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Aimer ne suffit pas

J'aurais voulu, plus que tout au monde, donner à mes enfants la paix. Je croyais au départ que l'amour, si je le jetais tout entier dans la balance, créerait à coup sûr en eux la sécurité indestructible que, fût-ce au prix de ma vie, je voulais leur donner. Je croyais que l'amour pouvait tout, qu'il était vraiment l'outil, le seul, toujours efficace. Qu'il pouvait aussi bien renverser le monde qu'aider un être à se créer. Je croyais que, du microcosme au macrocosme, l'amour pouvait, tel un laser, tout traverser. Pour tout transformer. Je croyais que les pires situations, les plus terribles drames, les déchirements les plus nocifs pouvaient être, par lui, désenvenimés, désamorcés.

Je l'ai cru comme seuls ceux qui se savent faibles, les vulnérables, peuvent croire, ceux qui, éprouvant qu'ils ne sont rien, ont un besoin vital de savoir qu'existe, même pour eux, la possibilité d'agir, de tenir en échec les menaces de dissolution. Et peu importe, pour ceux-là, le prix à payer, car ils se disent qu'ils n'ont rien à perdre.

Et voilà qu'en tant que mère j'ai découvert que l'amour ne suffisait pas. Qu'ayant jeté dans la balance mon tout dernier gramme d'amour, je la voyais pencher encore de l'autre côté, celui de l'angoisse de mon enfant, cette angoisse si lourde parfois, si lourde, mon Dieu, que pourquoi la permettez-vous donc…

J'ai alors essayé de réfléchir. J'ai essayé de me dire et de me redire que mon amour était, à coup sûr, une des conditions qui aideraient mon enfant à trouver la paix. Qu'il était, certainement, une condition sans laquelle les autres, même toutes réunies, resteraient inopérantes.

Mais rien à faire: toujours, la vérité en face de moi se dressait, et je ne pouvais rien contre elle: l'amour n'était pas la seule condition, puisqu'il ne suffisait pas.

Toutes mes espérances s'écroulaient, et ma dernière certitude. Et j'ai vécu mon impuissance jusqu'au fond des entrailles, jusqu'à la moelle des os: l'impuissance d'une mère à donner la paix à son enfant, à un être que pourtant elle aime de toute sa substance et pour lequel elle donnerait cette substance même.

Dans cette soudaine pauvreté absolue qu'il a bien fallu assumer puisqu'elle était terriblement réelle, j'ai essayé de remanier mon être. Comment accueillir cet inaccueillable sentiment? Tout se révoltait contre lui.

Si je ne peux rien pour mon enfant, absolument rien pour ce qui est de sa paix, et qu'en même temps j'en suis - ou je m'en sens - par la force des choses responsable, le conflit me fait éclater. Il m'atomise.

Je ne voulais pas être pulvérisée. Je voulais de toutes mes forces résister à cet éclatement. Alors, à cause peut-être de cette volonté de survivre, j'ai fini par découvrir, au bout d'un très long temps, une vérité qui eût été depuis longtemps atteignable, mais qui ne me serait jamais venue aussi clairement à l'esprit sans ce drame intérieur. En effet, c'est en voulant tenter de me familiariser avec cette impuissance de l'amour, d'en apprivoiser la souffrance, c'est en essayant de ne plus en faire un mur de béton où ma chair vive se déchirait indéfiniment, me laissant de plus en plus meurtrie, c'est alors que m'a sauté aux yeux ceci: en voulant assumer comme je le faisais la responsabilité de mon enfant, je prenais la place de Dieu lui-même. Il n'était alors pas étonnant que j'en éprouve de l'angoisse, ni que de cette angoisse ne puisse surgir aucune paix pour l'enfant.

Sans m'en rendre compte, j'avais risqué de me croire le seul être à porter l'existence de mon enfant. Oh! j'ai des excuses bien sûr: on m'avait tellement dit que la mère, à ces âges-là, est responsable de tout, et qu'il tient à elle, et à elle seule, que l'enfant soit épanoui ou anxieux; que plus tard il devienne un adulte pouvant faire face à tout ou, pour toujours, un pauvre inadapté.

Mais voilà: dans cette pauvreté brusquement révélée j'avais dû, pour le meilleure et pour le pire, voir que je n'étais pas seule face à mon enfant: il y avait, s'il existait, Dieu, il y avait le père, il y avait les premiers maîtres d'école, il y avait les amis, la parenté, les voisins; il y avait la richesse ou la misère de ces influences diverses. Il y avait sa propre personnalité. Il y aurait, de plus en plus, son profond besoin à lui de s'inventer lui-même, d'inventer sa vie, sa vision du monde. D'inventer aussi sa paix, pourquoi pas. J'ai vu qu'autant un enfant a besoin que nous ne nous désistions jamais de notre situation, si complexe et souvent ambiguë, de parents, autant il a besoin, et l'aura de plus en plus en grandissant, que nous assumions, à notre époque plus qu'à aucune autre, notre totale et tragique pauvreté à son égard. A notre époque plus qu'à aucune autre parce qu'il faut maintenant réinviter toutes les structures, repenser toutes les modalités de relation et leur essence même. Plus que jamais peut-être, le monde s'apparaît lentement à lui-même entretissé de dépendances multiples. Plus que jamais donc, il faudrait être ouvert de cent brèches, pour notre propre liberté et pour libérer tout l'espace nécessaire à celle de nos enfants. A l'inverse, moins que jamais se mouvoir dans un système aux coordonnées fixes, moins que jamais s'affirmer «totalitaire» ou monolithique.









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