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Les adolescents singuliers
Les généralités sur les générations me gênent. Tous les quinze ans, on nous explique que la nouvelle génération diffère essentiellement des générations précédentes. L'abîme entre les générations est, avec le péril jaune et la crise du roman, un des serpents de mer préférés des chroniqueurs en mal de copie. Et comme il ne s'agit pas seulement de décrire les jeunes gens, mais aussi de les flatter, on exalte leur prétendue originalité. Tout cela sur un ton prophétique ad hoc qui est d'une involontaire et irrésistible drôlerie.
Ce ne sont pas les générations qui sont différentes, ce sont les individus. Dans une génération, il y a quelques rares originaux et une immense masse conforme. Une génération rebelle, ça n'existe pas, et je dirai de la singularité ce que Nietzche disait de la beauté: qu'elle est le privilège de quelques-uns.
Ce sont les médiocres qui se ressemblent et qui s'assemblent. Un garçon ou une fille, dès lors qu'il/elle a plus d'intelligence et de coeur que son entourage, fait nécessairement l'épreuve de la solitude et l'expérience de la rupture. Quand j'interroge un gosse fin et sensible sur ses camarades de classe, j'ai toujours droit à la même réponse: «ils n'ont aucun intérêt, ils sont complètement débiles».
Lorsque j'avais seize ans, le monde adulte me faisait horreur, et j'étais résolu à ne jamais m'y incorporer; mais je me sentais également très différent des garçons de mon âge. «Comme tout serait plus facile, si j'étais pareil aux autres!», écrivais-je. Je ne ressemblais à personne et personne ne me ressemblait. Je faisais mien les mots de l'homme du sous-sol chez Dostoïevski: «Je suis seul, tandis qu'eux, ils sont tous
»
Certes, il existe des modes, mais elles n'ont qu'un intérêt minuscule. Les adolescents de l'un et l'autre sexe qui me captivent ne sont pas ceux qui suivent les modes, mais ceux qui y échappent. Au reste, même chez ceux qui se conforment aux modes, celles-ci n'ont pas l'importance que l'on croit. L'uniformité des vêtements, des distractions, des moeurs, du langage, n'est qu'apparente: sous la grisaille de surface, demeure la chatoyante diversité des tempéraments et des dons.
Cela est d'autant plus vrai que les modes de la jeunesse ne sont souvent que des inventions du mercantilisme adulte. Adolescents, nous avons dansé sur la musique des Platters; nos cadets immédiats ont dansé sur celle des Beatles; aujourd'hui, ce sont de nouveaux groupes que l'on entend à la radio et dans les discothèques; mais pas plus dans les années 50 que dans les années 70, les jeunes Français n'auront, dans ce domaine, fait autre chose que subir la loi de ce qu'il est convenu d'appeler le showbusiness.
Mercredi dernier, une adolescente, qui est en première A dans un lycée de la région parisienne, me disait l'étonnement réprobateur de son professeur de français, quand il l'a surprise lisant un livre de Gide. Sans doute, Gide ne figure-t-il pas sur la liste officielle des auteurs que sont censés lire les moins de vingt ans.
C'est à la fois risible et effrayant. Risible, car, grâce à Dieu, nombreux sont les adolescents qui se moquent des oukases de la mode. Effrayant, car nous aurions tort de sous-estimer le pouvoir conjugué du dogmatisme et du snobisme.
Beaucoup de jeunes, impressionnés par un article péremptoire sur la façon dont les gens de leur génération doivent penser et vivre, risquent de ne plus oser être eux-mêmes; ils peuvent être tentés de se conformer à l'image prête à porter qu'on leur offre. Avoir une relation de tendresse et d'éveil avec un/une adolescent(e), c'est lui apprendre à rire des discours préfabriqués sur la génération nouvelle; c'est l'aider à échapper au troupeau et à aimer son immarcescible singularité.
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