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Je me sanctifie moi-même pour eux (1)
A cette époque de l'année on a dans tous les domaines l'impression d'entrer dans une période nouvelle d'activité; au sortir des vacances on prépare la «campagne d'hiver». Le travail de l'éducation ne connait guère ces distinctions; il se poursuit été comme hiver; et cependant la rentrée des classes, l'organisation de leçons nouvelles, la reprise d'une vie de famille plus serrée, légitime, l'impression d'un commencement nouveau; et bien des parents éprouvent peut-être le besoin de joindre à la préparation extérieure de la vie familiale des mois prochains une préparation intérieure à la tâche éducative nouvelle qui va leur être imposée. En effet les enfants se sont développés; des faits nouveaux vont surgir, des conflits nouveaux apparaître, des problèmes vont se présenter, des joies, des difficultés inconnues vont poindre à notre horizon. A ce point de vue notre première réunion sera une heure de retraite salutaire.
Plaçons-nous d'emblée à l'école de Jésus et éclairons notre travail futur d'une parole de Lui, suggestive pour tout serviteur de Dieu chargé d'un ministère mais très particulièrement féconde pour des parents, car l'éducation est elle aussi un très réel ministère. Dans la prière sacerdotale prononcée dans la chambre haute où il avait réuni ses apôtres le soir qui précéda sa mort, Jésus s'exprime ainsi: «Je me sanctifie moi-même pour eux». (Jean 17.19) Cette parole, étrange au premier abord, jette une lumière sur la façon dont Jésus concevait et remplissait sa tâche. Deux versets plus haut, Jésus avait dit à Dieu: «Sanctifie-les par ta vérité.» Qu'il adresse à Dieu cette prière, rien de plus naturel, mais s'Il ajoute: «Je me sanctifie moi-même pour eux», c'est qu'Il estime que pour le salut et la sanctification des disciples, sa prière ne suffit pas; il ne suffit pas de réclamer du dehors l'intervention de Dieu dans leur coeur, mais à Lui-même il incombe dans cette oeuvre une part personnelle, Il doit non seulement prier, mais se sanctifier, et cela non pour Lui, mais dans l'intérêt même de ses disciples; Il a à agir sur eux non par ce qu'il leur dira ou leur enseignera, mais par ce qu'il sera au milieu d'eux; Il doit être. Avons-nous compris la puissance d'une vie ? Quand Dieu voulut sauver le monde, Il ne donna pas aux hommes un recueil de directions religieuses, de maximes morales, Il plaça au milieu d'eux une personnalité sainte, et c'est la vie de cette personnalité qui devait agir au sein de l'humanité comme le levain au sein de la pâte; lorsque Jésus désigna sers douze apôtres, l'évangile de Marc nous dit qu'il les choisit pour «être avec Lui et pour les envoyer évangéliser»; ceux-ci devaient donc se préparer à évangéliser en «étant avec Lui»; qu'est-ce à dire ? si non qu'un développement efficace, une éducation féconde devaient résulter pour eux non seulement des paroles qu'ils recueilleraient de sa bouche mais du contact avec sa personne, de l'influence de son exemple, en un mot de ce qu'il était. Ne savons-nous pas que dans une foule de domaines, militaire, scolaire, et autres, l'autorité dont jouit un homme, ne naît ni de ses paroles, ni de sa situation antérieure, mais de ce qu'il est.
Les paroles peuvent confirmer l'action de la vie, elles apportent un appoint; elles ne peuvent la remplacer; la vie en revanche peut remplacer les paroles; représentons-nous une mère affligée de l'infirmité du mutisme mais dont la vie est sainte; elle ne peut rien dire à ses enfants, mais son regard resplendit de pureté et de lumière, son accueil est toujours bienveillant, ses actions sont empreintes de bonté, la patience et la douceur pénètrent sa conduite, sa voie est droite et ferme, certainement l'influence de cette mère sera puissante sur ses enfants, il ne se pourra pas qu'elle ne laisse une trace sur leur être.
Il est donc de toute importance pour le succès de notre tâche éducative que nous soyons: que nous soyons quoi? ce à quoi nous voulons amener nos enfants, que nous soyons saints; un professeur ne pourra amener des élèves à devenir des savants que s'il est savant lui-même; un maître de métier ne réussira à produire de bons ouvriers que s'il est lui-même menuisier capable ou habile serrurier. Il est impossible que nos enfants deviennent saints si nous ne nous sanctifions pas nous-même pour-eux. Si nous sommes saints, notre influence salutaire sur eux est assurée, même au travers d'autres lacunes de notre personnalité; tandis que bien des déficits s'expliquent chez certains enfants par le fait que leurs parents n'ont pas été ce qu'ils devaient. Il y a un lien intime entre notre vie intérieure et l'action que nous exerçons; il serait illusoire de vouloir les séparer; il est bon de travailler sur l'âme de nos enfants, mais il est indispensable de travailler d'abord sur la nôtre. Ce travail personnel nécessaire déjà pour notre propre salut, acquiert une nouvelle raison de se produire en vue du salut de nos enfants. N'y aura-t-il pas là un encouragement, un stimulant pour nous-mêmes à ne pas faiblir dans la vigilance spirituelle, alors que l'amour pour nos enfants deviendra un moteur de notre propre développement spirituel.
Et comment n'en serait-il pas ainsi? Nos moyens d'action sur nos enfants sont au nombre de quatre: le rayonnement qui s'échappe de notre personne, la prière, nos actes qui constituent un exemple, nos paroles. Chacun de ces moyens ne trouve sa puissance que dans la vie intérieure qui les inspire: un rayon qui réchauffe ou illumine, ne peut émaner que d'un foyer qui brûle, la prière ne sort vivante et continue que d'une âme en communion avec Dieu, c'est de l'abondance du coeur que la bouche parle, et c'est dans le coeur aussi que nos actes trouvent leur source. Si le coeur ne se développe pas sous l'action de l'esprit divin, tous ces moyens, privés d'une inspiration sainte, perdront toute efficace bienfaisante et salutaire.
Comment Jésus se sanctifiait-il lui-même? Tout d'abord par et dans le recueillement: toutes les grandes oeuvres se préparent dans le silence du
recueillement: il nous faut du recueillement pour que nous puissions écouter Dieu; Jésus écoutait Dieu avant de parler au dehors, Il regardait d'abord en Dieu les oeuvres qu'Il accomplissait ensuite en public; - il en faut pour que nous puissions apprécier le chemin parcouru et pour considérer d'avance, celui qui est devant nous; - il en faut pour pouvoir nous ressaisir et nous posséder nous-mêmes au sein de l'agitation de l'existence et n'être pas à la merci des sollicitations diverses qui nous assaillent ou des suggestions de notre coeur naturel. Ici se dressent, je le sais, de nombreux obstacles; une mère de famille ne dispose ni d'elle-même ni de son temps; cela est vrai, mais néanmoins il faut vouloir trouver du recueillement; c'est une question vitale pour notre tâche éducative; une mère ne saurait être uniquement une Marthe affairée, il lui faut être aussi une Marie assise aux pieds de Jésus. - Une autre oeuvre de sanctification sera la prière: nous savons comment Jésus alimentait son âme à cette source; qu'elle soit aussi le ressort de notre action maternelle - et avec la prière la lecture de la Bible: que de richesses nous offre ce livre pour réaliser notre propre développement autant que pour éclairer notre tâche: trouver parfois sa mère retirée quelque part sa Bible en mains, produit sur un enfant une impression profonde et durable; il sait désormais où sa mère puise les forces d'amour de sagesse, de patience et de sérénité qu'il voit se renouveler constamment en elle. - Enfin il n'y a pas de sanctification sans obéissance: c'est en réalisant la volonté de son Père que Jésus se sanctifiait: ne tolérons aucun désordre dans notre vie intérieure, aucun interdit dans notre coeur, aucun défaut dans notre caractère; vous avez fait sans doute l'expérience combien le malaise de la conscience rend nerveux et irritable au dehors; que notre conscience soit toujours limpide; si nous ne pouvons éviter certaines chutes, que nos enfants voient que nous n'en prenons pas notre parti et qu'il n'y a pas en nous, vis à vis de nous-même d'indulgence coupable; une inconséquence dans notre conduite, une infidélité de notre part, un compromis avec le mal, deviendrait pour eux un scandale, une occasion de chute, et compromettrait toute notre influence. Je me sanctifie moi-même pour eux: que ce travail intérieur marche parallèlement avec celui de notre mission paternelle et maternelle.
On a souvent constaté que les grands hommes avaient eu des mères remarquables dont l'influence expliquait leur supériorité; certainement ceux d'entre eux qui ont marqué dans le domaine moral et spirituel, ont eu des mères douées d'une vie intérieure profonde, et qui travaillaient elles-mêmes au développement de leur propre âme. Nous avons des enfants à élever, c'est-à-dire à conduire plus haut: il ne suffit pas à un guide de montrer du doigt un sommet au voyageur pour le lui faire gravir, il ne se borne pas non plus à arpenter la plaine; c'est en montant lui-même qu'il entraîne ses compagnons à sa suite. Courage donc! la sainteté est un sommet, gravissons la colline, et nos enfants la graviront après nous.
(1) Cette allocution a été prononcée à la séance de reprise d'une réunion de mères au début de l'hiver.
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