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Voici, maman
J'ai dix ans. Je vais à l'école, parfait, puisque mes parents le souhaitent. J'essaye même de me donner de la peine pour leur faire plaisir. Je les aime tant. Ils m'aiment tout autant
mais je me demande s'ils se donnent toujours assez de peine pour me comprendre et s'employer à me faire plaisir. Les adultes ont des idées parfois tellement originales !
J'aimerais, une fois n'est pas coutume, leur donner quelques conseils.
Il faudrait que mes parents se rendent compte, par exemple, que le métier d'écolier n'est pas si facile que cela. Papa surtout devrait bien cesser de me répéter qu'il était toujours le premier. Diable ! Je ne suis pas « lui » ; il devrait bien comprendre que je ne lui ressemble pas du tout et que, s'il était câlé en orthographe, moi je le suis en math. L'un vaut bien l'autre. Du reste, il sait bien que je suis un peu dyslexique, la psychologue l'a dit, aussi est-ce normal que j'aie un peu de peine en orthographe. Il devrait bien reconnaître de temps en temps que je fais des progrès, depuis que je vais régulièrement suivre des cours.
Maman est un amour, vous vous en doutez. J'aime quand elle m'accueille quand je rentre de l'école, elle a un si joli sourire, mais il y a un petit mais
depuis quelques mois elle fait un peu trop cas du bébé ! Je sais bien que ma petite soeur a besoin d'elle, mais j'aimerais tant parfois me blottir dans ses bras pour faire une « cocolette »
sans le dire aux copains, bien sûr !
A propos des copains, ne croyez-vous pas que je pourrais un peu plus souvent les amener tous à la maison, c'est « formid » de pouvoir jouer tous ensemble, d'inventer de nouveaux jeux, de faire du théâtre, d'organiser des concours, de se grouper en équipes. Seul ou à deux cela ne va pas. Ce qui serait absolument « sensass », ce serait de pouvoir s'inscrire aux louveteaux. Camper, popoter, discuter, courir et tout cela en pleine nature !
Dites-moi, vous ne répéterez pas le mot que j'ai écrit tout à l'heure, « sensass », papa n'en serait pas enthousiasmé. Là aussi, il devrait faire un petit effort et comprendre que cela fait parfois du bien de parler sans prendre garde à son vocabulaire, ni aux négations ni aux liaisons. S'il savait à quel point cela peut me soulager et me calmer de dire un gros mot ! Mais, là, un vrai mot grossier. Entre nous, j'ai assez l'impression qu'il le sait.
Donc, j'aimerais faire partie des louveteaux, mais j'aime aussi être seul, pour lire. Mes parents sont chouettes, car ils me donnent des montagnes de livres et je suis inscrit dans deux bibliothèques.
J'aime les histoires d'aventures, aussi maman me permet, à l'occasion, d'aller voir la T.V. chez un camarade. Ce que j'aimerais parfois c'est que papa et maman lisent un de mes livres ou viennent voir avec moi la T.V. Ce serait chic de discuter avec eux et de leur apprendre à connaître tous mes amis du Club des Cinq. Papa et maman parlent bien à table du livre qu'ils ont lu ensemble !
J'ai une chambre à moi, ça, c'est une perfection ! Vous imaginez si je devais partager ma chambre avec Claudine ? Pour le moment elle est mignonne mais pleurnicheuse, et quand elle sera plus grande? Oh ! là, là, ce que ça peut être rasant les filles. Papa dit que j'aurai un autre avis plus tard, peut-être, mais pour le moment elles m'ennuient. Comprenez-moi bien, j'aime ma petite soeur mais pas dans ma chambre ! Vous la voyez fouiller dans mes collections de cailloux et de coquillages et classer mes bouquins ? Maman m'a laissé installer mon coin comme je l'entendais et entasser et bricoler comme je le veux. Je vous l'ai dit qu'elle était bien, maman, sauf peut-être quand, tout à coup, elle décide qu'il faut qu'elle mette de l'ordre ! Après son passage j'en ai pour trois jours à m'y retrouver. Mes parents sont discrets, je dois le reconnaître, mais j'ai tout de même ménagé une cachette derrière le radiateur pour y glisser mes trésors, entre autres l'alphabet secret que j'ai combiné avec Nicolas. Nicolas est mon meilleur ami. Je l'envie quelquefois car il a toujours beaucoup d'argent sur lui. Je sais bien que je ne pourrais pas en avoir autant, mais je serais content d'avoir un peu d'argent de poche que je puisse dépenser comme je l'entends. Je serais même d'accord de faire des comptes. C'est normal que papa sache où file l'argent qu'il me donnera. Par exemple, il pourrait me payer quelque chose lorsque je lave notre V.W.
C'est un peu difficile de faire comprendre aux parents à quel moment ils doivent traiter leur enfant en adulte. A dix ans, vous êtes bien d'accord que l'on est déjà un adulte ! Non ? Oui, oui, il y a cette histoire de « cocolette » que je vous ai suggérée au début et puis l'autre jour cette crise de larmes que je n'ai pas pu expliquer et qui fait qu'après m'avoir consolé maman a dit : « Oh ! mon gros bébé ! » Il y a aussi ce besoin de donner des coups de poings qui me prend parfois
Mais est-ce que les adultes n'en ont vraiment jamais envie ? Il faudra que je pose la question à papa un jour où il aura le temps de faire une promenade ou de jouer rien qu'avec moi. Quand il a le temps, il est parfait mon papa. Il répond à mes questions et je sens bien qu'il me considère comme un copain. Alors, vous voyez, après tout je n'ai pas lieu de me plaindre !
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