|
|
Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
L'éloge de la fatigue
Vous me dites, Monsieur, que j'ai mauvaise mine,
Qu'avec cette vie que je mène, je me ruine,
Que l'on ne gagne rien à trop se prodiguer;
Vous me dites enfin que je suis fatigué.
Oui, je suis fatigué, Monsieur, et je m'en flatte.
J'ai tout de fatigué, la voix, le coeur, la rate;
Je m'endors épuisé, je me réveille las;
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m'en soucie pas.
Ou, quand je m'en soucie, je me ridiculise.
La fatigue, souvent, n'est qu'une vantardise
On n'est jamais aussi fatigué qu'on le croit!
Et quand cela serait, n'en a-t-on pas le droit?
Je ne vous parle pas des sombres lassitudes
Qu'on a lorsque le corps, harassé d'habitudes,
N'a plus pour se mouvoir que de pâles raisons,
Lorsqu'on a fait de soi son unique horizon,
Lorsqu'on n'a rien à perdre, à vaincre ou à défendre!
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre;
Elle fait le front lourd, l'oeil morne, le dos rond,
Et vous donne l'aspect d'un vivant moribond
Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s'est fait responsable;
Savoir qu'on a des joies ou des pleurs dans ses mains,
Savoir qu'on est l'outil, qu'on est le lendemain.
Savoir qu'on est le chef, savoir qu'on est la source,
Aider une existence à continuer sa course
Et pour cela se battre et s'en user le coeur,
Cette fatigue-là, Monsieur, c'est du bonheur!
Et sûr qu'à chaque pas, à chaque assaut qu'on livre,
On va aider un être à vivre ou à survivre;
Et sûr qu'on est le port et la route et le gué,
Où prendrait-on le droit d'être trop fatigué?
Ceux qui font de leur vie une telle aventure
Marquent chaque victoire, en creux, sur leur figure;
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus,
Parmi autant de creux, il passe inaperçu.
La fatigue, Monsieur, c'est un prix toujours juste.
C'est le prix d'une journée d'efforts et de lutte,
C'est le prix d'un labour, d'un mur ou d'un exploit,
Non pas le prix qu'on paie, mais celui qu'on reçoit.
C'est le prix d'un travail, d'une journée remplie,
C'est la preuve, Monsieur, qu'on vit avec la vie.
Quand je rentre la nuit et que ma maison dort,
J'écoute mes sommeils, et là, je me sens fort,
Je me sens tout gonflé de mon humble souffrance
Et ma fatigue alors est une récompense.
Et vous me conseillez d'aller me reposer!
Mais si j'acceptais là ce que vous proposez,
Si je m'abandonnais à votre douce intrigue,
Mais je mourrais, Monsieur, tristement
de fatigue.
|
|
|