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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
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Vive la liberté !

Un voyage imprévu, une invitation à rejoindre un mari siégeant dans un congrès au-delà de la Manche, voilà qui est bien tentant. Pourtant, sera-t-il possible de laisser la maison, de trouver une compagne pour Nathalie - fille unique de 15 ans - et de partir sans soucis?
Il est certain que depuis bien des mois Nathalie souhaite vivre une expérience d'indépendance totale : rester seule à la maison, être responsable sans l'aide de la grand-mère ou de la tante célibataire de sa vie scolaire et privée. Voilà ses parents, sa mère surtout, plongés dans un abîme de perplexité et d'anxiété. Il y a longtemps - à vrai dire depuis la naissance de leur fille - qu'ils sont persuadés qu'ils ne peuvent rien faire de mieux pour elle que de la libérer de leur autorité et de l'armer pour la solitude. Mais toutes les belles théories éducatives prennent une tout autre coloration devant les faits concrets, et Mme Verdier se sent beaucoup moins sûre de la nécessité de laisser son enfant faire une expérience d'aussi totale indépendance. Pourtant, Nathalie le désire, explique d'une façon tout à fait confiante et pondérée comment elle organisera sa vie. Bien entendu, elle profitera d'inviter ses amies pour toute une journée et même une nuit puisque par chance il y aura de la place, mais elle se réjouit aussi de passer un jeudi seule, sans obligations, en mangeant lorsqu'elle aura faim, faisant tourner des disques ou fonctionner son transistor quand et aussi fort qu'elle le voudra.
Intellectuellement, la mère est tout à fait d'accord de faire confiance, de laisser la bride sur le cou à son adolescente ; mais elle sent bien, à l'angoisse qui pèse, là, sur son estomac, qu'affectivement rien n'est accepté. Elle ressasse toutes les possibilités de drames qui pourraient fondre sur son trésor, drames allant du simple rhume de cerveau à l'enlèvement par une sinistre brute, ou qui sait? par un séduisant don Juan pour le moins acoquiné à la traite des blanches. Le père, avec son esprit logique, trouve une solution à tous ces problèmes : à 15 ans, on sait téléphoner (et comment !) Et par chance, le médecin (pour le rhume) habite à deux pas. Le cousin policier s'occupera du triste sire ; les clés existent aussi pour quelque chose, que diable, et une porte fermée est un obstacle suffisant.
Les amis sont tous prêts à se précipiter au secours de Nathalie, et la liste des invitations à déjeuner, dîner, dépasse de beaucoup les repas disponibles et prouve bien que le cher ange ne mourra pas de faim.
Mme Verdier est bien obligée d'admettre que sa fille ne risque rien et que sa présence n'empêcherait pas la grippe, la chute à bicyclette ou le coup de foudre possibles !
Mme Verdier est raisonnable, Mme Verdier ne manque pas de psychologie, Mme Verdier est une bonne mère. Alors, pourquoi encore ce poids sur l'estomac?
Un moment de méditation sérieuse prouve que ce n'est pas tant le souci qu'elle se fait pour Nathalie qui l'empêche de prendre une décision, mais bien son amour-propre atteint de deux façons. Tout d'abord, il n'est jamais facile de constater que vos enfants peuvent se passer de vous, même si l'on sait que c'est là, le vrai, l'unique but de l'éducation ; et puis, l'orgueil maternel ne peut faire fi du « qu'en dira-t-on ?» Nathalie malade devra éventuellement appeler la voisine. Que pensera celle-ci de cette mère dénaturée qui « batifole » à l'étranger, laissant une faible jeune fille toute seule :« Imaginez-vous, ma chère, je dis bien toute seule, dans un appartement de ville - et la ville cache toutes sortes de dangers comme chacun sait… Et pendant huit jours ! Et naturellement, c'est moi qui dois soigner cette enfant abandonnée !»
Et Mme Verdier a dû admettre que dans ses réticences entraient beaucoup plus d'égoïsme personnel, d'amour-propre, d'orgueil, que de véritables préoccupations éducatives.
Après cela, il n'y avait plus qu'à accepter de faire l'expérience et de partir en voyage en laissant Nathalie s'organiser. Et pour que l'expérience soit utile, il fallait que les deux parties jouent le jeu jusqu'au bout : les parents accordant la liberté sans réserve, avec une confiance totale, l'adolescente promettant « d'assurer la responsabilité de sa liberté » (1).
Quelques préparatifs souhaités d'un commun accord ont permis à la mère et à la fille de se séparer le coeur tranquille. Une liste clairement établie de numéros de téléphone et des adresses dont Nathalie pourrait avoir besoin, sans oublier ceux des parents à l'étranger. Qui sait? On aura peut-être envie d'écrire… bien que l'on ait admis que les uns et les autres auront beaucoup à faire et qu'il ne faut pas se sentir d'obligation. Promis, c'est promis, on ne se fera pas de soucis. On ne va pas dans un pays de sauvages, formule traditionnelle que l'on répète en préparant ses
bagages. Une liste d'indications ménagères, quelques recettes simples pour les jours où l'on aura envie de manger seule, une petite boîte de pharmacie avec les aspirines et les dermaplasts peut-être utiles. Le programme écrit de la semaine, avec les rendez-vous qu'il ne faut pas oublier (dentiste ou autres). Le programme des voyageurs aussi, c'est bien agréable de pouvoir situer ses parents, même si c'est merveilleux d'en être séparée pour quelques jours, comme une toute vraie jeune fille.
Ça, c'est ce qui sera écrit au su et au vu de tout le monde. Mais, rien n'empêche la mère de se tranquilliser tout à fait en plaçant quelques petits écriteaux aux endroits névralgiques : au robinet du gaz qu'il ne faut pas oublier de fermer, à côté de la jardinière dont les plantes vertes doivent être arrosées, etc.
Et voilà la séparation consommée, Mme Verdier est assise dans l'avion qui s'envole. A l'aéroport de départ elle a laissé une adolescente très sûre d'elle, affirmant pouvoir se passer facilement de père et mère ; et elle trouvera à l'autre extrémité de la ligne un mari qui l'attend avec impatience. Suspendue, c'est bien le cas de le dire, entre ces deux forces, elle se sent comme si souvent la mère de famille un brin déchirée et mélancolique, mais certaine d'avoir agi en pédagogue éclairée ! (par la lecture des « Entretiens sur l'éducation » bien entendu).
Et combien plus en sera-t-elle persuadée lorsqu'elle trouvera en défaisant ses valises le petit chat en peluche que Nathalie aime tant, blotti dans les sous-vêtements avec autour du cou un billet bien doux à déchiffrer: « Pour vous tenir compagnie et que vous ne m'oubliez pas !» Et puis, il y aura l'avalanche de lettres quasiment journalières, avec des affirmations comme celles-ci :« Vous êtes des parents sensass !»« Comme la jeune Hindoue de mon livre qui découvre l'Inde lorsqu'elle séjourne en Australie, je découvre mes parents lorsqu'ils sont loin de moi. »« Ça m'a fait quelque chose le premier jour de rentrer à la maison et de ne pas pouvoir, dès la porte franchie, appeler « Maman es-tu là ?» et vite raconter tout ce que j'avais sur le coeur. « Psychédélique, la réunion avec les camarades ! Nous avons dormi les six dans la même chambre sur des matelas. Ça a été merveilleux, on a parlé, discuté, écouté des disques. Et nous avons éteint la lumière à 2 heures du matin! »
Au milieu de la semaine, au téléphone, Nathalie annonce que tout est formid… mais qu'elle se réjouit du retour de ses parents.
Les dernières inquiétudes disparaissent : on renouvellera une expérience qui ne peut qu'être enrichissante pour l'enfant comme pour les éducateurs. Et quel réconfort, au retour, d'accueillir dans ses bras une Nathalie ne sachant plus comment manifester sa joie et son affection, de trouver un appartement fleuri et un repas prévu en vraie ménagère, pour bien montrer que tout a été utile… même les recettes !


Nathalie, comprenant l'intérêt de cette expérience pour d'autres adolescentes et d'autres parents, nous autorise à compléter les extraits de lettres déjà cités par le post-scriptum suivant :

« J'aimerais encore vous dire quelque chose qui vous paraîtra peut-être idiot, mais c'est vrai : j'ai l'impression d'avoir grandi, de m'être affirmée, et surtout d'avoir découvert en vous des amis… pour discuter. Vous n'êtes plus les parents qui nous consolent et nous embrassent. Mais des êtres toujours là si nous avons un problème sérieux. C'est difficile à expliquer, mais je crois sentir que vous comprenez. Faites attention ! En revenant vous allez trouver une jeune fille à qui il ne faut plus parler en petit bébé (j'accepterai quand même parfois des petits mots de tendresse, naturellement !) Signé : votre grande fille.»

(1) Voir article du Dr A. Arthus, no de mai 1969









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