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L'exactitude, vertu ou défaut ?

La nature et la vie m'ont fait exact. J'arrive à l'heure dite; je remets un article au journal, un manuscrit à l'éditeur le jour où je les ai promis, je souffre si un contre-temps, indépendant de ma volonté, me met en retard.
Pourquoi suis-je ainsi? Je crois que l'éducation a joué un grand rôle. Enfant, je prenais chaque matin à 6 h. 49 un train qui me conduisait à Rouen où était mon lycée. Un tel dressage crée de fortes habitudes. Adolescent, j'ai travaillé dans l'usine de mon père qui était lui-même d'une ponctualité impeccable et sans indulgence pour les retardataires. Bref, j'ai l'exactitude dans le sang.

Cette vertu (si c'en est une) a ses inconvénients. Le nombre des Inexacts étant beaucoup plus grand que celui des Exacts, j'attends toujours tout le monde. Un haut fonctionnaire me donne rendezvous à onze heures, je suis dans son antichambre dès dix heures et demie, ce qui amuse les huissiers : « Il n'arrive jamais avant onze heures », me disent-ils avec une pitié goguenarde. Bien souvent, il m'est arrivé, ayant été invité à dîner, de pénétrer dans le salon avant les maîtres de la maison qui n'avaient pas achevé de s'habiller.
Cela est surtout vrai en France où une inexactitude réglée s'est établie. En Angleterre, en Suède, dîner à huit heures veut dire huit heures. A Paris, huit heures trente signifie neuf heures moins le quart et même parfois neuf heures. Chacun connaît et admet cette convention, sauf moi. Non que je l'ignore, mais l'horloge intérieure est plus puissante en moi que moi-même et me projette, à l'heure officielle, vers le restaurant où mes hôtes ne m'attendent pas encore.
Autre danger de l'exactitude. Elle confère, à qui la pratique avec rigueur, peu de prestige. Les Inexacts sont environnés d'une « aura » de poésie. « Moi, disent-ils, je suis tellement absorbé par ce que je suis en train de faire que je ne pense jamais à l'heure ». Ils sont si fiers d'être inexacts que certains d'entre eux exagèrent délibérément leurs retards spontanés. Certains hommes, certains couples sont fameux pour leurs retards. C'est une forme de célébrité. Ils le savent et, même si par hasard ils sont prêts, se gardent avec soin de partir à l'heure. Ils seraient déshonorés.

Faire attendre semble un signe de supériorité. Les Exacts sont des esclaves. Les hommes s'habituent aisément à compter sur la ponctualité d'un d'entre eux. « Avec »…, dit-on, aucun danger. Son article sera sur le marbre à l'heure dite. « Ceux qu'un rédacteur en chef doit rappeler à l'ordre par téléphone, encourager, supplier, tiennent plus de place dans son esprit. Il est bien forcé de penser à eux. L'inexactitude devient coquetterie.
« La grande force des femmes, me dit un jour Alain, c'est d'être en retard et d'être absentes ». Certes, le retard est favorable à l'amour. On se dit :« Viendra-t-elle ? Si elle était ici, cette minute serait délicieuse ». On imagine, on cristallise. Serait-elle présente que peut-être elle éveillerait quelque déception ; peut-être une querelle se fût-elle élevée; peut-être l'ennui, assez vite, se mêlerait-il au plaisir. L'absente, en amour, contrairement au proverbe, n'a jamais tort. Stendhal et Proust l'avaient tous deux compris.
Je le comprends aussi, mais je n'y puis rien. Je souffre d'être en retard ; je souffre des retards des autres. Si j'attends une réponse, je m'indigne de la lenteur de mon correspondant. « Il serait pourtant bien facile, me dis-je, de répondre chaque jour aux lettres reçues (dans la mesure où elles méritent une réponse). Oui, c'est facile pour les Exacts. Les Inexacts, eux, laissent monter la pile des lettres non ouvertes jusqu'au jour où il y en a tant qu'ils décident de ne jamais les ouvrir. Anatole France les jetait dans sa baignoire, quand celle-ci était pleine, il la faisait vider sans remords.
Toutefois, les Exacts réussissent mieux quand il s'agit des relations avec le public. Une foule ne tolère pas longtemps les retards. « L'exactitude est la politesse des rois », disait Louis XVIII. Il avait raison. L'inexactitude d'un roi ne tarderait pas à engendrer une solide impopularité. En Angleterre, les cérémonies royales sont minutées avec précision souveraine. Le prestige de la Couronne en est rehaussé. Les Grands ne doivent surprendre ni par des mouvements rapides et inattendus ni par leur lenteur. Il en est de même de tous ceux qui se produisent sur une scène. Une représentation, une conférence qui commencent avec un grand retard trouvent un public irrité qui se sent traité sans respect. Que les spectateurs commencent à applaudir ironiquement des acteurs encore absents et un rideau baissé, il faut être prudent et se hâter. La mer des visages pourrait bientôt devenir houleuse.
Tout compte fait, je préfère être exact. Le mot n'est-il pas synonyme de scrupuleux, de précis, de véridique, de juste? « L'extrême exactitude de cette princesse marquait la délicatesse de sa conscience », écrit Bossuet. J'aime mieux m'en tenir à ce sentiment puisque, de toute manière, et malgré tant d'efforts, je me sens incapable d'être inexact.









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