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Extrait suggestif L'enfant partagé
J'ai quatre ou cinq ans. Je suis à la gare avec ma mère. Nous faisons la queue devant le guichet. Lorsque notre tour arrive, ma mère dit : « Une place aller-retour et une demi-place aller pour V
». Je ne vois pas l'homme à qui elle s'adresse, mais j'entends et je me serre contre elle. Je ne me rappelle plus si je me rapproche de son corps, mais je me souviens aujourd'hui encore du saut de mon sang vers elle, comme vers le seul havre, la seule sécurité du monde. Nous sommes dans le train. Je connais chaque station. Ce n'est pas la première fois que je fais le trajet. Je sais ce qui m'attend. Je calcule combien d'heures il me reste à vivre auprès de ma mère avant de la quitter pour un temps qui me semble aussi long que l'existence elle-même. Je crois que j'ai déjà appris à ne pas pleurer. Mais il y a une pieuvre dans mon corps, elle enserre mon cÅ“ur, monte jusqu'au gosier et donne à ma salive un goût amer. Je suis une enfant de divorcés comme beaucoup, l'enjeu de deux êtres qui, après s'être aimés, veulent se venger l'un de l'autre. Rien que de très ordinaire en somme. Je vais accomplir « mon temps» du côté paternel, pas chez mon père, mais chez son frère et sa belle-soeur. Le train s'arrête : V
Il ne me reste plus qu'un quart d'heure à vivre. Nous allons prendre un fiacre et là, je me serrerai contre ma mère. Le cheval avance lentement parce que la rue de France monte et dessine une large courbe. Voilà le dernier virage. Je vois la maison, blanche comme les autres, avec, au premier étage, un rétroviseur qui permet de voir, sans être vu, qui sonne ou qui passe. Il me reste encore le temps de compter jusqu'à vingt, car la voiture doit tourner puisque la maison est sur la gauche. Puis, ma mère me serre dans ses bras et je l'embrasserai de toutes mes forces. Elle repartira par le même fiacre, sans être descendue, et moi, aux côtés de ma tante, je lui ferai de la main un au revoir empreint d'hypocrisie, pendant que mon coeur battra à grands coups. Je sais, j'ai appris, qu'ici, il ne faut rien exprimer. Je pénètre dans la maison. Première pièce à gauche, le salon. On n'y entre jamais. Housses, tapis, murs ont la même couleur. Ensuite, la salle à manger. Elle donne sur une petite cour qui, par quelques marches, conduit au jardin. Mais la seule chose que j'y vois, mon supplice, est le grand miroir auquel je fais face pendant les repas. Chaque fois que je lève les yeux, j'entends :« Ne te regarde pas dans la glace ! ». Je baisse la tête et mâche sans avaler : « Mange !». Silence. Un silence abominable, troublé seulement par le bruit des couverts. Mon oncle et ma tante ne se parlent pas: Ce n'est pas un couple, c'est un ménage, et un ménage sans enfant.
Oui, cela c'était le sentiment du malheur. Plus tard, je connus celui de la révolte et de la colère, mais j'étais bien décidée à construire mon bonheur.
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