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Politesse
Une lectrice nous demande d'aborder la question de la politesse. Elle est frappée par la désinvolture des jeunes qu'elle côtoie. «Ils ne savent plus dire merci, ni exprimer la moindre reconnaissance. Ils se conduisent comme si les adultes ne comptaient pas ou n'avaient pas de sensibilité. Qu'en pensez-vous ?
Voilà un sujet qui n'a pas pris l'équipe rédactionnelle des Entretiens au dépourvu.
Car, nous aussi, nous nous interrogeons à tout propos.
Comment obtenir des petits qu'ils prennent l'habitude de dire s'il-te-plaît, merci, bonjour oncle Georges? De quelle manière intervenir quand ils posent des questions embarrassantes? A partir de quel âge et jusqu'à quel point les entraîner à offrir leur siège, laisser passer autrui en premier, aider à enfiler un manteau? Comment réagir à l'égard des grossièretés? Que répondre à nos adolescents qui prétendent que les marques de politesse ne sont finalement que de l'hypocrisie?
Pendant une bonne heure, nous avons échangé nos impressions, nos remarques, nos hésitations. Chacun de nous étant issu de milieux assez différents, nous avons pu constater que nous n'attachions pas nécessairement la même importance aux gestes, aux formules, aux attitudes. Ce qui est jugé primordial par les uns est considéré comme simplement souhaitable par les autres, voire même facultatif.
Ce qui ne nous a pas empêchés d'être d'accord sur le fait que la politesse agrémente la vie en société et qu'elle mérite d'être cultivée.
Comme notre échange de vues s'est déroulé d'une manière spontanée, sans se référer à un plan précis, il n'est pas facile d'en faire un compte-rendu. Je me contenterai de regrouper les interventions notées au vol sous un certain nombre de sous-titres, afin que vous puissiez vous y retrouver et vous forger votre propre opinion.
Imitation
Au départ, les petits n'ont qu'un exemple: celui de leurs parents. Si ceux-ci ont l'habitude de s'adresser à leurs enfants en utilisant eux-mêmes les tout premiers les formules qu'ils souhaitent leur inculquer, il y a fort à parier que l'esprit d'imitation jouera. Pas seulement dans le vocabulaire, mais aussi et surtout dans l'attitude générale.
Questions inopportunes
- J'ai appris à mes enfants à ne pas poser de questions indiscrètes.
- Oui, mais quelles sont les questions indiscrètes? Dites-le nous!
- Par exemple, dans le tram: Pourquoi ce monsieur il est tout noir? Pourquoi la dame a ses mains qui tremblent? Euh, celle-là, tu as vu comme elle est fagottée? Ou bien, en visite: tu vas à l'église, toi? Est-ce que tu as un bébé dans ton ventre?
De la discussion qui suit, il résulte quelques constatations:
On ne peut pas empêcher les questions. Arrêter les questions c'est arrêter le développement, en quelque sorte. La difficulté, c'est de parvenir peu à peu à trouver un bon équilibre entre la nécessité de s'exprimer et le respect dû à la personne d'autrui. Délicat apprentissage qui demande du temps et du doigté.
Respect
Nos enfants sont comme nous: ils ont un grand besoin de respect. S'ils reçoivent un paquet, c'est à eux de l'ouvrir. Ce n'est pas juste de piocher dans leur boîte de chocolats sans y être invité. Plus tard, ce sera leurs lettres qu'on n'ouvrira sous aucun prétexte, les conversations téléphoniques qu'on ne se permettra pas d'épier.
Réciprocité
Ils sont souvent pointilleux au sujet des égards auxquels ils estiment avoir droit. Mais il leur arrive encore plus souvent de ne pas s'apercevoir que leurs paroles ou leur attitude nous broient le coeur. Plutôt que de réagir avec indignation ou de remâcher notre déception dans le silence, ce qui vaudrait le mieux, ce serait de les renseigner clairement sur les répercussions qu'ils suscitent:
- Ça me fait mal quand tu me parles de cette façon.
- J'ai une sensibilité, moi aussi. Comme toi. Je ne suis pas en bois. J'ai quelquefois besoin que tu me ménages.
Grossièreté
Quand on vit avec des adolescents, le mot merde fuse à tout instant. Deux mères s'expriment à ce propos:
- Je crois que j'ai tellement peur des écarts de langage de mes enfants que je les provoque sans le vouloir. Ils me sentent crispée; ils se font provocants exprès.
- Quand je dois leur faire une remarque négative, ça y est, ça dégénère tout de suite en propos grossiers. Si je me sens agressée, il n'y a pas de raisons que ça s'arrête.
Mais, si j'ai la présence d'esprit de réagir avec humour, alors l'incident se termine rapidement.
- Il ne faudrait pas s'acharner sur tel mot ou tel geste, mais chercher le sens qui se cache derrière.
Vérité
Ce que les enfants et les adolescents d'aujourd'hui n'acceptent plus, c'est la soumission à des rites et à des lois présentées comme incontestables.
Le souci d'être vrai leur paraît plus important que les belles phrases et les gestes élégants. Ils disent: «J'en ai déjà un» à la grand-mère qui apporte un tricycle battant neuf de l'autre bout de la Suisse; ou: «Je suis trop grande à douze ans pour aimer une montre en plastique. J'en voudrais une vraie, ou alors m'en passer.»
C'est quelquefois un peu dur. Mais, si on y réfléchit, cette façon plus directe de dire ce qu'on ressent a le mérite de supprimer les malentendus dans lesquels s'empêtrent ceux qui sont tellement polis qu'ils ne disent plus jamais ce qu'ils pensent réellement.
Politesse du coeur
Si les jeunes sont allergiques à tout ce qui pourrait ressembler à de l'hypocrisie, ils ne sont pas insensibles à la politesse du coeur.
Mais ils veulent comprendre, ils veulent savoir. Pour quelle raison écrire cette lettre de remerciements? A quoi bon aller rendre visite à ce grand-père pessimiste? Pourquoi me priver d'une sortie avec les copains et rester pour ce repas prétendu de fête où je sens que je vais m'ennuyer à mourir?
Avant d'avoir atteint la maturité affective, on se préoccupe assez peu des sentiments d'autrui. On a déjà tellement à faire à tirer au clair ses propres sentiments! On est parfois bien emprunté pour deviner et pour comprendre ceux des autres.
Pourtant, les jeunes en apparence les plus durs sont capables d'un geste généreux si on prend la peine de leur expliquer la situation et de leur en montrer le sens profond:
- Quand tu embrasses ta vieille tante à l'arrivée et au départ, bien sûr, ce n'est pas follement agréable. Mais ça lui fait tellement plaisir!
- Si ta marraine a de nouveau raté son gâteau, tu n'es pas obligé de mentir pour l'épargner. Tu peux lui dire par exemple: «Tu t'es donné beaucoup de peine.» Ce qui est vrai. Et ce qui ne signifie pas que le résultat soit excellent!
Tout est relatif
Les habitudes de politesse varient d'un pays à l'autre, d'un hémisphère à l'autre, d'une famille à l'autre. A la fin de cet échange de vues, Sabine nous signale qu'après avoir suivi un reportage fort intéressant dans la série de «La Course autour du monde», elle a découvert qu'en Amérique du Nord un groupe d'immigrés européens, les Amishs, continue à vivre aujourd'hui comme à l'époque à laquelle ils ont choisi l'exil: pas de moteurs, pas d'éclairage électrique; ni radio, ni réfrigérateurs. Leurs coutumes n'ont pas varié. Leur religion et leur langue non plus. Les mots «merci» et «s'il-te-plaît» leur sont inconnus
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