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Oh vieillesse
Elle. - Je voudrais vous raconter aujourd'hui une histoire de chat.
Lui. - Très bien. J'adore les histoires de chats. Elles sont toujours amusantes.
Elle. - La mienne ne l'est pas du tout. Elle est au contraire tragique. Vous savez que mon chat est un matou qui partage mon existence depuis 15 ans. C'est dire qu'il s'agit d'un vieillard qui a ses habitudes et qui n'aime pas qu'on le dérange. Il a aussi sa fierté de propriétaire et ne souffre notamment pas qu'un rival vienne se promener sur son jardin, territoire dont il estime être seul maître. Il a déjà chassé plus d'un voisin téméraire. Or, l'autre soir, alors qu'il se trouvait sur sa terrasse, il a vu apparaître un chat noir qui s'avançait insolemment
Il a bondi et une terrible bataille s'est engagée dans le pré voisin.
Jusque là mon histoire n'a rien d'étonnant. Mais où elle devient tragique c'est que, plusieurs heures après, j'ai découvert mon pauvre chat dans un coin, sale, l'oreille en sang, une patte douloureuse, refusant pendant plusieurs jours de se laver et de prendre de la nourriture, de l'air de dire: à quoi bon?
Lui. - Rien d'étonnant à ce que dans une guerre il y ait un vainqueur et un vaincu.
Elle. - Oui. Mais ce qui est tragique dans le cas particulier, c'est que le vaincu est un vieillard essayant de défendre son territoire et obligé de baisser pavillon parce qu'il n'en a plus la force. Ce ne sont pas tant ses blessures qui le font souffrir que le sentiment de sa déchéance, que la perte des facultés dont il faisait jusque là sa fierté.
Lui. - En somme, comme je connais votre amour des classiques, vous
mettiez dans sa bouche une paraphrase de Corneille:
0 rage, ô désespoir! 0 vieillesse ennemie! N'ai-je tant vécu que pour cette infamie? Et faut-il assister, et sur mon territoire,
Aux ébats ridicules d'un vilain gros chat noir?
Elle. - Ne vous moquez pas. La question est plus grave que vous ne l'imaginez. Si vous vous trouvez un jour devant un vieillard humilié, pensez à mon chat
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