compte et par simple opportunisme !
« N'ouvre pas ce tiroir, il y a dedans une bête qui te mordrait les doigts. » - « N'approche pas de ce bassin, il est si profond qu'on n'en a jamais atteint le fond : celui qui y tomberait, ne reparaîtrait jamais à la surface. »
Un jour, une brave grand-mère disait dans la rue à son petit-fils, en lui montrant un agent de police : « Tu vois ce monsieur: Si tu n'obéis pas, il te prendra et te conduira en prison. » Plus raisonnable, l'agent intervint, mais ce fut pour sermonner la grand-mère: « Pourquoi lui dites-vous des choses pareilles, Madame, nous sommes là au contraire, pour protéger les enfants. Si jamais le vôtre se perdait, c'est à l'un de nous qu'il devrait s'adresser pour être ramené chez lui. Comment osera-t-il le faire à présent, si vous lui mettez dans la tête que nous sommes prêts à le prendre pour le mettre en prison? ». Embarrassée, la vieille dame grommela que le petit garçon savait bien que c'était pour rire, mais que justement, c'étaient les grands-parents de l'autre famille qui avaient l'habitude de lui faire des menaces stupides… (ce qui était en dehors de la question!).
L'opportunisme ne se manifeste pas seulement de cette façon : il n'exploite pas toujours la peur, mais ce qu'il fait presque toujours, c'est de déformer la vérité, quelquefois d'ailleurs avec les meilleures intentions du monde ! Si l'on pense que la santé des jeunes exige qu'ils se couchent de bonne heure, dès 8 heures et demie, on leur dira qu'il est 9 heures. Que n'inventera-t-on pas pour éviter des discussions ou pour donner plus de force à des arguments, que sans doute, l'on croit justes ? Mais l'enfant, lui, qu'en pensera-t-il s'il découvre la vérité ? Et comment l'empêcher de retourner contre l'adulte les mêmes armes ?
Pour le faire tenir tranquille ou pour se préserver soi-même de sa turbulence, la mère de famille se sert de sa migraine chronique qu'elle exagère, si même elle ne l'invente pas de toutes pièces ! Et quand l'enfant se montre incapable de réfréner malgré cela son agitation naturelle, on lui reproche de manquer de coeur, alors que simplement il n'est peut-être pas tout à fait dupe. Mais, dira-t-on, si la migraine est véritable? Alors, ma foi, les parents devraient se rappeler une histoire qu'il leur est sans doute arrivé souvent de conter à leurs petits: l'histoire de ce farceur qui criait toujours, « Au loup !» pour s'amuser aux dépens des autres et qui ne dérangea plus personne le jour où un vrai loup survint!

Si pour éviter une indigestion, l'on cherche à empêcher le gourmand d'abuser des bonbons, on lui dira trop facilement qu'il n'y en a plus,… quand la boîte est encore presque pleine. Le but poursuivi est respectable, mais le moyen est douteux. C'est en somme le mensonge au service de la vérité ! Mais la vérité ferait bien de se méfier d'un pareil serviteur.

Ces légères entorses qui chaque jour lui sont faites, ne sont, certes, pas bien méchantes. Qui peut se vanter de n'en avoir jamais usé? Mais est-ce une justification suffisante ? Persuadé de son bon droit, l'éducateur opportuniste joue sans nuances sur le clavier de la sensibilité enfantine, utilise des arguments spécieux, des raisonnements sophistiqués, invente des dangers imaginaires, fait feu de tous bois pour la bonne cause… ou pour la cause qu'il estime bonne. Il est à la fois sincère et déloyal: en un mot, il est aussi opportuniste que le plus machiavélique des politiciens, le plus souvent pour « le bien de l'enfant » et quelquefois aussi, sans oser l'avouer, pour sa commodité personnelle. Après tout, il a bien le droit de songer quelquefois à sa commodité personnelle. Pourquoi le camoufler? N'est-ce pas alors qu'il paraîtra dans son tort?

Peut-être est-ce plus simple sur le moment même que de jouer franc jeu avec les enfants ! Il n'empêche que le franc jeu est encore la méthode la plus habile en même temps que la plus honnête. On n'a pas besoin d'être bien vieux pour apprendre à se méfier du « bourrage de crâne »: le seul heureux effet de l'opportunisme des parents, ce serait de développer plus précocement l'esprit critique de leur progéniture. Néanmoins, les effets malheureux l'emportent en général de beaucoup sur cet unique heureux effet ! Car il est grand dommage que l'enfant n'ajoute plus foi aux dires de ses éducateurs, et plus grand dommage encore qu'il apprenne d'eux à mentir pour obtenir ce qu'il désire.









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