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Savoir dire non
Mon premier triomphe fut l'achat d'un vélo d'occasion, fruit de mes économies.
Ma mère me l'avait toujours refusé. J'allais me rompre les os. Une jeune fille à bicyclette est un spectacle indécent, et enfin (les mères se le répétaient à l'oreille) la selle de cet engin peut déchirer
ce qu'une fille a de plus précieux, mais oui, c'est comme je vous le dis.
Cher vieux vélo dont les jantes de bois gémissaient à chaque tour de roue, que de belles balades nous avons faites ensemble ! Je lui dois les printemps en fleurs, les automnes en feu, les calvaires bretons, les châteaux de la Loire, les méandres de la Seine, les champs de tulipes de Hollande. Et la brise qui caresse, le vent qui fouette et enfin, au sommet de la côte, la double volupté de la victoire et du panorama.
Ces joies, les aurais-je goûtées si ma mère, au lieu de dire « niet », m'avait offert une bicyclette avant même que je la demande ? Je pense à cela chaque fois que je vois, juché de force sur son petit vélo flambant neuf, un marmot hurlant de terreur, qui se débat entre maman qui pousse, papa qui tire. On le cajole, il pleure, on se fâche. Pauvre gosse
le vélo sera, pour lui, plutôt qu'un rêve, un cauchemar.
Les interdits de notre enfance étaient abusifs, j'en conviens, mais que de plaisirs nous leur devons quand ce ne serait que celui de la désobéissance et le goût exquis du fruit défendu.
Une éducation qui ne refuse rien, qui accorde avant qu'on désire, prive l'enfant de la joie de souhaiter, de rêver, d'espérer, de mériter et enfin, d'obtenir. Autant dire, de la joie de vivre.
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