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UN LIVRE A LIRE: « Le complot contre l'enfance » Eda Le Shan (Ed. Stock)
La dédicace du livre d'Eda Le Shan, 270 pages, traduit de l'américain et paru il y a à peine une année, est ainsi rédigée - A mes parents, qui ont su me comprendre quand je disais : « Qu'on me laisse grandir tranquille », - résume parfaitement la pensée de l'auteur tout au long de cet essai.
Lorsqu'elle parle des enfants, Eda Le Shan ne fait pas de la théorie. Son expérience s'appuie sur des observations et des faits vécus, recueillis pendant les vingt-cinq ans où elle a travaillé comme directrice d'école maternelle, de consultante et de psycho-thérapeute, de psychologue conseillère de parents aux Etats-Unis. Tout ce qu'elle nous dit est présenté avec originalité, bon sens et étayé par une solide documentation. Dans son avant-propos déjà, l'auteur peint un tableau impressionnant de la condition enfantine dans son pays : « Ce pays, où plus que dans aucun autre pays au monde, on consacre des soins, du temps, de l'énergie et de l'argent à l'enfance
, mais où tous les efforts pour procurer à ces enfants le plus possible d'avantages n'ont abouti qu'à former la plus travailleuse, la plus surmenée, la plus contrainte et dirigée de toutes les générations de jeunes
et, peut-être bien, la plus malheureuse. On dirait que nous avons la rage de priver l'enfance d'une grande partie de ce qui lui appartient en propre ». Ce « nous » qui vise les Américains, me semble s'appliquer aussi à bien des pays d'Europe.
Ce souci de savoir ce que nos enfants deviendront plus tard, l'impatience, l'intolérance à l'égard de la lente période de formation qu'est l'enfance, cette exigence que l'on a vis-à-vis du travail scolaire, en faisant preuve d'autre part d'une coupable faiblesse devant certains désirs des jeunes, l'emploi de leurs loisirs, leurs relations, le fait que la plupart d'entre eux possèdent tout ce dont ils ont besoin mais manquent de ce qui est le plus nécessaire: une dose normale d'amour-propre et une solide confiance en soi, tout cela est-il tellement américain ? Je ne le crois pas et pense que chacun de nos lecteurs lira avec profit ce livre passionnant. D'autant plus que la contestation actuelle de la plupart des jeunes rejoint les idées de Mme Le Shan. Cette jeunesse, qui se tourne vers une vie contemplative, recherche la nature, la poésie, la méditation, ne se détourne-t-elle pas en revanche de la civilisation de rendement et d'efficacité que nous connaissons aussi en Europe ?
Tout au long des dix chapitres où elle parle tour à tour de l'éducation de la petite enfance, du jeu, des tests, de la drogue, etc, Eda Le Shan essaie de déjouer ce complot des adultes contre l'enfance, des adultes « qui n'ont ni le temps, ni la patience de laisser l'enfant s'instruire de la manière qui lui est la plus favorable
Ces adultes qui semblent de plus en plus déterminés à avoir des enfants soumis, qui se tiennent tranquilles
des enfants qui ont du rendement, bref des enfants qui ont renoncé à l'enfance et se comportent comme de petits adultes
».
Si j'ajoute que ce livre bouleversant à bien des égards est d'un style alerte, riche de tendresse et d'humour, d'audace et de courage, de jugement, mais aussi de directives optimistes, j'espère vous avoir donné envie de le lire.
Dans le premier chapitre intitulé : « Le bébé programmé ou comment briser un enfant de deux ans », Eda Le Shan nous montre combien actuellement on fait fi en éducation des qualités humaines : tendresse, amour, patience, pour donner aussi vite que possible aux enfants l'efficacité de l'ordinateur. Elle s'attaque en particulier aux tentatives de commencer l'apprentisage de la lecture à deux ans déjà. Elle s'y oppose fermement. Elle rassure ainsi les parents qui se sentiraient coupables de laisser l'enfant se développer à son rythme. Voici un extrait de ce chapitre :
« Les parents qui se sentent vaguement coupables parce que le seul intérêt que leur rejeton trouve dans un dictionnaire c'est d'en sucer les coins et d'en déchirer les pages, feraient mieux de s'émerveiller du nombre de choses qu'il a apprises en deux ans et demi et qu'il est devenu capable de faire
».
« Un enfant de deux ans est toujours un sujet d'émerveillement, tout incapable qu'il est de lire un seul mot! Il est capable de résister à sa mère et de défendre obstinément son autonomie. Il sait déjà quels sont les jouets qui flottent dans l'eau de la baignoire et quels sont ceux qui coulent à pic. Il manifeste de fortes préférences pour tels aliments, tels jouets, telles activités, tels vêtements, telles personnes. Il peut être autoritaire, docile, égoïste, courageux, poltron, curieux, réfléchi, nerveux. Il sait ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas et il s'arrange pour qu'on ne l'ignore pas. Il a ses chansons et ses histoires préférées, il sait jouer avec des cubes, de la peinture, de la pâte à modeler, il sait enfiler des perles, coller, grimper, courir, sauter, et, ce qui est peut-être le plus merveilleux de tout, il commence à savoir imaginer. Il est policeman, fermier, conducteur d'autobus, docteur, marchand, et aussi maman, papa, la petite soeur ou le grand frère. Il connaît par expérience les sentiments d'amour, d'affection, de jalousie, de compassion, de haine, de crainte et d'étonnement. Il commence à distinguer ce qui vit de ce qui est animé. Il a trouvé des moyens ingénieux pour s'emparer des objets, les empiler, les déplacer. Il s'est inventé des moyens personnels pour combattre l'angoisse : serrer son ours dans ses bras, sucer le coin de sa couverture, réclamer qu'on le console et qu'on l'aide. Et il commence à acquérir l'une des qualités qui dans la vie lui seront les plus précieuses, s'il lui est donné de vivre dans un monde que nous espérons tous voir devenir de plus en plus civilisé : savoir projeter sa personnalité sur les autres, et par conséquent les comprendre ».
« Pensez à cette longue liste de performances (que j'aurais pu faire beaucoup plus longue si je ne savais pas me retenir), et vous serez bien obligé d'admettre, il me semble, que ce n'est pas si mal, pour un être qui n'est au monde que depuis vingt-quatre mois ou guère plus! N'est-ce pas encore suffisant ? Qu'est-ce donc qui nous presse tant, que nous nous croyions autorisés à exiger de lui encore davantage ? Dans une vie qui a des chances de durer quatre-vingts ans et plus, ne pouvons-nous accorder à nos petits le temps de redécouvrir le monde et eux-mêmes à leur guise et au rythme qui leur convient ? Qu'aurons-nous gagné à faire d'eux des phoques savants ? Le temps est l'un des facteurs les plus importants et les plus nécessaires de la croissance. Qu'importe que Michel-Ange et Saint Vincent de Paul aient ou n'aient pas su lire et écrire à trois ans ? Avons-nous perdu le sens de ce qui est vraiment important dans la vie ?
».
« Les petits enfants sont nécessaires aux adultes. Un bébé tout neuf est comme le commencement de toute chose - émerveillement, espoir, rêve de tous les possibles. Dans un monde qui coupe ses arbres pour agrandir ses routes, qui cache sa terre sous le béton, qui se prive de ciel et d'air pour avoir des gratte-ciel, qui pollue ses eaux, qui peuple d'usines ses montagnes et ses vallées, qui remplace les éducateurs par des machines, dans un tel monde, les bébés sont presque le seul lien qui nous relie encore à la nature, au monde naturel des choses vivantes dont nous sommes issus
. ».
« Nos enfants nous aident à prendre du recul, empêtrés que nous sommes dans nos villes bruyantes, sales et surpeuplées, manipulés et régentés par les objets et les machines. Ils nous aident à ne pas perdre de vue ce que nous sommes et vers quoi nous risquons d'aller. Tenir dans ses bras une jeune vie toute chaude, c'est plonger au fond de soi-même et s'y rafraîchir. En accablant nos petits de nos exigences et de nos ambitions gratuites, c'est l'échec que nous leur inculquons ; nous substituons en eux le découragement et le dégoût à l'enthousiasme émerveillé qui est normalement leur lot à cette période de la vie, qui les trouve parfaitement équipés pour découvrir et goûter les joies de l'existence ».
« En continuant dans la direction qui semble bien prise désormais, sans aucun doute on en arrivera aux machines à enseigner intra-utérines ! Après tout, pourquoi laisser ces êtres perdre neuf mois à ne rien faire d'autre que grandir et grossir !»
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