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La leçon de silence
Il faut enseigner le silence. Pour y parvenir, j'emploie certains jeux dits de silence, qui contribuent puissamment à la discipline surprenante de nos petits.
Je réclame l'attention des élèves sur moi, par exemple, qui fais silence.
Dans diverses poses, assise ou debout, je reste absolument silencieuse, sans bouger un doigt, en respirant d'une manière aussi, imperceptible qu'il m'est possible. Puis, appelant un élève, je l'invite à faire de même. Ce n'est pas chose facile: il bouge un pied pour le poser mieux, étend un peu la main sur le bras du fauteuil ou respire trop haut. Pendant l'exercice, coupé de brèves explications, les élèves enchantés regardent et écoutent, s'intéressant à ce fait, nouveau pour eux, qu'il y a plusieurs degrés de silence et qu'on fait tant de bruit sans le savoir. Le silence est absolu là où rien, absolument rien, ne bouge. Ils me regardent étonnés quand je me mets debout au milieu d'eux et que c'est vraiment comme si je n'y étais pas. Les voilà tous à tâcher d'en faire autant. Et, tandis qu'ils s'observent anxieusement, avec la ferme volonté de demeurer tranquilles, il se produit vraiment un silence différent de ce que l'on appelle, généralement de ce nom. La salle paraît vide, on perçoit le bruit de la pendule, et ce tic-tac semble augmenter d'intensité à mesure que le silence est plus complet. De dehors, de la cour, qui semblait silencieuse, des bruits nous parviennent; c'est un oiseau qui picore, un enfant qui passe. Les élèves sont ravis; ils regardent ce silence absolu comme une conquête.
C'est le moment de clore les volets; les petits sont invités aussi à fermer leurs yeux en appuyant lentement la tête sur leurs mains. Dans cette obcurité le silence absolu se rétablit. «Attendez maintenant une voix légère qui vous appelle par votre nom». Alors, d'une chambre voisine, à travers la porte ouverte, je les appelle doucement, je prononce lentement les syllabes, comme quand on lance un cri dans la montagne, et cette voix, presque mystérieuse, parvient au coeur des petits et parle à leur âme.
A l'ouïe de son nom, chacun à tour de rôle lève la tête, ouvre les yeux, et, comme dans un rêve heureux, sans bruit, en évitant de remuer la chaise ou la table, il se dirige vers la porte sur la pointe des pieds. On ne l'entend presque pas, pourtant son pas résonne dans le silence et l'immobilité qui persistent. Arrivé dans la pièce où je me tiens, il étouffe un rire joyeux, fait un bond vers moi, s'attache à mes vêtements, appuie sa tête contre moi et considère ses camarades qui restent encore immobiles en attendant leur tour. Celui qui est appelé croit être l'objet d'un privilège; pourtant, il sait que tous ses camarades viendront aussi, à leur tour, en commencant par celui qui se tient le plus tranquille. Chacun cherche à passer le premier. Ainsi je vis un jour une petite de trois ans essayer d'arrêter un éternuement et y parvenir en retenant de toutes ses forces sa respiration.
Ce jeu fascine tes petits. Leur immobilité persévérante et leurs visages concentrés revèlent l'intérêt qu'ils y prennent. Au début, quand l'âme enfantine était encore pour moi lettre close, je promettais aux élèves les plus silencieux des douceurs ou des jouets comme récompense. Bien vite je pus constater que ces moyens étaient inutiles.
Après les efforts, les émotions, les jouissances du silence, les enfants arrivaient au port. Ils étaient heureux d'avoir senti quelque chose de nouveau et d'avoir remporté une victoire. Ils oubliaient les bonbons et les jouets promis.
J'abandonnai donc ce moyen inutile, et je vis que le jeu se perfectionnait toujours plus: des petits de trois ans restaient immobiles assez longtemps pour me permettre d'appeler et de faire sortir quarante élèves.
Après ces exercices, il me semblait avoir des enfants plus affectueux; ils étaient, en tous cas, plus obéissants et plus doux. Les instants que nous avions passés ensemble, moi à appeler, eux à écouter la voix qui les réclamait personnellement, avaient créé entre nous des relations nouvelles et plus intimes.
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