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En écoutant Wagner
Ce soir, je prends congé. Mon mari est absent pour quelques heures, et j'en profite pour m'installer sur mon canapé et écouter de la musique.
Presque immédiatement, je m'endors, pour me faire réveiller brusquement par un aboiement rauque d'adolescent, mi-garçon, mi-homme.
- Maman, on mange quand?
- Je fais grève, ce soir.
- Mais Maman, c'est impossible, je crève de faim. S'il-te-plaît, un petit dîner rapide, genre pommes-de-terre, jambon, salade.
C'est le brun qui parle. Le blond arrive en courant.
- Moi aussi, je crève de faim, vite, vite un petit dîner.
Je me retrouve à la cuisine, entre deux feux, c'est le cas de le dire, car ceux qui ont faim se battent. Et moi, je continue à peler mes pommes-de-terre. Vont-ils se tuer un jour? Cela fait quinze ans que cela dure. Quinze ans qu'ils se roulent dessus comme des petits tigres, et moi qui ne dois rien dire et jamais prendre parti.
- C'est pour jouer, voyons, laisse-nous.
Les gros mots fusent. Ça crie. Ça hurle. C'est une véritable guerre. Celui qui mettra l'autre par terre avec le plus de bruitage possible. On se dirait à la TV. Décidément, ils la regardent beaucoup trop.
Je ferme les yeux, bouche mes oreilles. Je pense aux Malouines:
- Comment voulez-vous que la guerre dans le monde cesse quand deux frères qui s'adorent se battent à longueur de journée?
- Ça n'a rien à voir; nous, c'est pour s'amuser!
C'est pour s'amuser aussi qu'on m'envoie un oreiller sur la figure au moment où j'écoute Wagner sur mon lit, pour s'amuser aussi qu'on arrête ma radio:
- C'est triste, cafardeux, ce Wagner. Pourquoi tu ne mets pas de la musique pour se défouler.
Et voilà le blond, tel un pantin, qui se met à se trémousser dans tous les sens; la tête, le corps, les jambes, tout se désarticule dans un rythme endiablé.
- Ça c'est de la musique!
Mais voilà le brun qui arrive:
- Excuse-moi, Maman, mais je voulais juste savoir ce qu'est un proxénète.
Ah non alors, pas ce soir! Mais c'est justement ce soir que le brun doit savoir. Quant au blond, alléché par le sujet, il cesse sa danse et voudrait lui aussi savoir si toutes les prostituées ont un proxénète. En même temps, il me demande si je pourrais lui masser la cheville qu'il a tordue hier au football.
Oui, c'est vrai, c'est maintenant qu'ils ont besoin de moi. Je pose mon livre et masse la cheville tout en répondant aux questions de mes deux fils, le blond et le brun, bien installés sur mon lit pendant la trêve du soir
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