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A propos de la correspondance
Ecrire une lettre exige toujours un don de soi, c'est pourquoi la correspondance fatigue et même épuise certaines personnes. Pour qu’il n’en soi pas ainsi, il faut se quitter du regard et comtempler par le cĹ“ur celui ou celle à qui l’on écrit. Je crois que ce changement de direction du regard est possible même quand il s’agit d’une lettre d’affaire dont il peut changer la banalité en un contact fugitif mais personnel.
Je me souviens à ce sujet, de l’impression ressentie devant la manière si courtoise dont une dame âgée de ma connaissance commençait toujours ses cartes d’affaires : « Mme X vous envoie ses salutations et vous prie… etc. ». Son salut d’introduction devant certainement déclencher une ambiance de réciprocité chez celui qui la recevait. C’est un détail infime, mais répété et généralisé, il pourrait transformer singulièrement les rapports d’affaires, ne le croyez-vous pas ?
Et qu’en est-il des lettres de famille, les lettres entre parents et enfants en partuculier ?
Je connais un jeune homme peu loquace qui termine toujours ses courts messages à sa famille par ces trois lettres : « A. A. A. ». Questionné un jour sur le secret de ces trois initiales, il répondit : « cela veut dire : Au revoir, amitiés et mon nom. ». C’était un peu court vraiment comme salutation finale !
Tous les parents savent qu’il y a des côtés épineux dans la correspondance entre parents et enfants, c’est pourquoi il est peut-être bon d’en parler à la veille des grandes vacances qui mettent parfois de la distance entre les membres d’une même famille.
Comme mère de cinq enfants, j’ai souvent constaté que j’avais à résister à quelques tentations quand je leur écrivais : ne pas multiplier les recommandations, ne pas répéter plusieurs fois les mêmes injonctions, ne pas leur reprocher leur silence… ou leurs fautes d’ortographe quand ils se donnent la peine d’écrire.
Combien de fois ai-je du me cramponner à ma plume pour l’empêcher de corriger des fautes, comme à l’école, puis de leur renvoyer la lettre sous le prétexte qu’il était indispensable qu’ils apprennent l’ortographe, que mes corrections étaient pour leur bien, etc… Mais ce bienfait ne montait pas à la cheville du mal irrémédiable que je risquais de faire à nos rapports par mes corrections pédantes ; j’en avais heureusement à temps la conviction et j’évitais de commettre cette bévue.
Une autre tentation qui m’assaillait était de lire les lettres de mes enfants à un cercle de la famille, surtout quand elles flattaient ma vanité de mère. Je crains bien de n’y avoir pas toujours résisté et de m’être laissée entraîner parfois par ce penchant irrésistible à faire valoir ma progéniture. Et je suis persuadée que c’était une erreur qui risquait fort, une fois la chose découverte, d’arrêter tout élan personnel, toute confiance et tout abandon chez mon jeune correspondant.
Mais comment établir un véritable dialogue par lettre avec ses enfants ?
En tout cas, il faut être d’une grande souplesse et accepter les formes les plus variées. Ainsi j’ai jadis correspondu avec une petite fille dont les lettres ne disaient pas grand’chose sur elle-même. Mais heureusement qu’il y avait la signature ! et celle-là était toujours accompagnée d’un dessin de fleur éminemment expressif. Si le moral était bon, la petite fleur dressait allégrement sa tige et la corolle s’ouvrait toute grande. Si le moral ou la santé baissait, la tige s’inclinait et la fleur penchait la tête. Un jour je reçu une lettre oĂą la tige de la petite fleur était comme cassée et la fleur fanée. Il fallut agir vite et faire revenir l’enfant dont l’état laissait en effet beaucoup à désirer.
Pour encourager les petits qui peuvent avoir le mal du pays au début d’une séparation, rien ne vaut une visite quotidienne par carte postale relatant une histoire qui se suit, « Balnche neige » par exemple. C’est une petite fille devenue grande qui m’en a parlé ; elle en avait gardé un souvenir inoubliable.
Avec ses grands enfants, surtout les garçons, je crois qu’il est bon d’éviter la sentimentalité, les petits mots tendres qui les agacent. Cependant les filles ne craignent pas quelques expressions de tendresse mais sans « larmoiement », me disait une jeune fille. Ils n’aiment pas les lettre tapées à la machine, ce qui enlève tout cachet personnel. Ils ont soif de nouvelles toutes simples, de détails sur la vie quotidienne, sur les gens qu’ils connaissent, peut-être sur le chat ou le chien, ami du foyer. Ils n’aiment pas qu’on leur demande l’emploi de leur temps ou de leur argent de poche. Ils aiment bien recevoir un conseil à l’occasion mais pas du tout qu’on leur fasse la morale. Ils ont avant tout besoin de sentir que nous avons confiance en eux et qu’on les traite en « grands », dont on accepte une certaine indépendance.
Par-dessus tout, écrivons gaiement, allégrement, sans faire de leur réponse une obligation, surout pas à jour fixe, même si nous nous y astreignons nous-mêmes, car ce « jour fixe » paraîtra une corvée à notre enfant et une insupportable atteinte à son indépendance.
Contentons-nous de courts messages, soit d’eux, soit de nous-mêmes, et soyons présentes par la fréquence de nos messages plutôt que par leur longueur.
Jusqu'ici j'ai plutôt pensé à la mère correspondant avec ses enfants. Cependant le père a aussi son rôle à jouer, quoiqu'il se retranche souvent derrière sa femme sous prétexte qu'elle écrit plus facilement que lui ce genre de lettre. Mais la rareté des lettres du père leur donnera d'autant plus de prix, et je pense que la façon virile et pas du tout sentimentale dont il pourra envisager la séparation aidera ses enfants à l'accepter virilement, eux aussi et à en voir tous les bons côtés.
Et qu'en est-il de la correspondance avec nos enfants adultes qui ont quitté la maison soit pour se marier, soit pour vivre une vie indépendante ?
La réponse s'inscrit d'elle-même dans ce dernier mot : indépendance. Respectons absolument ce besoin légitime d'indépendance et ne leur écrivons que quand nous sentons qu'ils le désirent réellement. Ne revendiquons rien pour nous-mêmes, ne leur faisons jamais un grief de leur silence, ne considérons pas comme un dû leurs attentions, leurs lettres. Alors ils se sentiront libres et nous serons peut-être étonnés de voir qu'à notre détachement répond un plus grand attachement, mais qui s'exprimera à sa manière et en son temps.
Et pour conclure, n'oublions jamais qu'une lettre, une bonne lettre, exige vraiment un don de soi, et si notre coeur dirige la plume, cet impondérable fera de nos lettres une force vivante pour ceux qui les recevront.
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