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La femme sort de l'impasse
Coincées entre deux attitudes qui leur déplaisent autant l'une que l'autre, nombre de femmes s'interrogent sur le chemin à suivre ; d'un côté elles se rebiffent contre les injustices et discriminations dont elles sont l'objet et refusent de se sentir coupables pour l'intérêt qu'elles portent à leurs activités extra-ménagères, de l'autre elles sont agacées par les excès de certains auteurs (Simone de Beauvoir par exemple) qui les veulent en tout point semblables à l'homme et les incitent à bafouer mariage et maternité pour ne se consacrer qu'à leur carrière personnelle. Si la voie « nouvelle » est aussi décevante que le chemin traditionnel, où donc se diriger ?
Dans deux livres remarquables Le Couple et Le Malentendu du Deuxième Sexe, Suzanne Lilar (qui est la mère de l'écrivain Françoise Mallet Joris) nous entraîne avec brio hors de ce pseudo-choix vers une compréhension plus profonde et combien plus satisfaisante de la vocation féminine.
Assumer sa différence
L'idée fondamentale de l'auteur est que tout être humain est bipolarisé, ayant en lui à la fois des tendances masculines et féminines (les masculines primant chez l'homme, les féminines chez la femme). Il n'y a donc ni identité des sexes ni supériorité d'un sexe sur l'autre, le «mélange» de tendances semblables étant simplement différent d'un sexe à l'autre et surtout d'un individu à l'autre. La tendance masculine va vers le mouvement, la recherche (elle est facteur de progrès) mais aussi l'agression, la séparation, le refus ; la tendance féminine va vers le repos, l'acceptation, la tendresse, l'union, bref la paix. Ni l'individu, ni le couple, ni la société ne peuvent parvenir à maturité s'ils ne recherchent un équilibre entre ces forces contraires (mouvement-repos, agressivité-tendresse, séparation-union). C'est peut-être la grandeur de l'homme de devoir se bâtir sur l'union des contraires.
Or on constate, dans notre monde occidental, que les tendances féminines (que les hommes possèdent eux aussi) ont été systématiquement infériorisées et bafouées alors que les tendances masculines (la combativité par exemple) ont été et sont toujours glorifiées. A tel point que les femmes elles-mêmes se mettent à étouffer leurs tendances féminines et pacifiques pour ne cultiver que les masculines et conquérir ainsi la considération qu'on leur refuse. Ce faisant, au lieu de contribuer à établir une harmonie des contraires, elles accentuent le déséquilibre général.
De l'individu à la société
Jung a montré que l'inconscient de l'homme est d'essence féminine (anima) tandis que celui de la femme est de tendance masculine (animus). Pour parvenir à un équilibre psychique, tout individu doit tirer à la lumière ses côtés secrets. S'il en est incapable et s'obstine à les refouler, c'est la névrose.
Dans un couple, ce ne sont donc pas deux, mais quatre « personnes » qui s'affrontent, la tendance masculine (tout comme la féminine) étant consciente chez l'un des partenaires et inconsciente chez l'autre. Le couple « réussi » est celui où chacun des conjoints permet à l'autre de comprendre et d'accepter sa partie obscure et où la vie commune se bâtit dans l'équilibre toujours précaire de forces contradictoires.
Il devrait en aller de même dans la société. Or aujourd'hui, seules les tendances masculines semblent y triompher : que ce soit dans le sport, le travail, la vie économique ou la politique, on ne parle que de luttes, de concurrence, de compétition, de séparations (entre les races, les idéologies ou les classes), voire d'agressions. Les tendances féminines semblent absentes. Or, qu'arrive-t-il ? Notre civilisation est à tel point déséquilibrée qu'au lieu d'intégrer les tendances apaisantes, pacifiques, elle les rejette dans des sortes de ghettos. Le mouvement hippie, par exemple, ne peut fleurir qu'en marge de la société. On pourrait même se demander si l'opposition d'une partie de la jeunesse à l'«établissement» ne serait pas le refus d'une masculanisation excessive de la vie.
L'amour sanctifie.
Dans son bel ouvrage sur le couple, Suzanne Lilar démontre la faillite de l'amour en Occident et en explique les causes. A la base, toujours le même déséquilibre. Seule en effet la conception masculine de l'amour a prévalu, celle qui insiste sur le plaisir plutôt que sur les sentiments et dissocie amour et durée. De plus, le christianisme a barré la route à l'amour humain en y attachant la notion du péché et en discréditant la femme. Bien loin d'épanouir les individus, l'amour aujourd'hui se déssèche d'un côté en érotisme privé de sentiments (tendance masculine), de l'autre en sentimentalité de pacotille (presse féminine).
Nous avons, dit Suzanne Lilar, oublié la leçon de Platon pour qui l'amour humain, l'amour au sein du couple, est la voie royale offerte aux hommes pour acquérir la connaissance de soi et s'élever jusqu'à la spiritualité. Chemin ardu parfois qui nécessite la durée (exigence féminine), la domination de soi, la difficile harmonie des contraires, mais permet seul à l'être humain d'acquérir ses véritables dimensions. S'aimer, c'est recréer cette unité profonde à laquelle chacun de nous aspire.
Et notre auteur cite les couples célèbres dont l'oeuvre et la vie se sont enracinées dans un amour humain hors duquel elles n'auraient pu s'épanouir.
Alors la femme ?
La sujétion dans laquelle la femme a été tenue pendant des siècles n'a permis qu'aux seules tendances masculines de se développer pour le plus grand dommage de notre civilisation. Un contrepoids plus féminin ne sera possible que le jour où les deux sexes vivront sur pied d'égalité, car tout ce qui nuit à la femme dans notre société empêche du même coup la floraison des tendances féminines. Il faut que les hommes cessent de parquer les femmes dans des limites bien définies, il faut que les femmes, cessant d'imiter leurs compagnons, cherchent les voies qui leur sont propres. Car le problème n'est pas de savoir si la femme doit travailler, soigner les enfants ou faire de la politique, mais de définir dans quel esprit elle doit le faire, quelles sont les formules nouvelles à inventer.
Je ne peux m'empêcher, par exemple, de penser - mais ici je m'aventure au-delà de ce que nous dit Suzanne Lilar - que si les partis politiques, qui toujours divisent, sont une création éminement masculine, les associations familiales, qui, elles, rassemblent et regroupent, tiennent davantage compte des aspirations féminines. Mais voyez comme, en général, on les considère de haut ! Parce qu'elles font place à certaines valeurs féminines, elles sont d'office déconsidérées. Telle est la loi masculine sous laquelle nous vivons !
Néanmoins - et même si le chemin à parcourir reste démesuré - une femme trouve un grand apaisement dans les idées défendues par Suzanne Lilar. Enfin, elle peut s'accepter avec ses contradictions internes, qui la font un jour dominatrice et ambitieuse (selon sa tendance maculine), le lendemain pleine de conciliante tendresse. L'essentiel est qu'elle ne renie aucun de ses visages, mais apprenne à composer avec eux. Bien plus, elle doit prendre conscience qu'au niveau du couple, de la famille, de la société, elle est bien placée pour faire apparaître certaines valeurs, encourager certains modes de vie. La vocation de la femme n'est plus de s'effacer - elle ne l'a que trop fait - ni d'imiter l'homme, mais d'établir un juste contrepoids dans un monde souvent déséquilibré par son absence. Seule voie peut-être pour rendre celui-ci plus habitable.
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