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Ordre et Désordre*
L'ordre
voilà un type de problème éducatif agaçant au possible, parce qu'il ne donne jamais l'impression d'être résolu. A quoi on pourrait objecter, bien sûr, que dans toute vraie éducation rien ne donne jamais l'impression d'être définitivement résolu ! Mais, tout de même, il y a des limites à notre patience et à notre pouvoir d'inventer des solutions.
L'extrême variété des situations et des solutions.
D'emblée, il faut reconnaître cette diversité et la souligner. Parmi les mères de famille ayant vraiment réfléchi au sujet de l'ordre, je n'en ai pas rencontré deux dont les prises de position fussent identiques. C'est normal, et c'est bon signe, car il y a autant de familles que de mélanges de tempéraments; c'est-à-dire un nombre infini.
Cela une fois admis, ce qu'on peut faire, malgré tout, pour commencer, c'est essayer de trouver quelques points qui soient «névralgiques» pour toute famille. Et puis, après que chacun aurait tenté de dégager les points névralgiques particuliers à sa famille, on pourrait chercher ce que j'appellerais des «raisons universelles» d'avoir de l'ordre. On verra à la fin ce point, fort instructif pour chacune de nous !
Voici donc deux «points névralgiques» qui m'ont frappée : l'un concerne les «différences» entre membres de la famille au sujet de l'ordre ( le tempérament de l'enfant peut être à l'opposé de celui de la mère, et celui de la mère tout à fait différent de celui du père, etc.); l'autre est de tenter d'intégrer la question de l'ordre à la ligne générale éducative choisie (par exemple si l'on permet beaucoup à l'enfant, tenter de ne pas être particulièrement exigeante quant à l'ordre; mais si, au contraire, on le traite en lui donnant souvent des consignes, alors il faut essayer de maintenir la même attitude quant à l'ordre).
Les différences entre membres d'une même famille quant à l'ordre.
Si l'enfant a un tempérament très différent de celui de la mère, cela demande à la mère pas mal de patience
Mais peut-on exiger qu'il respecte notre façon d'être si nous ne respectons pas la sienne ? Si donc nous sommes des méticuleuses et que l'enfant ne l'est pas, ou si l'enfant assemble les choses selon de tout autres principes que les nôtres, il faudrait l'accepter tel qu'il est. L'essentiel est qu'il soit capable d'assembler, de réunir, d'ordonner, et non qu'il fasse à cet âge, selon tel ou tel principe imposé (sauf à l'école, bien entendu, où il s'agit de tout autre chose dans les exercices d'assemblement). Là se situe d'ailleurs un fait qu'il me semble très important de comprendre et
d'accepter : il y a des enfants qui en jouant créent une «organisation» de leurs affaires extrêmement vivante mais qui, si nous ne la regardons qu'en surface, a l'air de n'être qu'un entassement informe. Prenons bien garde de confondre désordre et merveilleux agencement vivant, où le moindre objet est rattaché à l'autre par un lien, une relation créés par l'enfant. Je ne dis pas que ce soit agréable à nos nerfs de respecter un amoncellement hétéroclite ! Je dis qu'exiger alors un «rangement» selon nos concepts à nous, c'est exiger, purement et simplement, la destruction d'un monde vivant.
D'autre part, si les frères et soeurs ont des tempéraments différents, n'exigeons pas que celui qui est bohème ait un tempérament d'archiviste - et ne demandons pas à celui qui est archiviste d'assister stoïquement à la «mise en foutoir» de ses impeccables rangements.
Le plus difficile est peut-être de concilier d'abord les tendances des parents eux-mêmes ! En supposant qu'entre eux ils s'acceptent tels qu'ils sont, avec leurs «différences» (mais
ça mènerait loin d'investiguer cela), il reste ensuite à trouver la ligne commune à imposer aux enfants. Il me semble important que nous autres mères réajustions notre manière de voir et de faire à ce que pense et ce qu'est notre mari, et que ce que nous tentons d'appliquer soit le plus possible le résultat de ce qui a été décidé ensemble. Soyons sans illusions : cette manière de faire suppose très souvent de la part de chaque parent le sacrifice de certains points de vue et façons d'être personnels. Un père qui vit, le plus heureux du monde, dans un somptueux désordre et une mère qui ne peut s'habituer à voir des livres d'étude mêlés aux chemises, comment vont-ils élaborer, les pauvres, une ligne d'action commune vis-à-vis des enfants ? Il faut essayer tout de même. Mais n'appliquer ce dont on a convenu ensemble qu'avec un vrai acquiescement de part et d'autre, car s'il y a une sorte de «rogne» silencieuse entre les parents, ou une sensation de vainqueur et de vaincu, il vaudrait mieux que nos enfants voient les deux points de vue s'opposer explicitement plutôt que de se trouver implicitement être un lieu de discorde. (Et que de fois, bon sang, les enfants ne sont-ils pas ainsi une sorte d'enjeu pour les parents, chacun essayant, souvent inconsciemment, de les tirer à soi ou de s'imposer à travers eux).
Une éducation cohérente.
Cohérence, donc, si possible, entre les parents. Mais cohérence aussi, et plus largement, entre la manière de résoudre le problème de l'ordre et celle de résoudre tous les autres problèmes posés par l'éducation. Cela n'est pas facile et personne ne pourrait dire qu'il y parvient. Mais tout le monde peut le tenter : tenter de traiter le problème de l'ordre de telle sorte qu'il s'intègre à l'attitude générale adoptée, c'est-à-dire de telle sorte qu'il ne soit pas en contradiction avec le reste. Par exemple : si l'attitude générale met l'accent sur l'initiative et l'expression de soi, sur tout ce qui est créativité, comment ensuite exiger, sans qu'il y ait contradiction, la «mise en ordre» d'une série de personnages organisés en représentation de cirque ? Ils ont été vécus intensément comme tels tout au long de la journée, peut-être même a-t-on admiré. L'enfant pourrait éprouver leur «rangement forcé» comme une incompréhensible (et violente) exigence.
Bref : on ne peut à la fois encourager une tendance et brusquement la brimer. Il s'agit, répétons-le, d'enfants d'au-dessous de 5 ans, pour qui les raisons doivent être très simples et immuables. (Encore faut-il dire que beaucoup de parents ne seraient pas d'accord d'avoir à donner des «raisons» à cet âge-là !).
Les raisons universelles.
Puisqu'on parle des «raisons», passons à la recherche d'éventuelles raisons «universelles». Par universelles, j'entends à la fois qu'elles soient applicables à tous et qu'elles puissent subsister tout au long de la vie.
Une mère m'a dit un jour :«Il n'y a qu'a donner cette raison : tout le monde doit apprendre à avoir de l'ordre». Qu'en pensez vous ? Cet argument ne me semble juste qu'en partie, dans l'exacte mesure où vivre en société c'est aussi se plier à certains usages. Mais, si on espère amener un jour l'enfant à avoir de la liberté d'esprit et de jugement, et si on oriente son éducation vers ce but, peut-on lui donner un argument comme «tout le monde»
? Plus tard - et ce sera bientôt - on lui dira précisément : «Ce n'est pas parce que tout le monde fait ceci - ou cela - que tu dois vouloir le faire aussi».
Il n'est donc pas facile de trouver des raisons vraiment universelles
. Personnellement, je n'en ai trouvé que deux. L'une est : on met en ordre pour pouvoir retrouver. L'autre : on met en ordre pour ne pas gêner les autres. L'une est très vite compréhensible; l'autre l'est un peu plus tard, et a de l'importance pour l'aspect social qu'elle suppose, car faire sa place à chacun dans la famille, c'est apprendre à vouloir à fond, plus tard, que chacun existe.
Il reste que si vous avez un enfant qui a une excellente mémoire, la première raison (pouvoir retrouver) est inutilisable. Et si un autre enfant ne laisse jamais traîner ses affaires ailleurs que dans la surface qui lui a été impartie, c'est la seconde (ne pas gêner autrui) qui est inapplicable. Enfin si, par malchance (!), votre enfant participe aux deux cas, vous n'avez plus de «raisons» à lui donner
Dans ce dernier cas - désespéré - quoi faire ? quoi exiger ?
Se résigner.
On pourrait - si le père est d'accord - se résigner, dans ce cas extrême, à une sorte de désordre constant. Naturellement, si c'est pour ensuite accuser l'enfant de ce même désordre chaque fois que des «visites» verront sa chambre chaotique, alors non merci. Permettre telle attitude à un enfant pour ensuite le désavouer en public, ça, c'est odieux de lâcheté. L'attitude que nous avons choisie, quelle qu'elle soit, nous nous devons de l'assumer pleinement.
Retirer en douce.
Il y a aussi les partisans de «retirer en douce». Là encore, selon les parents, selon l'enfant, la solution est applicable ou non. Cette attitude peut être adoptée sans aucun dam vis-à-vis de certains enfants, alors que pour d'autres elle serait dangereuse (angoisses diverses). Une chose demeure : si nous ne permettons pas à nos enfants de jeter nos affaires, de quel droit nous permettrions nous de jeter les leurs à leur insu ? Il nous faut pourtant survivre. Alors
Requérir la participation de l'enfant.
Ranger avec l'enfant, ou au moins avec son accord, me semblerait personnellement une bonne solution. S'il n'y a pas accord, tant pis : attendre le plus patiemment possible un moment plus favorable
Pour l'encourager : pourquoi ne pas donner l'exemple en rangeant d'abord avec nos enfants nos affaires à nous - et en supprimant quelques-unes au passage ? (Excellent pour nos placards, et pour l'apprentissage, toujours à refaire, de notre liberté face à nos propres «possessions»).
En conclusion.
Il y a une gamme de solutions possibles.
Pour qu'elles soient bonnes, il suffit qu'elles soient adaptées à la fois à ce que nous sommes et à ce que sont nos enfants. La question demeure ouverte de savoir si nous savons suffisamment ce que nous sommes et ce qu'ils sont. Mais ça, c'est une tout autre histoire.
*Les réflexions de cet article concernent les enfants avant cinq ans.
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