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Vacances !
Tu as dix, douze ou quinze ans. Tu fais le bonheur et le désespoir de ta mère. Ton vocabulaire n'est pas toujours conforme à celui de l'Académie. En parlant de toi, nous disons, avec un air navré : « Cet enfant est terrible ; ah ! les enfants d'aujourd'hui ! », mais au fond de nous-mêmes nous sourions avec indulgence aux polissons que nous étions. C'est pourquoi je te dédie ces quelques lignes.
Les journalistes, par métier et par patriotisme, ont accoutumé de commenter les grandes fêtes annuelles qui sont source de joies publiques. Ils rappellent les beautés du ler Août, les souvenirs du 14 avril, l'importance du 24 janvier. Mais pour toi, il est une date autrement importante et, malgré le respect que tu as pour ces souvenirs historiques, tu préfères encore, dans l'histoire contemporaine, cette date unique et variable qui ne s'inscrit pas au calendrier, qu'on n'imprime dans aucun manuel, que tu portes gravée dans ton coeur, qui est la plus belle de l'année et qui est pareille à un arc de triomphe, au sommet de la colline par où l'on passe pour entrer dans le pays clair et illimité des vacances.
Messieurs les professeurs, bien sûr, ont proclamé :« On travaillera avec la même ardeur jusqu'au dernier jour ! » Mais il y a par le monde des forces plus puissantes que la volonté des hommes. Rien n'empêchera cette dernière semaine de faire une petite place à la fantaisie. Car il faut dénombrer les lauriers, supputer tes chances d'échec ou de victoire. C'est la semaine où ton intelligence, où ton savoir sont convertis en une multitude de petits signes entassés dans les registres, de chiffres qu'on additionne, qu'on multiplie, qu'on divise. Tu es à la merci d'une soustraction, d'une moyenne, d'un point de faveur.
Ta voix qui mue vaut 7, rien de plus, rien de moins et tu sais déjà que tu n'as rien d'un Caruso.
Ta puissance de mathématicien a été estimée à 6. C'est tout ce qu'on a pu faire pour toi. Désormais ton père sait à quoi s'en tenir. Ta matière grise vaut 6, rien de plus. C'est un verdict. Rien ne t'autorise à croire qu'un jour tu bouleverseras les données de la relativité.
Ta conduite elle-même a été jaugée : ta nervosité, tes maladresses, tes fautes conscientes et inconscientes, ton étourderie, ce petit mensonge, ta langue trop déliée, tout cela est enfermé dans la double cage du chiffre 8. Des esprits pervers insinueront :« ça ne fait rien. Console-toi : les saintes nitouches n'ont jamais rien fait dans la vie ! ». Et cependant ta mère y tenait tant à ce 10 de conduite !
Comme elles sont longues ces dernières journées et, cependant, le sont-elles assez pour tous les adieux que tu dois faire ?
N'oublie aucun de ceux qui ont vécu coude à coude avec toi, ni Veland qui marchait sur les mains pendant que le maître avait le dos tourné, ni Jomin l'audacieux qui fumait au lavabo, ni Claude qui laissait traîner à dessein une boîte de cigarettes vide dans l'escalier, ni Riche qui sifflait très fort derrière le professeur de latin - horresco referens.
Dis adieu à tes livres, à tes textes maculés et cent fois retournés comme un rébus difficile, où l'anxiété a mis une empreinte de pouce.
Quittant la maison, qui ramène à elle ses contrevents pour s'enfermer avec le silence et l'obscurité, tu vas entrer dans la pure lumière des vacances.
Tu es à l'âge où elles sont illimitées. Prends soin de ne pas dénombrer les semaines. Imagine qu'elles ne finissent pas. Plus tard tu n'auras plus de vacances. On te comptera dix ou vingt jours de congé comme on compte des écus. Tu feras un petit trait au crayon sur ton calendrier de poche, mais ce ne seront plus des vacances.
Emerveille-toi puisque les champs sont pour toi des pays, les ruisseaux des fleuves, les taillis des forêts vierges. Retrouve l'anneau de Gygès, continue les travaux d'Hercule, achève le voyage d'Ulysse, avant qu'on ne t'ait raconté que la terre est petite et qu'Ulysse n'a jamais existé.
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