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L'enfant dans la ville *

L'enfant dont je veux vous parler n'est même pas tout à fait l'enfant de nos villes suisses, qui sont encore de petites villes malgré tout, où l'on est très vite à la campagne et où quelque chose de rural pénètre encore. Je vais vous parler plutôt de l'enfant des villes suisses de demain, de l'enfant d'aujourd'hui dans les vraies grandes villes, peut-être l'enfant des toutes grandes villes américaines, par exemple, que j'ai vues l'année dernière.
Quant à l'âge, j'ai en vue la période où l'enfant commence à circuler seul en ville, c'est-à-dire sept à huit ans, et jusqu'à onze ou douze ans, avant qu'il soit touché par les commencements de l'adolescence.

Harcèlement visuel, rien à toucher

On parle toujours du bruit en ville. Mais pour l'enfant citadin, le bruit est peut-être moins important, malgré tout. Il en a tellement l'habitude qu'avec ce bruit, il finit par reconstituer assez facilement une sorte de bruitage continu, une sorte de silence de mer, de torrent ou de fontaine. Ce qui assaille l'enfant avec une force extrême est surtout, me semble-t-il, visuel. L'enfant est constamment soumis à des chocs visuels. Il voit sans cesse une foule de choses nouvelles, tout autrement qu'à la campagne… Il y a une agression constante dans cet apparaître et ce disparaître perpétuels.
Il y a un sens qui est, je crois, très important pour l'enfant, c'est le toucher. L'enfant aime toucher, il aime prendre en main et tenir en main. Or la ville n'est pas quelque chose qui se touche. La convoitise des mains, chez l'enfant qui vit en ville, est constamment frustrée. Tout est trop rapide, ou trop grand, ou trop dangereux, ou hors d'atteinte, ou défendu. Il n'y a pas de terre sur laquelle on puisse se traîner ; pas d'arbres, pas d'animaux.

Le travail invisible

Le travail des autres est devenu, pour ces enfants des villes, peu visible : il s'accomplit, dirons-nous, dans des lieux où les enfants ne vont guère, et il ne se fait presque jamais sous leurs yeux, à la maison. Aussi, là encore, les enfants ont-ils l'impression que les produits de la technique sont donnés naturellement. Ils ne pensent pas que la route sur laquelle ils avancent a été construite par des hommes, que les mille objets dont ils se servent ont dû être fabriqués et ont coûté de la peine. Ils ont souvent l'impression, à cause de leurs « tâches », qu'ils sont les seuls à avoir véritablement à travailler, alors que les adultes lorsqu'ils rentrent à la maison, ne travaillent plus. Et le travail devient finalement pour eux une sorte de signe de leur infériorité.
D'autre part, bien qu'ils soient gâtés actuellement comme ils ne l'ont jamais été, et qu'ils soient bien plus gâtés en ville qu'à la campagne, ils voient la ville qui s'offre aux adultes, et très tôt leurs désirs sont des désirs d'adultes. Ils désirent des choses par le truchement de leurs parents, puis, très vite, pour eux-mêmes, et ils veulent devenir adultes au plus vite, conduire une voiture …

Accélération et affectivité

La ville, telle que je l'ai décrite, hâche menu l'activité humaine, si bien que finalement il reste une succession d'explosions essentiellement émotives. Je crois que cet état de choses est beaucoup plus important pour l'esprit de l'enfant que de savoir si les livres qu'il lit ou les images qu'il voit sont morales ou non.
Les bruits, les stimulants piétinent l'affectivité. Autre conséquence: en détruisant la capacité d'attention (au sens de l'attention intérieure à une seule chose), ils rendent très difficile la capacité d'écouter. On n'écoute plus, parce que écouter, cela veut dire attendre pour entendre. Or on n'attend pas; comment attendre quand quelque chose se fait entendre tout le temps, quand il arrive quelque chose tout le temps ? L'attente, cet élément indispensable au relief des choses et à l'affectivité, est à peu près abolie. Quand on n'est plus capable d'écouter, les autres ne le sont plus non plus, et pour finir plus personne n'écoute personne. Aux Etats-Unis, j'ai eu l'impression que si tant de gens courent chez le psychiâtre, c'est pour avoir enfin quelqu'un qui les écoute.
Les enfants souffrent beaucoup de n'être pas écoutés et de ne pas s'écouter les uns les autres. Il en résulte très tôt une solitude difficile à supporter. Il me semble que les enfants, dans la ville, ont actuellement peu d'amis.

Suggestions et perspectives

Devant cette situation, il est vain d'aller chercher les remèdes dans une nostalgie du passé, dans le désir du retour en arrière, de quitter la ville, etc. Je crois qu'il faut chercher dans un tout autre sens. Il n'y a pas de recettes, mais peut-être une attitude de l'esprit à laquelle on pourrait réfléchir.
Aujourd'hui, les pédagogues et ceux qui organisent l'éducation ont tendance à partir des nécessités professionnelles. Ils disent : « Il nous faut des cadres, il nous faut des hommes comme ceci, donc nous allons les façonner ». Ou bien ils partent de la masse des connaissances à acquérir et ils disent: « Comment allons-nous faire pour que cette masse de connaissances soit acquise avec le minimum de peine ? » Et ils inventent des méthodes, des manuels, dont certains sont excellents. Mais ce qu'il ne faut pas perdre de vue, ce sont les besoins de l'enfant.
Or, il me semble que là, il y a le besoin d'une certaine répétition, d'un certain rituel de vie. J'entends des habitudes, des formes, des cérémonies, des fêtes, qui, en quelque sorte, reconstituent la monotonie de l'existence ; non pas la monotonie comme mécanisme, mais comme mise en forme vivante. Je crois aussi qu'il ne faut pas trop harceler l'enfant en lui expliquant constamment qu'il a le devoir de participer à tout. On l'a fait en cherchant à lutter contre un certain individualisme, l'égoïsme enfantin, on a essayé d'intégrer l'enfant à des communautés, à des groupes de travail, à des activités philanthropiques. Tout cela est très bien, mais si un enfant a envie de ne pas y aller, de se coucher sur le dos et de regarder en l'air, je suis d'avis qu'il faut, de temps en temps, le laisser tranquille. Je crois même qu'il faut lui ménager des retraites, favoriser, essayer de lui donner non seulement des techniques rapides mais un peu ou même beaucoup de temps pour favoriser une certaine plénitude. Je suis assez pour les orgies, en certains domaines. Par exemple, si un jeudi, un enfant se plonge le matin dans un livre et n'en sort plus, il faudrait essayer de ne pas le déranger jusqu'au soir. Cela ne peut pas se faire toujours bien sûr, mais que l'enfant de temps en temps éprouve ce que c'est que de s'enfoncer longuement dans une chose, à satiété. Au lieu des méthodes actives, qui cherchent à provoquer directement l'initiative ou l'effet, il faudrait inventer des méthodes nouvelles qui situeraient l'enfant dans un temps paresseux et fécond dont il n'a pas eu l'occasion d'acquérir l'habitude.
Pour nous, les perspectives sont tout à fait imprévisibles parce que nous ne savons pas ce que sera la ville de demain. C'est la technique elle-même qui va encore transformer nos conditions de vie. L'alternative ville et non-ville risque de disparaître, et peut-être non parce que la campagne disparaîtra et qu'on n'aura qu'une ville du lac Léman au lac de Constance, mais parce qu'on inventera des types d'ensembles et des types de campagnes encore inconnus.


* Conférence donnée à Lausanne par Mlle Jeanne Hersch, professeur de philosophie à l'Université de Genève, qui a été publiée dans le numéro de janvier 1963 de l'Information au service du travail social, rue de Bourg 8, Lausanne. Les paragraphes suivants sont des extraits de cette intéressante étude.









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