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Comment je m'appelle ?

Dans cette école maternelle, chaque matin et dans chaque classe, on fait l'appel. Quoi? L'appel en maternelle? L'appel, cet usage qui sent à tel point le scolaire, le militaire, le disciplinaire: untel? Présent!

Eh oui, l'appel! Seulement, dans cette maternelle, on appelle ça «se dire bonjour»…

8 h. 20. Marianne, la maîtresse, est déjà dans sa classe. Les premiers enfants arrivent. Bisous aux mamans ou aux papas. Un câlin spécial pour Naïma qui a toujours un peu de chagrin le matin. Simon a déjà enfilé un tablier en plastique et il baigne une poupée avec des gestes consciencieux. La toute petite Sandrine n'est pas tout à fait réveillée. Elle reste assise sur un banc en suçant son pouce, son nounours serré sur son coeur. Il faut dire qu'ici, c'est une classe de «petits-petits» de 2 à 3 ans et demi. Jusqu'à 9 heures, les enfants vont arriver. Chacun choisit un jeu. Marianne propose une activité à ceux qui ont l'air désoeuvrés. Tout se passe calmement. Il n'y a que Thomas qui boude dans le couloir. Mais personne ne s'inquiète pour lui: c'est sa façon habituelle de commencer la journée!
9 heures. Marianne convie les enfants à se rassembler. On range les jeux. On s'assied en rond - ou plutôt en rectangle - dans le coin de la classe réservé aux conversations tranquilles, aux grandes palabres collectives et aux chansons tous ensemble. Les enfants sont tous là, maintenant.

C'est le premier moment de la journée: on va se dire bonjour. Se déroule alors un rituel patiemment mis en place depuis le tout début de l'année: Marianne, assise au milieu des enfants, tient sur ses genoux une corbeille remplie de «poupées», des têtes plates taillées dans du contreplaqué, avec des yeux en feutrine et des cheveux en bouts de laine. Chaque enfant a sa poupée, avec son nom inscrit derrière, son double, son effigie, comme on voudra, en tout cas, le signe concret de son appartenance à la classe. Détail important, Marianne tire une première poupée. C'est celle de Laura. La maîtresse s'adresse à l'enfant: «Bonjour Laura»; «Bonjour, Marianne!»

Et Laura prend sa poupée. Elle traverse le cercle des enfants et court au panneau agrafé sur le mur. Sur ce panneau sont collées les photos de chaque enfant et celle de Marianne, avec un crochet en dessous. Laura accroche sa poupée sous sa photo. Voilà! Laura est bien là ce matin.

Et Marianne appelle les enfants un à un. Les bonjours s'échangent. Il suffit de voir les sourires qui s'épanouissent sur les visages de chaque «appelé» pour pressentir que ce qui se passe là et qui, pour un observateur non prévenu, a l'air si simple, si évident, est en fait un moment unique et rare, parfois presque miraculeux.

L'adjectif n'est pas trop fort. Ces tout-petits qui manient encore à peine le langage, qu'ils soient de familles francophones ou non, font, avec ce simple geste d'accrocher leur poupée, un acte très subtil d'abstraction et d'identification. «Se reconnaître» sur une photo, c'est déjà une prise de conscience de soi difficile à acquérir, d'autant que plusieurs de ces enfants ne s'étaient jamais vus en photo auparavant. Et se lever devant tout le monde, dire bonjour tout haut, prendre sa poupée, traverser le cercle et «s'» accrocher au panneau sous le feu des regards, ce n'est pas si facile!
Certains le font avec une aisance et un plaisir non dissimulés. Ils jouent, ils se montrent. Toute leur attitude signifie: oui, c'est bien moi, je sais qui je suis et où je suis! D'autres sont plus timides, plus furtifs. On devine qu'ils ont le coeur battant. Mais quand ils regagnent leur place, la fierté éclate sur leur visage! Et puis, il y a le problème des absents. Ce matin, Mickaël n'est pas là. Qu'est-ce qu'on fait? Sylvie se propose pour accrocher la poupée de Mickaël. Mais en chemin, elle hésite: Mickaël est absent. Ça ne veut pas dire qu'il ne fait plus partie de la classe. Mais puisqu'il n'est pas là, il manque quelqu'un. Il n'y aura pas de poupée sous la photo de Mickaël. Sur le panneau comme dans la classe, il y aura un vide. Subtil cheminement dans la tête de Sylvie, et qui ne s'est pas fait en un jour, on s'en doute!

Marianne profite de la situation pour poser un certain nombre de questions: quelqu'un sait-il pourquoi Mickaël n'est pas là? Il est peut-être malade? Alors, il est sans doute chez lui, dans son lit. Ou bien, on l'a peut-être emmené chez le docteur? Il s'agit d'aider les enfants à se situer ensemble dans l'espace et le temps et à comprendre que Mickaël, bien qu'absent, continue d'exister ailleurs et simultanément, sur un autre fuseau horaire, en quelque sorte. Cette prise de conscience est un moment rare qui ne peut passer que par le langage.

Avec l'accord de toute la classe, on remet la poupée de Mickaël dans la corbeille. Avec la poupée de Sandra, on a moins de problème: Sandra est absente depuis un mois. Ça n'étonne plus personne. Mais le jour où Sandra reviendra, elle ne sera pas une inconnue: chaque jour, on aura parlé d'elle!

Marianne a vu les enfants évoluer, jour après jour. Pour chacun d'eux, ce bonjour collectif et original a suscité des progrès incomparables: participation et intégration au groupe, autonomie, connaissance de soi et des autres, goût de parler et d'échanger. Et quelle émotion le matin où Samuel, arrivé à l'école à deux ans, ne s'exprimant que par grognements et préférant ramper que marcher, s'est levé et a accroché sa poupée tout seul pour la première fois!

Pour Samuel, ce matin marquait sa conquête du Nouveau Monde, celui de la parole, de l'identité et de la communication.

On se souvient de la chanson d'Anne Sylvestre: Si vous le savez, comment je m'appelle, vous me le direz, je l'ai oublié. Gageons que ces enfants-là le savent et ne l'oublieront pas!









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