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Le métier; corvée ou joie ?
Je vais, pour commencer, vous raconter quelques faits qui vous paraîtront invraisemblables et qui pourtant sont vrais et se situent dans un passé relativement récent (avant la première guerre mondiale).
Il s'agit de la manière dont on concevait autrefois, dans certaines familles, la vie pour la plupart des jeunes filles de dix-huit ans et plus.
J'ai connu un père de cinq filles, dont la situation était modeste, car il s'occupait d'oeuvres sociales et religieuses et qui pourtant avait beaucoup de scrupules à autoriser ses filles à apprendre un métier.
Pour la fille aînée cependant, en avant-garde de son époque et de son milieu, il avait accepté qu'elle apprenne la sténographie et la dactylographie. Mais c'était en leçons particulières et à la maison que cette jeune fille avait acquis le métier de secrétaire, car il ne fallait pas songer à lui faire suivre un cours public qui l'aurait trop dépaysée et peut-être exposée à des contacts humains d'une valeur douteuse.
La troisième fille avait un goût prononcé et des aptitudes certaines pour devenir une excellente garde-malade, mais elle avait dû se battre longtemps avant d'obtenir enfin l'autorisation d'entrer dans une école d'infirmières où son coeur d'or et ses capacités innées avaient trouvé un magnifique épanouissement.
Les trois autres filles durent se contenter d'attendre le mariage, en continuant à se cultiver en amateur et aussi en donnant chaque semaine quelques heures de leur temps, comme monitrices, dans des ouvroirs, ou auprès d'enfants déshérités, etc.
Voilà ce que j'appelais « invraisemblable et pourtant vrai », qui est aujourd'hui nettement dépassé, comme beaucoup de traditions, et à une allure accélérée.
En effet, depuis lors les jeunes filles ont connu un véritable affranchissement et c'est une préoccupation inverse qui assaille maintenant leurs parents. Aujourd'hui ceux-ci désirent très généralement que leurs filles apprennent un métier, mais un métier qui leur convienne, et c'est là que le bât blesse et occasionne souvent des frictions entre les générations, car non seulement les parents aimeraient que le travail de leurs enfants, de leurs filles en particulier, soit dans leur ligne d'activité, mais en outre ils trouveraient tout naturel que les enfants qui commencent à gagner leur vie, prennent leur part des dépenses familiales et leur remettent tout ou partie de leur salaire. Or, les jeunes d'aujourd'hui aspirent avant tout à leur indépendance et désirent se tirer d'affaire par leurs propres moyens, et cela le plus vite possible, dans une profession choisie par eux-mêmes et non en fonction de leurs parents.
Et là nous touchons à un autre problème. Le nombre des professions ouvertes aux femmes s'est considérablement agrandi, aussi le scrupule de prendre la place d'une personne qui en aurait vraiment besoin pour vivre n'entre plus en ligne de compte. Mais, dans la variété des professions, il y en a qui sont «tabou» (dans le sens négatif du terme) aux yeux de beaucoup de parents et si leur fille choisit justement une de ces professions « tabou », c'est souvent le drame qui s'installe au foyer.
Parmi ces professions-là, on peut citer celle d'artiste de théâtre ou de cinéma jugée dangereuse par la plupart des gens à cause du milieu fréquenté qui n'a pas bonne presse en général -, et cependant cette profession attire beaucoup de jeunes aujourd'hui.
Celle de musicien, d'écrivain, d'artiste peintre fait peur aux parents, parce qu'on ne gagne pas assez, et que le gain reste toujours précaire.
Il y a aussi les professions libérales (médecins, juristes, etc.) qui flattent la vanité des parents, certes, mais les inquiètent aussi parce qu'il s'agit là de longues et coûteuses études et parce qu'ils pensent qu'une fois la formation professionnelle achevée, leur fille se mariera et ne pratiquera pas. Alors à quoi bon pareille entreprise !
Il y a encore des métiers que certains parents dédaignent un peu et qui sont pourtant parmi les plus utiles à la société. Je pense ici aux carrières de garde-malades, d'assistantes sociales, d'ouvrières tout simplement, en fabrique, en couture, d'aides de maison, de vendeuses de magasin, etc
Vous connaissez peut-être le dicton :« Il n'y a pas de sots métiers, il n'y a que de sottes gens ! » auquel j'aime ajouter cette formule si belle : « J'ai un métier, j'y ajoute le coeur, cela devient une vocation ».
Oui, la valeur de tout ouvrage, de toute situation, dépend presque entièrement de l'esprit qu'on y apporte. C'est cela qu'il faut dire à nos enfants et dont il faut semer la graine dans leur coeur, en manifestant nous-même du respect pour toute personne, quel que soit son gagne-pain ; et en étant largement ouvert à toutes les forces du labeur humain pour en saisir la beauté à travers son utilité.
En allant plus loin et plus haut, il me semble que le seul critère fondamental est celui du service à rendre à la société comme aux individus, et c'est sur ce plan-là que se trouve le vrai bonheur. Si cette idée a peu à peu pénétré dans le coeur de votre enfant, dites-vous bien qu'il est sur le chemin du véritable épanouissement quel que soit le métier choisi, et, n'est-ce pas, c'est bien cela que vous désirez pour lui ?
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