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Apprentissage de la séparation
« Eduquer un enfant, écrivait un pédagogue, c'est le détacher de soi, c'est agir de telle sorte qu'il devienne capable de se conduire seul. » Vérité, bien sûr, mais vérité discutée.
« Mon enfant m'appartient, disent les uns. Je l'élève pour moi.. il ne me quittera que lorsqu'il se mariera, et encore !»
« Il faut libérer notre enfant au plus vite de notre tutelle, disent les autres. Commençons donc dès sa naissance à lui donner l'habitude de nous quitter à tout propos. »
Qui a raison ? A notre avis, ni les uns, ni les autres. Il nous paraît tout aussi faux de se séparer trop tôt d'un enfant que trop tard.
Un oiseau jette-t-il hors du nid son petit sans plumes et aux ailes trop faibles ? Non, sans doute, mais le moment venu le même oiseau poussera dans le vide sa progéniture bien emplumée, à l'aile souple et ferme à la fois.
Il en est de même de nos enfants. Les séparations d'avec les parents et en particulier d'avec leur mère sont à déconseiller avant trois ans. Jusqu'à cet âge, les soins maternels quotidiens sont indispensables au développement harmonieux de l'enfant. Toute absence de la mère est considérée par le bébé comme un abandon, car il n'est pas encore capable de comprendre que la séparation ne durera pas toujours.
Il est évident qu'il y a des cas de force majeure (maladie, accouchement, etc.) où la mère devra s'absenter. Il est bon de savoir que ces séparations poseront de nombreux problèmes et que, si elles sont inévitables, il faut pour le moins en atténuer les effets nocifs, en se rappelant, par exemple, que l'enfant supportera mieux l'absence de sa mère s'il reste chez lui et que, s'il doit partir, il s'adaptera plus rapidement si on le conduit dans un cadre déjà connu.
A partir de trois ans, la séparation sera mieux acceptée. L'enfant a atteint en général une maturité intellectuelle et affective suffisante pour lui permettre de sentir que sa mère, malgré sa disparition, existe, qu'elle l'aime toujours et surtout qu'elle reviendra. L'événement reste pénible ou en tout cas émouvant, mais sans dommage réel. La séparation commence à être un apprentissage efficace. Plus tard, à des âges très variables selon les enfants, disons vers six ans, elle deviendra une cause de fierté et de joie.
C'est à partir de ce moment-là que l'enfant bénéficiera vraiment d'un séjour de vacances loin du milieu familial (home, colonie, camp).
En résumé, disons que jusqu'à trois ans, il faut éviter les séparations, sauf raison de force majeure. De trois à six ans environ, on peut admettre des séparations peu fréquentes et entourée de précautions : préparation progressive, sans coercition, absences de courte durée où l'enfant sera averti que sa mère devra le quitter et où il constatera qu'elle revient toujours, fermeté et confiance de la part de cette dernière au moment du départ, manifestations d'affection pendant l'absence (messages, téléphones, éventuellement visites).
Dès six ans, apprentissage systématique pour l'enfant de la séparation, pour les parents de l'acceptation de cette conquête progressive d'indépendance qui acheminera l'enfant à son autonomie.
En effet, l'apprentissage est tout aussi difficile pour les parents que pour l'enfant. L'instinct « mère-poule » ou l'instinct « adultepossessif-qui-sait-tout » est difficile à surmonter, et nous savons bien que l'angoisse de la séparation ne disparaît jamais complètement du coeur d'une mère, si raisonnable soit-elle. Pourtant les parents qui auront la sagesse de respecter ces stades seront récompensés par l'équilibre que manifestera leur enfant devant ces problèmes.
Premiers pas, premières initiatives, premières invitations, premières expéditions enfantines, premières vacances sans père et mère, premier long voyage sans adresse fixe, fiançailles, mariage
et la liste n'est pas épuisée de toutes ces séparations que les parents doivent envisager, accepter, éventuellement provoquer. Apprentissage difficile, nous l'avons vu, pour l'enfant comme pour les parents. Il y faut de la prudence et aussi de l'audace, beaucoup de sagesse et un brin de folie. Le but à atteindre en vaut la peine : faire de son enfant un adulte, un vrai.
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Expériences vécues :
Claude, six ans, est invitée pour la première fois chez la tante de Colette pour un « week-end » prolongé. Elle a choisi elle-même d'accepter l'invitation. Quel progrès accompli depuis le temps trois ans auparavant - où elle n'osait même pas quitter l'appartement pour descendre du cinquième étage au premier jouer chez son amie préférée !
Maman est plus émue que sa fille. Avec quel soin elle a préparé la mallette de sa petite voyageuse, sans oublier d'y glisser le jouet préféré qui peut si bien consoler à l'heure critique où l'on s'endort pour la première fois dans un autre lit que le sien, ni le petit billet tendre écrit en grosses lettres imprimées et caché dans la boîte à savon, le pyjama ou la poche à serviette. (Le coup de petits billets, on ne s'en lasse pas, savez-vous? Et le papa voyageur aime aussi à les trouver épinglés dans ses bagages).
Trois jours passent. Retour joyeux de Claude. Mais dans le lit retrouvé les confidences viennent
Pas 100% réussi ce « week-end » ! La tante de Colette est de ces personnes pour qui les signe d’une bonne santé est de se gaver de nourriture. Claude est revenue dégoûtée des assiettes trop pleines… et ne veut pas récidiver.
Leçon à retenir pour les personnes qui reçoivent un enfant. Leur attitude compte beaucoup dans cet apprentissage de la séparation : accueil joyeux de l’enfant, respect de ses moments de chagrin s’il en a et surtout respect des ses habitudes.
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Claude revient de l’école.
« Maman, me permets-tu d’aller visiter un souterrain mystérieux que Pierre a découvert à l’extrémité de l’avenue ?
- Un souterrain ?
- Dis que tu permets et je te raconterai en revenant. C’est un endroit secret, je dois mettre des bottes et un vieux manteau. tu ne peux pas répondre non ! Pierre dirait que je suis toujours dans tes jupons ; c’est ce qu’il a dit à Colette qui n’osait pas venir ! Et puis, les garçons y sont allés plusieurs fois, et la sÅ“ur de Pierre aussi. »
Maman avale sa salive et… ses recommandations. Ne gâchons pas cette joie, n’éteignons pas dans ces yeux brillants la flamme de l’aventure.
Chaussée de vielles bottes, trop grandes (mais on se moque bien de l’élégance), Claude part pour son expédition.
Retour à midi un quart. Un enfer, ce premier quart d’heure après midi. Maman, prête et attendant ses convives, avait retrouvé le temps de penser à tous les pièges que chaque détour du mystérieux souterrain pouvait cacher.
Claude rentre sale, les mains pleines de cambouis, le manteau déchiré, mais toute la gloire du pionnier sur ses épaules.
A table, description impressionnante du souterrain, dans lequel on rencontrait des échelles, des tonneaux, des fils…(électriques peut-être, quelle horreur !), des stalactites, et bien entendu des stalagmites, dans lequel on a perçu aussi des voix mystérieuses…
Papa et maman jouent le jeu. Ils sont fiers et impressionnés tout à la fois, et ils renoncent à comprendre où se trouve cette merveille tenant aussi bien des enfers que de la grotte d’Ali-Baba.
Il faut bien que les enfants des villes découvrent l’Aventure avec un grand A, fût-ce dans une cave désaffectée !
Expérience utile pour maman, qui a appris ce jour-là à accepter un départ vers l’inconnu.
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A huit ans Claude franchit une nouvelle étape : départ en groupe à la montagne. Il a fallut alors accepter de n’être plus le centre du monde, admettre que chacun a le droit d’accaparer la monitrice, qu’il y a des égards à manifester et des tâches à partager.
Ce fut une bonne préparation au séjour d’une semaine en « classe de neige » avec le maître et les 26 petits camarades, garçons et filles, qui a eu lieu 3 ans plus tard. Claude, très sûre d’elle, proclame : « Chic, je me réjouis. Et surtout ne me téléphone pas, je ne veux pas avoir l’air d’une « petite môme » ! »
Maman, moins sûre d’elle, pense : « Une semaine sans téléphone, ce sera long ! Saura-t-elle remettre et enlever son pullover au bon moment ? N’oubliera-t-elle pas de se laver les dents ? Ne va-t-elle pas s’ennuyer ? Et si elle revenait avec une jambe cassée ? »
La semaine a été merveilleuse.
Claude a raconté avec enthousiasme comme tout était réussi.
« Et puis, tu sais, le premier soir, j’étais un tout petit peu triste que tu ne sois pas là. Mais voilà que Nicole s’est mise à pleurer, réclamant sa maman. Alors j’ai du la consoler, et je n’ai plus pensé à moi. »
Et voilà la dernière étape franchie : se donner aux autres, ne plus penser à soi, ce qui permet d’envisager toutes les séparations avec l’équilibre souhaitable.
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