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Yé-yé, guitares et compagnie…

Eh bien oui, je l'ai entendu ! Pas vous ? Je vous accorde que le mot « entendre » convient mal en l'occurrence : l'oreille humaine, comme nos autres organes sensoriels, est malheureusement bornée et ne peut percevoir que dans certaines limites, pas très larges, à vrai dire. Donc, pour entendre, il faut que les sons soient suffisamment forts, mais encore ne faut-il pas qu'ils le soient trop ! Passé un
certain seuil, on ressent un gros mal de tête, et foin de la musique ! Eh ! bien, ce seuil fut largement dépassé en cette occasion. Je dois donc dire que je l'ai regardé chanter plutôt qu'entendu chanter.

Qui ? Vous demandez qui ? Je croyais que vous aviez deviné tout de suite ! Mais… Johnny, bien !sûr, ce produit spécifique de notre époque, l'idole des jeunes comme il se chante lui-même, le roi des yé-yé, la terreur des directeurs de salles qui tiennent à l'intégrité de leur mobilier. Oui, je suis allée l'écouter, un peu honteuse de toutes mes années de trop que je ne pouvais pourtant pas laisser au vestiaire avec mon parapluie. Très légèrement inquiète aussi (avec ces jeunes, on ne sait jamais… si tout à coup j'allais sentir mon fauteuil se fracasser sous moi !). Je fus très vite rassurée. D'abord les fauteuils paraissent d'une solidité à toute épreuve : de toute manière, le temps qu'il faudrait pour le dévisser cas échéant me permettrait largement de m'enfuir. Et puis, discrètement, on me montra des messieurs fort respectables et assez imposants pour tenir en respect tous ces « fans », jeunes, très jeunes, quelques-uns presque au maillot !
Disons tout de suite que rien ne s'est passé. Dès que les ardents spectateurs, jeunes, très jeunes, je l'ai dit, firent mine de se lever, les messieurs se levèrent aussi et posèrent une main douce, mais ferme, sur des épaules frémissantes. On se rassit sagement. Ce fut bras levés et mains actives, mais assis, qu'on écouta Johnny. Je n'ai pas pu voir si les gardiens de l'ordre battirent aussi des mains, mais en tout cas, ils se montrèrent tolérants pour cette participation chaleureuse.
Pour tout vous dire, puisque vous n'y étiez pas, il ne vint pas tout de suite, Johnny ! Une longue heure fut consacrée à la préparation du public, à son « chauffage », si j'ose me permettre cette explication. Des jeunes gens à guitare ou sans guitare, tous agités des mêmes frémissements, tressautements, trémoussements, vinrent préparer les voies de l'idole. Puis apparut la fiancée de l'idole (quel beau titre pour un roman pseudo-oriental !). L'enthousiasme monta en flèche. Les amplificateurs se mirent à amplifier tellement que l'on ne comprenait déjà plus les paroles, et que cette charmante petite fille, fragile et presque enfantine, se mit à déployer une voix tonitruante dont les cantatrices wagnériennes pourraient lui envier le volume, surtout quand on le compare à la sveltesse de la chanteuse.
Enfin Halliday vint ! A point, devant un auditoire transporté rien qu'à le voir paraître. On le connaît par ouï-dire, et lui aussi d'ailleurs il doit se connaître par ouï-dire, tant il se montre exactement tel qu'on l'attend. On nous raconte qu'il perd une livre de sueur à chaque concert, et c'est vrai qu'il transpire beaucoup : la preuve, il nous l'administre en enlevant son habit et en tournant un instant le dos. Vous pouvez voir alors l'étoffe mouillée collée à la peau. Et vous soupirez : « C'était donc vrai ! » en prenant à témoin votre voisin.
Mais faut-il vous l'avouer ? J'ai été déçue. Je me disais : bien sûr, ce n'est pas un poète, pas même un bon chanteur, mais ce sera peut-être assez prenant de se trouver au milieu de la chaleur humaine qui doit se dégager de tant d'admiration. J'ai vu de l'agitation, mais je n'ai pas senti de communion véritable. J'ai eu l'impression d'une attente, chez tous ces jeunes, d'un don de soi esquissé… mais attente de quoi, don à qui ? Cette frénésie, due au bruit et au mouvement, elle n'engageait que la partie la plus superficielle des spectateurs, et ils s'agitaient, attendant obscurément quelque chose qui ne viendrait pas. La fatigue, à la fin, dut leur procurer le sentiment que cette attente était comblée. Mais je rêvais de quelque grande action qui utiliserait ces forces dépensées en vain.

Je suis sortie les oreilles douloureuses, la gorge sèche comme si j'avais chanté moi-même. La tête bourdonnante, des idées un peu brumeuses. La silhouette gigotante du chanteur flottait devant mes yeux, des guitares brandies comme des raquettes de tennis s'esquissaient et s'évanouissaient dans le brouillard. Et ce petit pincement au coeur, comment le définir, de quel nom l'appeler ? N'est-ce pas de l'envie, de la jalousie ? Oui, je pensais à tous les éducateurs, à tous les enseignants, aux prédicateurs. Je comparais l'apparition de Johnny avec l'entrée du professeur dans la classe, la montée du pasteur en chaire. Je songeais à tous ces auditoires si souvent mornes, ennuyés, dérangés dans leurs occupations favorites !
Les jeunes n'ont pas perdu la ferveur, mais nous n'avons pas d'aliments valables à lui offrir, et ils ne savent pas à quoi la dédier. Alors, faute d'un idéal valable qui réquisitionne toutes les forces, on se rabat sur l'idole. Du bruit, du mouvement à la place de la joie, et non signe de la joie comme chez les Noirs. Car, quand les Noirs chantent leur espérance, quand ils la chantent avec tout leur corps et tout leur coeur, comment résister à la contagion de leur enthousiasme ? Mais c'est que le bruit et le mouvement sont ici au service d'une grande idée ordonnatrice du chaos, et que, croyants ou non, elle nous entraîne dans son tourbillon de flamme.
La frénésie des jeunes ne doit pas nous faire peur. Quelques messieurs respectables l'autre soir ont suffi pour la contenir. Elle doit au contraire nous faire espérer : même si elle est inemployée, la force est -là. On peut tout attendre d'elle, le bon et le mauvais.
Pour terminer sur une note moins grave : rentrée chez moi, j'éprouvai le besoin d'entendre autre chose. Justement à la radio, quelques mesures annonçaient un drame de Wagner. Brünhilde, sur son rocher, saluait l'arrivée du jeune Siegfried venu l'éveiller. Un jeune yé-yé, qui avait assisté lui aussi au concert de Johnny, passa devant la radio, écouta un instant, puis s'en alla, disant d'un air dédaigneux :
- Ce qu'elle peut crier, celle-là !









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