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Entretien avec un jumeau
M. L. - Maintenant que vous êtes adulte et père, pouvez-vous dire ce qui a caractérisé votre propre enfance? En quoi par exemple votre vie a été différente de celle de vos propres enfants?
Vincent -Comme jumeau, j'ai eu une chance exceptionnelle: celle de ne connaître ni la solitude, ni l'ennui. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu un compagnon pour jouer, me plaindre, récriminer, lui donner la main ou me battre avec lui.
Je me rappelle avec exactitude le moment où j'ai découvert qu'on pouvait s'ennuyer. J'avais douze ans et nous commençions à passer des jours de congé avec des amis différents. Quelle expérience de découvrir qu'on peut être seul!
M. L. - Avez-vous d'autres impressions?
Vincent - Oui. Surtout celle d'être tout le temps coupable de ce que je suis. Ma nature me pousse à l'action, aux initiatives, à la recherche scientifique. Mon frère est plutôt contemplatif, poète, mystique. Or, quand nous étions jeunes, j'avais constamment le sentiment de lui faire de l'ombre, de l'empêcher de s'épanouir. J'ai vécu avec la certitude d'être personnellement coupable de sa timidité, de sa myopie, de ses maladies.
M. L. - Au point où vous en êtes, actuellement, pouvez-vous préciser si vous étiez seul à vous croire responsable des réactions de votre frère ou si cette conviction était aussi celle de vos parents?
Vincent - Ce que je peux affirmer, c'est que mes parents se penchaient à tout propos sur le sort de mon frère. Ils le considéraient comme un être faible qui a besoin d'égards, de soutien, de revalorisation. Tandis que moi, j'étais bien assez fort comme j'étais. Trop! Je crois que mes parents trouvaient que j'étais suffisamment doué par la nature. Ils craignaient d'en rajouter et d'augmenter encore les différences qui, à leurs yeux, risquaient de nous séparer.
M. L. - N'est-ce pas une réaction très répandue dans toutes les familles, même là où il n'y a pas de jumeaux?
Vincent -Je le pense. Mais quand les enfants sont nés les uns après les autres, on admet plus facilement qu'ils ne marchent pas forcément au même âge, qu'ils ne se mettent pas à parler à la même époque, qu'ils manifestent des aptitudes dissemblables. Je le vois avec nos trois enfants. Ils ont beau être issus des mêmes parents, ils réagissent chacun à leur manière face aux difficultés et au plaisir. Et nous nous adaptons au mieux. Nous ne nous attendions pas à ce qu'ils soient des copies exactes d'un même modèle. Tandis que des jumeaux
M. L. - Vous soulevez là l'un des problèmes les plus délicats pour les parents: admettre que chaque enfant est un être unique, semblable à aucun autre dans la famille et sur la terre entière. Ce serait tellement plus simple si on pouvait tous les réduire à un commun dénominateur! On aurait la même méthode valable pour tous, le même régime, les mêmes heures de sommeil. Quel repos pour les parents!
Vincent - Mais, quelle monotonie aussi! Où serait la vie, les échanges, les confrontations fructueuses?
M. L. - Et que deviendrait un être qui ne se croirait pas autorisé à devenir ce qu'il est? Qui passerait son existence à imiter l'autre, à s'efforcer de camoufler ce qui le distingue d'autrui
Ces réflexions me rappellent deux faits. Le premier, assez anodin en apparence, mais qui donne déjà à penser: Dans une école enfantine, deux jumelles reviennent des vacances d'été. «Comme tu as bruni!» dit l'institutrice à l'une d'elles qui se déshabille pour la leçon de gymnastique. La fillette réfléchit. Elle éprouve le besoin de vérifier. Elle descend de quelques centimètres le slip de sa soeur et approuve: «Eh! oui, c'est vrai.»
Le second frôle le drame. Il s'agit de deux jumeaux bivitellins, garçon et fille. En grandissant, le garçon a adopté des goûts et des attitudes de plus en plus efféminées. Et la fille s'est transformée en cheval de bataille. On a l'impression que, à force de se persuader que «c'est l'autre qui a raison», chacun des deux a quitté sa propre peau pour essayer de se déguiser avec celle de l'autre.
Vincent - L'envie d'être comme l'autre ne conduit heureusement pas toujours à de telles extrémités. Il n'empêche que les efforts faits par les parents pour accepter chacun de leurs enfants tels qu'ils sont -jumeau ou non, fille ou garçon, dynamique ou rêveur, collectionneur ou aventurier - ne sont jamais des efforts inutiles.
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