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L'influence mauvaise de la littérature et l'éducation morale de la jeunesse
La plupart des cerveaux sont primitivement moyens, au point de vue intellectuel et moral; ils ont du bon et du mauvais, ils sont malléables, influencés par la bonne et la mauvaise parole, les bons et les mauvais écrits, les bons et les mauvais exemples; ils sont suggestibles en bien ou en mal, ils deviennent en grande partie ce que l'influence du milieu et de l'éducation les fait.
La suggestibilité est l'aptitude du cerveau à recevoir une idée et sa tendance à la transformer en acte.
La lecture d'un drame criminel provoque chez tel de l'effroi, chez tel de la colère, chez tel de la pitié, chez tel une simple curiosité, chez tel autre de l'administration pour le courage et l'habileté du coquin, chez tel autre le désir de l'imiter.
La littérature et la presse font office de suggestion puissante qui peut inciter aux bonnes et aux mauvaises actions. Que certains écrits aient une influence démoralisante, cela est incontestable. L'écrit et plus encore l'image pornographique détruisent le sentiment de pudeur instinctif chez l'enfant, excitent les mauvais ferments de l'imagination sensuelle chez l'adulte, développent les goûts et les appétits immoraux.
Mais la suggestion de la presse n'a pas plus que les autres suggestions, une influence toute puissante. Un cerveau doué d'un sens moral robuste et irréductible n'acceptera pas les suggestions criminelles, ni même une idée qui, sans être criminelle, serait contraire à sa conception morale; il luttera victorieusement contre certaines suggestions qui s'adaptent à son intérêt, mais non à sa mentalité.
Un sens moral rigide ne sera pas entamé par la suggestion pornographique; un esprit d'un jugement sain n'acceptera ni les suggestions d'un matérialisme desséchant, ni celles d'un mysticisme étroit. Mais tous les cerveaux n'ont pas une égale capacité de résistance pour tout: le sens moral peut être faible ou élastique, les idées de justice et de devoir peuvent fléchir momentanément devant l'intérêt ou le sophisme. Tout homme a des points faibles par les quels s'insinuent certaines suggestions mauvaises.
Si la littérature démoralisante n'est pas toujours efficace heureusement, c'est qu'elle n'est pas le seul facteur suggestif du cerveau. Il y a l'éducation par la famille, l'école, le milieu, la bonne littérature, la notion du devoir, celle de la justice, le sentiment, l'idée religieuse, la peur du châtiment ou de la déconsidération, l'intérêt réel dicté par la raison, toutes ces suggestions, tous ces sentiments élevés, altruistes ou même égoïstes peuvent servir de contrepoids aux suggestions démoralisantes.
L'esprit malin ne souffle pas où il veut. Tout le monde n'est pas «criminable». Mais beaucoup sont démoralisables et la démoralisation tend à l'action mauvaise.
Si la lecture d'un drame criminel suggère à certains l'idée d'imitation, la faute en est moins au livre et au journal qu'à la mentalité défectueuse ou mal éduquée de personnes qui n'ont pas acquis la capacité de résistance suffisante à la contagion de l'idée criminelle.
C'est à l'éducation qu'il appartient d'intervenir pour fortifier cette résistance, pour discipliner la suggestion.
Lorsqu'un enfant semble préoccupé d'évènements tragiques dont on parle autour de lui, on pourrait, avec avantage, en lire avec lui le récit dramatisé par la presse. Le mettre en face du crime et lui montrer comment le malfaiteur, entrainé par des instincts pervers, par une mauvaise fréquentation, a conçu l'idée monstrueuse; il a sans doute hésité quelque temps; la sensibilité et l'honnêteté se sont révoltées. Le démon génie du mal est revenu à la charge et l'a emporté; le malfaiteur a été faible et lâche devant la tentation. Il faut s'attacher à dépouiller le bandit de la triste auréole dont on entoure son énergie, et montrer que cette énergie que l'enfant est tenté d'admirer est brutale, comparable à celle de la bête fauve ou de l'acoolique.
Apprenez aussi à l'enfant à ne plus jouer aux apaches ou aux brigands, à ne plus ambitionner comme un honneur le rôle de chef de brigands, à ne plus cultiver les instincts de pillage et de destruction, même en jeu, même en imagination.
A ces leçons j'associerais de vrais exercices de gymnastique morale pour apprendre aux enfants à lutter contre les tentations, à maîtriser leurs instincts. Certes l'enfant éduqué a la notion du juste et de l'injuste; docile aux préceptes reçus, il ne vole pas, il ne trompe pas. Mais une occasion peut se présenter qui éveille ses mauvais instincts et engourdit les bons.
Comment faire, dira-t-on? Voici un exemple. Je mets l'enfant en face de la tentation réelle et je lui apprends à la dominer. Je place devant lui un objet qu'il désire: jouet, friandise, argent et je lui dis: «Je te laisse en présence de ces objets que tu désires. Quand je serai parti, tu auras naturellement envie de les prendre. Si tu les prends je ne te punirai pas. Moi parti, tu seras peut-être attiré à prendre, puisque tu ne seras pas grondé. Quelle bonne friandise! Quel beau jouet! Et comme tu pourras t'amuser avec cet argent. Mais tu auras certainement assez de force d'âme, assez de conscience de ton devoir, pour résister. Aie confiance! Malgré le désir violent, malgré la tentation tu ne succomberas pas, parce que tu veux être honnête. Et tu seras heureux d'avoir appris à résister à la tentation.»
Développer la sensibilité morale, cultiver les sentiments nobles, généreux, altruistes, réprimer les instincts vicieux, suggérer l'horreur du crime, l'admiration des belles actions, tremper l'âme, c'est faire l'éducation du coeur, l'éducation morale.
L'influence de la littérature et de la presse criminelle ou pornographique sur la démoralisation est donc incontestable. Il faut la réprimer dans la mesure du possible; mais on ne peut supprimer complétement la suggestion que le récit seul des crimes peut exercer sur certains esprits, pas plus qu'on ne peut détruire toujours le microbe des maladies contagieuses.
Mais de même que l'hygiène physique améliore le terrain organique et diminue sa réceptivité à l'égard des microbes, de même l'hygiène morale améliore le terrain psychique et accroît sa résistance à la contagion morale.
C'est à l'éducation de l'enfance et de la jeunesse, bien dirigée théoriquement et pratiquement qu'il appartient de faire la prophylaxie des suggestions malsaines. La statistique des crimes peut être améliorée, si la presse, la littérature, l'école et la famille unissent leurs efforts dans cette croisade contre le mal. Discipliner la suggestibilité, se mieux connaître et se mieux dominer, développer la sensibilité morale, voilà ce qu'il faut enseigner à l'individu et à l'humanité.
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