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Serait-il instable?
Nicole s'inquiète; son « François de quatre ans » serait-il instable? Il change d'activités de minute en minute; Andy la rassure:
10 h. 00 -- crayons de couleur
10 h. 05 - demande son jeu de perles à enfiler
10 h. 15 - découpage (après recherche des petits ciseaux)
10 h. 30 - prétend trier une boîte de boutons
10 h. 35 - tour de trottinette (me renverse une cuvette d'amidon)
10 h. 40 - revient aux crayons
10 h. 50 - suce son pouce et veut son ours (maman, berce-moi!)
11 h. 00 - colle sa plasticine sur la moquette du salon.
Une instabilité normale
Nicole referme son agenda d'un geste sec et me regarde si sévèrement que je n'ose hasarder qu'un « Alors? » plein de circonspection.
- Alors?
charmant! Tu ne trouves pas que c'est beaucoup de changements en une heure?
- Ma foi!
Je sais que tu n'oses pas me dire: « mon fils est un instable, il faut le faire soigner! »
- Ma pauvre Nicole!
- Eh oui
ta pauvre Nicole.
Et la voilà au bord des larmes.
Je me fâche.
- C'est invraisemblable. Ton histoire est on ne peut plus normale! - Normale?
Ecoute-moi bien et voyons clair dans tout ceci. Quel âge a ton fils?
- Tu le sais bien, presque quatre ans. Au demeurant, c'est un charmant bonhomme, bien portant, joyeux, endiablé et qui
que
- Nicole, qu'est-ce que l'instabilité?
Ma question coupe court à une sérieuse menace de débordements de pleurs.
- N'est-ce pas une incapacité de fixer son attention?
- Tu y es presque; n'oublie pas cependant de considérer la notion très importante de « durée »; que nous limiterons, dans le cas qui nous occupe, de 5 à 15 minutes. Tu vois que François est dans les normes ! Nicole ouvre des yeux ronds.
- Mais
pourquoi si peu de temps!
- Pour une foule de raisons. D'abord, parce que tout le sollicite à la fois. Ensuite, de par sa nature même, l'enfant n'a pas la faculté de se concentrer longtemps sur un sujet, étant donné son manque de volonté.
- Tu m'étonnes!
pourtant, quand il veut quelque chose !
- Ce dont tu parles n'est que la « volonté caprice », alors que
je pense, moi, à la « volonté raison ».
- Tu prétends donc que l'instabilité est normale chez l'enfant ?
- Oui, si elle évolue. Les froebeliennes pourraient t'en parler, elles qui passent leurs soirées à se torturer les méninges pour fragmenter au mieux un jour de classe!
- Y a-t-il des repères qui permettent de juger de l'évolution de cette instabilité si « normale » ?
- Il y en a suivant l'âge, mais ils varient selon l'intelligence, l'intérêt, le savoir-faire des petits. L'enfant qui se plaît à un jeu le prolonge, et il l'abandonne quand il est au-dessus ou en dessous de ses possibilités.
- Mais l'attention et la volonté ne peuvent-elles s'exercer?
- Voilà, entre autres, à quoi se passent les trois ou quatre années d'école de François car, la volonté, tout comme l'attention, ne sont pas des instincts, ils ne naissent et ne se développent que par l'exercice. A trois ans, ils se limitent à quelques minutes, ils montent au quart d'heure vers cinq ans !
- Quels sont ces exercices?
- A trois ans, c'est surtout l'attention que l'on exerce : petits commandements, signaux, jeux individuels, cubes, etc
A cinq ans, on s'occupe du « social », réalisation d'ensemble, observation, interprétation, exercices de mémoire. L'enfant doit y exercer à la fois attention, mémoire et volonté.
Une instabilité anormale.
- Dis-moi encore, ne peut-il y avoir d'autres raisons à l'instabilité que celles - normales - dont tu me parlais tout à l'heure?
- Certainement, mais alors, on se trouve devant des « cas ». Par exemple, un enfant « surprotégé », pour qui on a toujours tout fait, est incapable de prendre une disposition quelconque pour un travail, ou d'en mener à bien la réalisation.
Inversément, l'enfant qu'on a toujours traité d'incapable, qui n'a jamais reçu de compliments, qui est ligoté de défenses, s'intéresse fort peu à la réussite ou à l'échec de son travail, et n'a donc aucun motif d'être attentif.
La situation familiale agit aussi. L'enfant heureux est un enfant intéressé, curieux du dehors, prospecteur. L'enfant malheureux ne se hasarde plus hors de lui-même parce qu'il n'a trouvé qu'une atmosphère tendue, malsaine, morne, autour de lui.
- L'inattention d'un enfant ne dépend donc pas de lui?
- Parfois, si; un état de santé déficient, troubles de la vue, de la mémoire, de l'ouïe
, une intelligence qui reste au stade « bébé ».
- Et que penser des instables psychologiques?
- Il y a une instabilité psychologique. Celle du « Jean qui pleure ou Jean qui rit » presque simultanément et que toutes les mamans connaissent bien: elle tient de l'impossibilité, pour le jeune enfant de fixer des sentiments ou des images sur l'écran de sa mémoire.
Autre chose est l'apparition de certains états bizarres et variants: une mélancolie que rien ne peut distraire avec, par exemple, des actes brusques et gratuits de cruauté, ou bien une sauvagerie tenace, mais qui fond devant certains plaisirs bien précis (bricolages, peinture etc.), une sensibilité exagérée au bruit ou au silence, l'absence d'intérêt pour des jeux qui, pourtant, devraient plaire, etc.
Pour tous, le secours d'un psychiâtre et sa collaboration avec des parents, des éducateurs attentifs, intelligents peut guérir ou du moins améliorer la situation par une recherche des intérêts de l'enfant, une surveillance médicale suivie, une adaptation de l'emploi du temps. Des écoles spécialisées traitent avec succès ces instables maladifs.
- Oui, tu me rassures! (Nicole m'a souri.) Et François est tout cela?
- Eh bien ! Je crois qu'il n'y a pas de problèmes pour ce bonhomme. Un petit conseil cependant: essaie - le plus possible - de lui faire ranger son jeu dès qu'il en a terminé.
- Tu as raison, il exercera ainsi son attention, sa volonté; et se formera à l'ordre !
- Et puis
il n'aura plus si souvent envie de changer, crois-moi !
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