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Parole et Adolescence

Il est parfois difficile de communiquer

« Parler, c'est trop difficile, c'est atroce !» Ce cri d'angoisse jeté par Anne Franck dans son journal intime est un des témoignages frappants, bouleversants, de la difficulté douloureuse des adolescents à s'exprimer. Ce cri, je n'ai pu l'oublier, et il me revient spontanément, en abordant le sujet qui nous préoccupe. Il est l'écho de cette adolescence éternellement critiquée, moquée, défigurée, que les adultes observent sans sympathie et approchent sans respect. La société ne fait pas sa place à cet âge de transition, la famille lui reproche sa durée, et d'excellents parents pensent ou disent avec impatience et inquiétude : « Il est déjà bête et n'a pas encore l'âge ingrat ! ». Sans doute, n'est-ce pas méchamment, et les éducateurs savent bien qu'ils se doivent de comprendre les adolescents. Peu cependant le font avec amour : cet âge est si difficile à aimer dans ses contradictions et ses exigences ! Et pourtant il mérite qu'on l'aime, et l'éclosion qu'il prépare appelle indulgence et respect. Il n'en demeure pas moins que le terrain d'entente entre adultes et adolescents est délicat à trouver.

Toutes les données de la psychologie, toutes les recherches pédagogiques ne résoudront pas un problème qui reste avant tout un problème de « communication ». On a, ou non, audience auprès des adolescents, on gagne ou non leur confiance. C'est parfois au prix d'une longue attente, c'est plus souvent spontanément que le contact s'établit, c'est toujours parce qu'on sera allé vers eux pleinement disponibles, sans idées préconçues, sans réflexes conformistes. L'opacité entre générations est un fait, quoiqu'elle finisse par devenir légendaire et comme une excuse commode. François, Augustin Meaulnes, Anne Franck nous font peut-être découvrir le remède à cette incompréhension dans leur désir de « parler pour de vrai » à quelqu'un.

Inhibition ou agressivité: obstacles majeurs

Toute la difficulté est là : quand on a treize, quatorze ou quinze ans, on ne sait pas parler, on ne peut parler, de ce langage qui est vraiment expression de soi-même.

A l'école primaire, l'enfant donne le plus souvent l'apparence de l'expression ; en réalité il y a coupure entre ce qu'il vit et ce qu'il exprime. Cette rupture va s'affirmer avec l'adolescence et le plus souvent faire apparaître les deux attitudes que nous connaissons bien, l'attitude agressive que nous raillons et traitons d'affectée ou de vaniteuse, l'attitude de repli, de silence, que nous qualifions de butée. Anne Franck les définit parfaitement :
« Peter et moi, nous sommes tous deux aux prises avec le fin fond de notre être… et d'une nature trop tendre pour bien supporter les brusqueries de nos aînés. S'il m'arrive de devoir les subir, je me démène et je fais un tel boucan que tout le monde voudrait me savoir à l'autre bout de la terre. Lui, au contraire, se replie sur lui-même, ne parle presque pas, reste plutôt taciturne, rêve et se cache derrière sa timidité. »
Voilà bien dépeintes ces deux attitudes d'adolescents : elles ne sont, d'ailleurs, que les modalités d'une même réaction, celle de la prise de conscience de soi liée à la peur de s'affronter à la personnalité des autres. L'une comme l'autre sont normales ; elles prouvent que l'enfant est le champ de transformations extraordinaires. Si nous pouvions prendre au sérieux ce que nous nous contentons de trouver extravagant et donner à l'adolescent le moyen de sortir du monde clos dans lequel il risque de s'enfermer, bien des fugues, bien des désespoirs ou simplement des inadaptations seraient évités. On pourrait parler ici longuement de l'attitude des parents qui fuient lâchement les tête-à-tête affectueux avec leurs enfants. Le rôle des parents est évidemment difficile, tout de délicatesse et d'attention ; il consistera souvent à orienter le jeune vers ceux auprès desquels il trouvera à parler « pour de vrai »(professeur admiré, chef scout, etc…)

Deux exemples vécus

Françoise a quatorze ans, elle vient d'entrer en classe de troisième ; c'est une enfant silencieuse à laquelle personne n'a jamais parlé vraiment, sa famille étant désunie. Elle n'a pas d'amis, et ses frère et soeur sont plus jeunes qu'elle. Dès la pré-adolescence, une inhibition s'est donc faite en elle sur tous les plans. D'une intelligence vive, elle s'exprime pourtant par écrit avec confusion et oralement avec hésitation. Sa voix est très douce, sans fermeté, sans timbre. Elle a certainement du caractère, mais sa timidité excessive la retranche de la vie sociale, elle ne s'affirme pas, elle ne prend pas parti ; elle n'entraîne pas. Âme très fine et très sensible, elle a une pudeur extrême de ses sentiments, rien ne les trahirait, si ce n'est un regard expressif et attentif aux autres.
Si cet état avait duré, Françoise n'aurait jamais trouvé sa place dans la vie adulte. Un long séjour dans une université anglaise, puis américaine, est soudain le facteur d'une transformation vitale. Elle se voit plongée dans un milieu étudiant anglais, où l'on « converse » à l'heure du thé, où l'on discute des heures entières avec un
professeur, où l'on fait partie d'un club dont l'objet principal est de s'entraîner à mener une assemblée, en sachant bien exposer, bien défendre et bien attaquer… Aux Etats-Unis, l'épreuve est encore plus grande, on lui demande de faire des conférences, d'animer des équipes de travail, etc. Etonnée de la facilité avec laquelle parlent ceux qui l'entourent, elle se met à leur école « malgré elle » et apprend à parler. Comment dire le bien qu'elle en retire et décrire l'épanouissement personnel qui s'en suit : c'est une révélation pour elle-même et pour ses amis.
Beaucoup de ses semblables n'auront pu trouver comme elle les moyens de s'affirmer, de sortir d'une timidité orgueilleuse si normale à l'adolescence, mais si appauvrissante plus tard. Si nous voyons beaucoup d'hommes - et de femmes surtout - dont la présence aux autres est difficile, qui sont susceptibles, maladroits, qui se ferment dès que l'on tente une explication… point n'est besoin d'en chercher la cause !
Les vaniteux, les hâbleurs, ceux qui font du bruit pour rien, ne sont pas toujours les plus épanouis. Ce sont aussi des adolescents attardés, qui n'ont pu, faute d'une pédagogie de la parole, se débarrasser de leur verbalisme. Voyons, en second exemple, le cas de Jacques :

Jacques, 16 ans, assez mauvais élève, d'intelligence normale, est peu attiré par les disciplines qu'on lui enseigne et leur préfère le sport. Soudain, en classe de seconde, le monde des « idées » s'ouvre à lui brutalement, et il s'abandonne à sa découverte avec passion. Il se met à lire jour et nuit, s'entiche des philosophes à la mode, jongle avec les abstractions, se grise de mots et de phrases, prend un ton péremptoire et définitif qui exaspère ceux qui l'entourent, son père en particulier. Tout un monde imaginaire se construit autour des premières vérités philosophiques qui se sont imposées à lui ; il refuse maintenant toutes les notions traditionnelles et veut se bâtir son propre univers ; sa vie spirituelle même se confond avec sa vie intellectuelle, et les angoisses toutes mêlées d'affectivité de son adolescence se cristallisent autour de sa pensée. Il ne rêve plus que de parler des heures avec ses amis et même avec des adultes, mais ceux-ci refusent de dialoguer avec ce jeune prétentieux, qui ne veut écouter personne. Alors il ne se parle qu'à lui-même…
Les années passent. La réussite au bachot est difficile, les échecs n'arrangent rien et on les lui reproche amèrement. Jacques s'enferme de plus en plus dans son univers clos qu'il extériorise de temps à autre avec volubilité. Il parle, il parle, il éblouit les jeunes filles du lycée, mais il ne se fait pas de vrais amis, la pensée inconsistante qu'il manie avec dextérité est une arme de plus contre les autres, il s'installe dans la révolte, il est en fait très malheureux.
Pas plus sûr de lui que Françoise, réfugiée dans son silence, son assurance extérieure et sa fatuité ne sont qu'une forme d'agressivité. Pour se défendre de lui-même et des autres, dont il craint le verdict, il s'installe dans un confort intellectuel qui lui donne l'apparence de les dominer et de s'imposer.
Que pourrait-on faire pour éviter que nos adolescents se travestissent de cette façon ? Tout simplement leur donner des interlocuteurs attentifs.
Car l'enfant qui trouve dans sa famille ou dans sa classe des êtres qui écoutent avec intérêt ce qu'il dit, apprend à parler, et apprend donc à vivre. Chaque fois qu'il peut s'exprimer devant un auditoire attentif, il trouve une occasion utile d'apprendre à penser ce qu'il dit, à le sentir, à le faire partager.
« Dans toute l'Europe, des adolescents crient », lisait-on dernièrement dans un grand hebdomadaire. Et l'on mettait en cause, à juste titre sans doute, l'insécurité des temps. Quand on a quinze ans, il faut apprendre à trouver en soi-même cette sécurité, il faut la gagner en prenant l'initiative de sa vie intellectuelle et de sa pensée personnelle. Le dialogue, le tout premier, est à la source de cette conquête.









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