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Jaques-Dalcroze et les petits enfants
En guise d'introduction.
« Je vous connais de vue, Madame, pour vous avoir rencontrée aux leçons de rythmique. Ma fille est un peu apathique et j'ai pensé que cette sorte de gymnastique lui ferait le plus grand bien, la stimulerait, la ferait sortir de sa coquille. Est-ce aussi pour cette raison que vous y amenez votre fille? - Non, bien au contraire. Ma fille, à 5 ans, est un vrai vif argent. Elle ne se tient pas tranquille deux minutes et je redoute la contrainte de l'école, elle lui sera insupportable. J'ai pensé que la rythmique lui inculquerait un certain équilibre, une domination d'elle-même. Ces mouvements dont on doit être maître, liés à la musique, cette indépendance des bras et des jambes qui arrivent à marquer des mesures différentes, toute cette harmonie du corps me semble donner à un enfant une coordination très utile et bienfaisante. J'ai une amie qui a fait suivre les leçons de rythmique à un fils très timide et renfermé. Il ne pouvait pas s'exprimer par des paroles. Peu à peu, comme une plante qui déplie ses feuilles, sans que le professeur n'exerce aucune contrainte, il est arrivé à s'extérioriser dans les exercices. Au début, il restait immobile, regardant les autres. Puis il a suivi les mouvements et a éprouvé comme un soulagement d'avoir une activité en commun avec d'autres enfants.»
C'est donc une libération psychique, une préparation à la vie sociale et organisée de l'école. Toutes sortes de petits défauts de coordination, soit physiques, soit psychiques, fréquents chez les petits enfants, peuvent disparaître avec facilité. Car les enfants aiment leurs leçons. N'est-ce pas là, pour les mères, une merveilleuse réponse à certains problèmes d'éducation? P. H.
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Benjamin Valloton écrivait :« Jaques-Dalcroze est un créateur prodigieux dont la trouvaille fut d'utiliser et d'associer les ressources de l'instinct, de l'intelligence et de la volonté pour créer un équilibre où l'âme trouve autant de satisfaction que le corps… »
La Rythmique Jaques-Dalcroze est une méthode d'éducation par le mouvement corporel qui s'exécute dans le temps et dans l'espace.
C'est en 1903 qu'Emile Jaques-Dalcroze commence les essais de sa méthode par le mouvement avec des élèves de solfège qui n'y étaient nullement préparés.
Dans ses leçons, l'intuition le guide à coup sûr. En effet, il sent et analyse les faiblesses des êtres qui l'approchent. Il recherche les causes de ces faiblesses, puis les moyens de les combattre et de les vaincre. De plus, il communique à chacun la joie de vivre. Cette vie, prodiguée avec abondance par un Maître toujours alerte, est jeune, généreuse, confiante, gaie, pleine d'entrain et de bonne humeur. Ses élèves, tous de tempérament différent, forment déjà à cette époque et sous son influence, un ensemble vivant, humain, uni dans le même esprit.
M. C. L.
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Laissons Jaques-Dalcroze nous parler des «Jardins d'enfants»:
Quel joli mot pour désigner l'école des tout petits enfants et quelle belle dénomination que celle de «jardinier» pour qualifier ceux et celles qui consacrent leurs efforts à cultiver l'enfance en boutons, à faire mûrir les esprits puérils, à éveiller les sens, à faire germer les idées, à faire fleurir en un mot les organismes des petits hommes de demain ! Ce n'est certainement pas facile de diriger vers la vie consciente de petits êtres qui s'ignorent eux-mêmes, ou en tous cas qui ne savent pas exprimer clairement leurs sentiments et leurs vouloirs secrets. Mais quelle joie aussi de pénétrer peu à peu les mystères de la vie enfantine et de découvrir les moyens de former les jeunes consciences, de développer les instincts et d'éveiller les imaginations! C'est bien pourquoi je me suis, sans sortir de ma pédagogie accoutumée, intéressé tout spécialement aux tout petits, à ceux de 4 et 5 ans. Je me suis demandé si, à cet âge si tendre, il était déjà possible de soumettre les bébés à des jeux éducatifs ayant pour but de leur donner de l'assurance dans les réactions utiles, de la résistance aux réactions inutiles, de coordonner leurs mouvements tout en développant leur attention, de les habituer à suivre les rythmes musicaux et à les différencier, grâce à une pratique corporelle renforçant la sensibilité nerveuse et musculaire. Dans les premiers mois, je constatai chez les petits élèves du jardin enfantin de « Rythmique » un effarant désordre et une grande maladresse dans la rythmisation des mouvements. Mais voilà que, vers la fin du premier semestre, un tel changement commença à se produire dans les petits corps et dans les mentalités que les professeurs acquirent la certitude que la « cure de Rythmique » était applicable aux tout petits et qu'elle ne provoque chez eux aucune fatigue, mais développe sûrement leurs aptitudes intellectuelles et physiques en même temps que leur volonté et leur imagination.
Il est bon d'initier les enfants à l'art, à l'âge où ils ne sont pas encore intellectualisés au point d'analyser avant d'observer, d'exprimer avant d'éprouver.
L'harmonisation des mouvements chez l'enfant.
L'harmonisation des mouvements n'est pas naturelle à l'enfant. Il ne sait les enchaîner et les opposer que lorsque la nécessité, l'instinct de self-défense, la pratique de certains actes souvent répétés créent en son esprit et dans son corps d'utiles réactions dont l'éducation traditionnelle néglige de l'instruire. Extraordinairement imaginatif, l'enfant ne peut cependant réaliser ses désirs qu'à moitié (quand il les réalise). Il ne songe pas à mettre d'accord ses vouloirs et ses pouvoirs, et laisse au temps et au hasard le soin de le tirer d'affaire. Et pourtant, il serait si facile, à l'aide d'une foule d'expériences tentées sous la forme de jeux, de l'instruire tout en l'amusant, de le diriger tout en le laissant croire à sa liberté, et de développer ses forces nerveuses et motrices d'une façon nette et sûre, alors que la « bonne Nature » est loin d'exercer sa bonté, dans l'éducation dont on la charge, d'une façon aussi complète que certains parents le croient.
Développement de la sensibilité.
La sensibilité de l'appareil moteur peut être considérablement développée par une culture particulière qui, à la fois, excite les centres nerveux, enrichit la gamme des réflexes, ordonne les vouloirs et harmonise les actions. Il s'agit d'établir dans l'organisme une bienfaisante complicité entre l'énergie motrice et les actes imaginatifs à transformer en réalités. Et aussi de créer des rapports intimes entre cette énergie, la durée et l'espace. Combien d'enfants sont tout à fait inconscients, par exemple, du nombre et de la longueur des pas qu'il faut faire dans un temps donné pour aller d'un endroit à un autre.
Il convient qu'on leur apprenne à s'orienter, à être prêts à marcher en partant du pied gauche ou du droit, à aller vite, à aller lentement, selon que la situation l'exige, à sauter au bon moment, à se lever, à se retourner, à se coucher avec le minimum d'efforts, à scander des chansons par des mouvements à la fois élastiques et forts, à rendre leurs membres lourds et légers, à combiner aussi et à dissocier leurs mouvements, etc…
Cette éducation renforce leur vitalité tout en l'ordonnant et les prépare aux différentes besognes qui les attendent dans la vie. Elle complète leurs dispositions naturelles et est souvent susceptible de les faire naître. Combien d'enfants, par exemple, en apparence indifférents à la musique, ne parviennent-ils pas à l'aimer, une fois soumis à des exercices ayant pour but d'éveiller leur sensibilité générale, de mettre d'accord leurs facultés d'excitation et d'ordination, et de permettre à la musique de faire vibrer le corps enfantin à son unisson, en supprimant les résistances de toute espèce qui empêchent les ondes sonores de le pénétrer. Il est certain que, dans le « Jardin d'enfants », les tout petits ressentiront d'autant plus vite et plus complètement les influences des exercices de Rythmique que leur esprit n'est pas encore, comme plus tard à l'école, encombré de matières diverses.
Importance des expériences physiques.
Plus les expériences physiques de l'enfant seront nombreuses et variées, plus grand aussi sera le nombre de facettes, pour ainsi dire, où se reflétera l'imagination infantile. Le résultat certain sera, outre évidemment le développement physique, un affinement de l'intelligence, si on considère celle-ci comme la faculté de tirer profit de l'expérience. Plus la variété des mouvements rythmiques appris au « Jardin d'enfants » sera grande, et mieux équipé sera l'enfant pour profiter pleinement des leçons à l'école car, au bout du compte, l'objet de l'éducation par le rythme est d'éliminer les habitudes inutiles tout en stimulant celles qui sont utiles et profitables. Notre cerveau, nos muscles, nos nerfs devraient vibrer d'un intense courant vital dont la fonction est de faire communiquer sensations, émotions et idées. La puissance qui émet ce courant et en règle le débit est le rythme, maître du mouvement et du repos, du son et du silence, de la lumière et de l'ombre, de la joie et de la douleur, de la défaite et de la victoire…
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