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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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Feuilletons quelques livres…

L'invitation

Constance (13 ans), la fille de Marie est invitée par Mme Leroy à un déjeuner avec son amie Françoise et deux garçons : Pierre et Antoine. Constance est à la fois ravie et troublée par cette rencontre qu'elle a, d'autre part, ardemment souhaitée.
La soirée se passa dans un état de grande anxiété. Les cheveux de l'enfant avaient été lavés le matin même et après un shampooing ils restaient toujours raides pendant deux ou trois jours avant de reprendre leurs plis naturels. Constance y pensa sans doute quand elle demanda à sa mère une lotion « pour leur donner un peu de poids », dit-elle. Elle s'installa dans la salle de bains ainsi qu'elle le voyait faire à Marie, et commença à se frictionner le cuir chevelu, puis le massa.
- Je sens que ça fait du bien, dit-elle d'un air concentré.
Après, elle prit la brosse, renversa la tête en avant puis en arrière, se brossa longtemps, se peigna avec soin en s'aidant de la main pour donner à ses cheveux la coiffure qu'elle voulait. Elle se regardait dans le miroir, juste en-dessous de la lampe allumée et murmurait comme pour elle-même : « Ça ira, ça ira… ».
Pendant qu'elle se déshabillait, elle appela Marie et lui parla de la robe, des souliers et des chaussettes qu'elle mettrait :
- Je ne mettrai pas le collant, ça maigrit les jambes… les chaussettes sont plus flatteuses, tu ne trouves pas ? Surtout les blanches et elles sont propres ! Oh ! maman, tu es un amour… c'est quand même ridicule qu'il n'y ait pas de chaussures avec des talons pour mon âge… Il y en a pour les petites danseuses espagnoles mais c'est immettable en France, ce serait ridicule… et les bas de nylon, très fins ? Tu as vu dans « Elle », ces bas-là, pour vous, ce n'est plus tellement à la mode… on fait beaucoup de bas en laine avec des dessins… ce n'est pas mal, mais il faut avoir la jambe drôlement mince…
Elle embrassa Marie passionnément et quand la lumière fut éteinte elle serra les bras autour de son cou et demanda d'une voix d'ange si ce serait ridicule de mettre un peu de parfum, si cela plairait à Antoine.
Le matin, elle entra dans la chambre de Marie à 7 heures. Elle était sur pied de guerre. Elle avait déjà essayé deux robes, une jupe, un chandail et, dit-elle : « Je ne sais absolument pas quoi mettre ».
Elle était pâle, elle avait le nez pincé, l'oeil terne, le cheveu plat et deux boutons autour de la bouche. Ce matin-là, sa beauté l'avait abandonnée. Elle déjeuna à peine et, la dernière bouchée avalée, elle alla dans sa chambre. Marie l'y rejoignit. Elle préparait un cadeau dans une petite boîte japonaise qu'elle tapissait de coton. Elle avait déjà sorti de son coffret à trésors un objet de verre filé…
- C'est pour qui ? demanda Marie. Vraiment elle ne savait pas si le cadeau était destiné à Pierre ou à Antoine.
- C'est pour Mme Leroy, répondit Constance, je trouve que cette femme-là doit être remerciée.
A 9 heures, Marie lui permit d'appeler Françoise. Elle parla à voix basse, le nez dans le téléphone, la main autour de la bouche. Parfois elle pouffait de rire en rentrant la tête dans les épaules.
- Ca va bien, dit-elle à sa mère quand ce fut fini.
Une heure plus tard, Françoise rappela. Elle devait passer l'après-midi chez ses grands-parents et, ce qui était plus grave, comme elle n'avait pas été invitée directement, sa maman ne voulait pas qu'elle aille déjeuner chez Pierre. Marie dit qu'il fallait prévenir Mme Leroy. Une fois de plus, Constance prit le téléphone : « Allô, Madame, ici c'est Constance… » et elle expliqua la petite histoire. «Oh ! tu sais, ce n'est pas plus mal, dit Mme Leroy, je crois que les garçons seront contents d'être seuls avec toi… » L'oeil de Constance brilla. Elle dit au revoir et posa l'appareil. Elle resta pensive, silencieuse, le sourire de la Joconde aux lèvres puis, vite, rompit cette minute de réflexion. Elle jeta un coup d'oeil à sa mère et lui répéta les paroles de Mme Leroy.
- Tu vois, dit-elle, au premier moment ça m'a fait quelque chose que Françoise ne vienne pas… tu te rends compte, seule en face des deux garçons!
Elle est repartie vers sa chambre et en est revenue au bout d'un quart d'heure, les traits tirés, les cheveux serrés dans des barrettes et pris dans un élastique. Comme ils étaient assez courts c'était tout à fait disgracieux. Chaque fois qu'il s'en échappait quelques-uns, elle sortait une barrette de sa poche et emprisonnait la mèche.
- Tu m'aimes coiffée comme ça ?
- Ne me demande pas, tu sais très bien, dit Marie.
- Oui… bon… tu ne m'aimes pas…
- Je t'aime mieux avec les cheveux libres le long du visage.
- Oh ! on n'a pas les mêmes goûts, on n'a vraiment pas les mêmes goûts, dit-elle d'une petite voix nouée. Elle repartit pour réapparaître cinq minutes plus tard, ses souliers vernis aux pieds, les autres à la main :
- Qu'est-ce que tu crois ? A midi, qu'est-ce qu'on met ?
Marie dit :
- Ce que tu veux.
- Tu comprends, si on va jouer an Luxembourg et qu'on fait des glissades, il vaut mieux que je mette les marron.
- Peut-être… dit Marie.
- Mais les chaussettes ? blanches ? non ?
- Oui, les chaussettes blanches, c'est assez joli.
- Alors continua Constance, la robe grise ? ou la jupe écossaise ?
- Comme tu veux, les deux sont bien.
- Et le col roulé ? tu trouves que ça me va le col roulé ?
- Oui, vraiment.
- Et je mets le vert ou le gris ?
- Le vert.
- Mais ça va avec le gris de la robe ?
- Très bien.
- Ça ne va pas mieux avec le rouge de la jupe écossaise ?
- Pareil, ça va aussi.
- Enfin, tu ne veux rien me dire.
- Mais non, les deux vont, c'est comme tu veux, selon ton goût.
Elle disparut une nouvelle fois ; quand elle revint, elle portait la robe-chasuble grise, le chandail vert, les chausettes blanches et les sculiers marron bien cirés. Ses cheveux étaient toujours tirés, serrés dans l'élastique comme un petit blaireau au-dessus de la nuque.
- Je peux mettre mon manteau bleu ?
- Oui, mets ton manteau bleu.
Elle alla le prendre sur le portemanteau puis Marie l'entendit fouiller dans le placard à linge et elle entra dans le salon en nouant négligemment sous le menton un foulard d'été en coton à fleurs. Elle attendait l'observation. Marie ne dit rien. Elle regardait le visage de son enfant. « Elle a vraiment l'air d'une femme amoureuse, pensa-t-elle, qui perd sa beauté et son éclat tant elle est angoissée par le rendez-vous qui l'attend. » Elle regardait cette petite fille si sûre d'elle, si forte apparemment et à cet instant débordée par son émotion. Elle ne la reconnaissait pas.
Est-ce que je prends mon sac ? Qu'est-ce que tu crois ? mon sac ou pas mon sac ?
Marie commença :
- Tu dois faire comme tu veux…
Mais elle vit trembler la lèvre de Constance, alors elle ajouta :
- … ton sac t'encombrera peut-être.
L'enfant se jeta dans les bras de sa mère et il sembla à Marie entendre le bruit d'un sanglot, mais elle sut ne pas voir la larme qui tombait.
- Dis-moi, maman, dis-moi vraiment ?
- Prends ton sac, dit Marie, il est beau et puis tu pourras appuyer ta main dessus si tu le portes en bandoulière.
Constance se frappa le front avec la paume de la main :
- Bien sûr.,. il me le faut pour mettre le cadeau de Mme Leroy… J'allais oublier le cadeau de Mme Leroy !
Elle alla le prendre sur son bureau.
- Tu as vu ? Il est bien emballé ! Elle va être enchantée !… ça va très bien se passer… je suis tout à fait sûre.
- Certainement, ça va très bien se passer, approuva Marie, vous allez jouer…
- Oui… on va jouer mais on va parler aussi.
- Vous allez parler de quoi ?
- J'ai beaucoup de choses à dire à Antoine.,. tu ne peux pas comprendre…
Constance avait retrouvé sa force et sa petite dureté de cristal. Elle embrassa Marie comme pour la protéger.
- Ne t'inquiète surtout pas, recommanda-t-elle avec un sourire malicieux.
Marie alla vers la fenêtre : « Si elle se retourne pour voir si je suis là, c'est qu'elle a besoin de moi, se dit-elle, autrement elle n'y pense pas. » Elle la vit s'éloigner puis, tout d'un coup, se retourner. Elle ne fit pas de geste, elle se retourna simplement et resta les bras le long du corps, un main posée sur le sac, la tête en l'air. Puis elle repartit.
Le lendemain, Antoine appela trois fois. Constance savourait sa victoire. Au troisième coup de téléphone, elle prit l'air d'en avoir pardessus la tête :
- Mon Dieu, que les garçons sont timides, dit-elle.









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