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Arrivée d'un deuxième enfant dans la famille (suite)
La jalousie
Disons tout de suite qu'en parlant de la jalousie de l'aîné, nous n'allons pas parler d'un défaut, d'une tare contre laquelle il faut lutter, mais d'une souffrance que nous devons essayer de comprendre et de soulager.
Il est important de considérer que la jalousie est absolument normale, surtout lorsque l'aîné est encore jeune (âge pré-scolaire). J'irais même jusqu'à dire qu'un enfant qui ne manifesterait aucune jalousie au moment de la naissance d'un cadet aurait plutôt tendance à m'inquiéter.
Considérons donc la chose sous son angle positif: il n'y aurait pas de jalousie s'il n'y avait pas d'amour. En exprimant sa jalousie, l'enfant nous indique aussi à quel point il nous est attaché et à quel point il a peur de perdre notre affection. Malheureusement, il choisit souvent des moyens d'expression qui nous énervent, nous effrayent, nous font perdre notre sang-froid; nos réactions le renforcent alors dans sa conviction que «nous l'aimons moins», ce qui le pousse à des actes de plus en plus désespérés. Est-il possible de sortir de ce cercle vicieux?
Là, je vais parler en tant que psychologue, parce que, en tant que mère, je sais combien de fois j'ai échoué, combien de fois je me suis surprise à faire ou à dire des choses «qu'il ne faut surtout pas dire ou faire»!
La jalousie entraîne souvent de la part de l'aîné des gestes violents voire dangereux pour le bébé. Ceci nous inquiète, parfois nous affole, et il devient très difficile de ne pas nous laisser aller nous-même à des actes violents.
L'idéal serait de sanctionner fermement (par exemple prendre rapidement de la main de l'enfant l'objet dangereux, ou l'emmener dans une autre pièce) et parler avec lui. Gardons à l'esprit que l'enfant n'est généralement pas conscient de son désir agressif et qu'il serait maladroit de lui interpréter son comportement tel que nous le comprenons.
Parlons-lui donc de la réalité dont il peut être conscient: «Tu vois, ta petite soeur (ton petit frère) est encore très fragile, il ne peut pas se défendre; plus tard, tu pourras te bagarrer avec lui comme un grand, mais maintenant ce n'est pas possible.» Lui parler de sa souffrance: «Je sais que tu ne fais pas cela parce que tu es méchant. Ce n'est pas toujours drôle d'avoir un petit frère, tu dois partager papa et maman, prêter ta chambre, tes affaires, je comprends que parfois, c'est dur pour toi.» Lui parler du futur et des compensations qu'il y a à avoir des frères et soeurs: «Tu vas avoir quelqu'un avec qui jouer même quand il n'y a pas de copains, tu ne dormiras plus seul
»
Nous devons aussi garder à l'esprit que les gestes violents et dangereux sont parfois tout simplement liés à l'ignorance, à la maladresse ou à la curiosité. Il serait souhaitable de laisser l'aîné toucher le bébé, l'explorer, le tripoter, le porter de temps en temps, même si cela nous donne quelques inquiétudes!
Essayons surtout de prévoir absolument des petits moments où l'on s'occupe de l'aîné seul (histoire, bricolage, promenade) et supportons qu'il n'en soit pas forcément reconnaissant; supportons même qu'il choisisse justement ces moments pour être agressif ou très bébé lui-même!
Parlons-lui aussi souvent de quand il était bébé. On peut lui montrer des photos, lui dire ce qu'on faisait avec lui, lui parler du plaisir que l'on a eu quand il est né, et après.
Lui parler aussi du plaisir que l'on a avec lui maintenant, lui dire que c'est chouette qu'il soit plus grand, que l'on peut avoir d'autres échanges, d'autres activités, que nous sommes heureux de le voir grandir.
Ce qu'il faut encore dire à propos de la jalousie, c'est que parfois elle n'apparaît pas dans les premiers jours, semaines ou même mois après la naissance. Certains enfants n'ont vraiment conscience de la place que prend le cadet que quand celui-ci commence à marcher à quatre pattes et intervenir dans ses jeux et ses activités. Souvent les parents n'y comprennent plus rien: «Il était si gentil, si content, qu'est-ce qui lui arrive?»
En conclusion de ce chapitre, je dirai qu'il y a une chose que l'aîné a eu et que le cadet n'aura jamais: ses parents pour lui tout seul pendant un certain nombre de mois. C'est aussi quelque chose qu'on peut lui dire, tant il est vrai que parfois nous nous sentons presque coupables de ne pas entourer le cadet de toute l'attention, de tout l'émerveillement et de tout le temps que nous avons accordé à l'aîné.
Chaque place dans la famille comporte bel et bien ses inconvénients, et si nous arrivons à en parler ouvertement à nos enfants, ils arriveront eux-mêmes à découvrir quels en sont aussi les avantages.
La régression
Pour finir, j'aimerais parler des comportements régressifs, si fréquents chez un aîné à la naissance d'un cadet. Ces comportements sont naturellement liés à la jalousie dont nous venons de parler.
En effet, si un enfant s'imagine que ses parents l'aiment moins qu'avant, qu'ils s'intéressent plus au bébé qu'à lui, qu'il se rappelle «qu'avant c'était mieux», quoi de plus logique que de reprendre des comportements de bébé?
On va donc voir un aîné presque propre ou déjà propre se remettre à salir ses culottes, un enfant qui mangeait très bien à la cuillère demander des biberons, un enfant qui parlait bien devenir difficilement compréhensible, zézailler voire bégayer. Tout ceci n'est pas très facile à supporter pour les parents. Non seulement cela peut représenter un surcroît de travail, mais nous nous mettons à douter de nos méthodes éducatives, du bon niveau et du bon équilibre de notre enfant. On a souvent l'impression que «tout est à refaire».
A ce niveau, je crois qu'il est de nouveau très important de se dire que premièrement l'enfant ne fait pas exprès, et que deuxièmement la régression n'est pas quelque chose de mauvais, de néfaste dans le développement d'un enfant, mais plutôt un mécanisme qui peut être structurant et lui permet de consolider ses bases.
Il semble donc que l'attitude la plus adéquate consiste à laisser l'enfant revivre ce qu'il a envie de revivre.
Lui remettre des langes pendant un certain temps est finalement moins fatigant que de vérifier toutes les demi-heures si les culottes sont sales ou de lui courir après avec le pot.
Je suis profondément convaincue qu'un enfant qu'on laisse bien régresser, sans tensions ni commentaires négatifs, renonce de lui-même et assez vite à ces comportements. Par contre, si les parents résistent, menacent, punissent, ils vont immanquablement fixer pour plus longtemps les comportements qu'ils désirent voir disparaître.
On peut aussi très bien montrer à l'enfant qu'il s'agit d'une espèce de jeu et lui proposer de temps en temps: «Viens, on va faire comme si tu étais un petit bébé», le prendre sur nos genoux, lui donner un biberon dans nos bras, le bercer un moment, il aura peut-être envie de cesser le jeu avant nous!
En conclusion
Elever deux enfants, ce n'est pas élever un enfant plus un enfant; il s'agit en fait de vivre une situation familiale complètement changée, où chaque individu est lui-même transformé en fonction de la nouvelle structure de la famille.
L'enfant unique devient l'enfant aîné et c'est probablement lui qui doit assummer le changement de rôle le plus important. Acceptons donc que ce soit lui qui accuse le coup le plus violemment.
Essayons de nous adapter à chacun de nos enfants dans ses rôles et ses désirs, et ne prétendons pas les élever «sans faire de différence». On fait toujours des différences et c'est heureux. C'est le signe d'une éducation souple et dynamique et de notre capacité à vivre avec chacun de nos enfants des sentiments vrais et profonds qui ont à mes yeux plus de valeur éducative que des attitudes pédagogiques équitablement distribuées et contrôlées.
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