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Les lecteurs ont la parole
Nous avons eu de nombreuses réactions de lecteurs à notre numéro d'octobre sur l'enfant et la mort. En voici trois.
Daniel Anet, écrivain et homme de lettres, nous a fait l'amitié de nous envoyer la lettre suivante:
Le numéro d'octobre des «Entretiens sur l'Education» est d'une bonne et grave lecture, posant des questions essentielles. La mort et l'enfant.
J'ai connu très tôt cet affrontement. Ma mère est morte en quelques heures en accouchant de mon troisième frère. M'en resta le souvenir - d'une fraîcheur inaltérable et tellement proche! C'était il y a 68 ans; j'avais cinq ans. Mon père nous prit par la main, mon second frère et moi, nous conduisit devant le cercueil ouvert de maman; elle était là, très belle dans sa belle robe, des fleurs dans ses mains jointes, le visage blanc pur, les yeux fermés, lointaine, dans un repos que rien ne pouvait plus troubler. C'est un souvenir à la fois doux et étrange. Mais pas douloureux. Puis, nous l'avons conduite au cimetière du village - Vandoeuvres. Le cercueil sur un char noir et nous derrière dans des longues blouses noires (c'était l'usage, alors), marchant longuement dans un soleil doré, par les routes de campagne. Derrière nous venaient tous les paysans de la contrée, noirs, silencieux. Nous avons ainsi marché, au pas, pendant une heure. Au retour, on nous a mis sur le char noir; car nous étions très fatigués.
- Pourquoi est-ce que maman est morte? demandions-nous. - Parce que Dieu l'a rappelée, répondait mon père. Elle est au ciel. - Comment est-ce que c'est, au ciel? - C'est toujours le soleil. - Qu'est-ce qu'on fait au ciel? - On chante avec les anges. - Maman aussi? - Bien sûr (maman avait une belle voix de soprano.) - Est-ce qu'elle nous voit? - Oui, toujours; alors, ne lui faites pas de peine
Ainsi, sa mort ne nous a pas révoltés. Dieu présent, le monde est en ordre, donc la mort aussi. C'est vrai qu'à la campagne on voit souvent mourir: des bêtes, des plantes; chaque automne, les feuilles; et, au printemps, il y en a de nouvelles.
Me frappe, dans ces propos des «Entretiens» l'absence de Dieu dans ce qu'on dit aux enfants. Dieu absent, le monde est en désordre et la mort une monstruosité révoltante. C'est d'ailleurs cette absence de Dieu au monde naturel (trop souvent) qui fait la vie absurde.
Daniel Anet
Et bien, pour la première fois depuis cinquante deux ans!
je ne suis pas d'accord avec votre «Entretien» sur «la mort».
C'est sûrement plus facile de mourir que de naître! Un enfant pleure, un vieux s'endort. Imaginez que nous soyons condamnés à vivre indéfiniment!
«De grâce!» dirions-nous. La vie est intéressante parce qu'elle a une fin; il s'agit de bien remplir cet espace!
C'est vivre dans l'hypocrisie de prétendre cacher la mort aux enfants - et pourquoi? Et la viande qu'on mange, et les insectes qu'on tue? (Encore qu'ici, nous ne tuons pas les araignées, elles ont trop de patience, de génie et font de trop belles toiles!
il faut donc être à deux: celui qui prend, doucement, la bestiole dans les poils du balai, l'autre qui ouvre la porte
et l'araignée qui dit: «Merci!»)
Il faudrait vivre un conte de fée pour éliminer la mort. Moi je dis: heureusement qu'elle existe! (Et je ne suis pas dépressive, je ne l'ai jamais été.) Il faudrait ne pas savoir qu'il y a des déportés, des torturés, des affamés, et surtout qu'il y a, même autour de nous, des gens qui ne sont pas aimés. Et c'est le pire, car on ne peut pas vivre sans affection. Ne pas aimer, c'est condamner les gens à la mort. C'est cela qui est grave, ce n'est pas de mourir de maladie.
Voilà ce que je crois: le principal. Pour moi, ce que je souhaite, c'est de mourir lucide. Je voudrais avoir le droit de dire «J'arrête», ne voulant importuner personne, fut-ce une fille de salle!
Et puis, je suis candidate au christianisme; je crois qu'après «Il n'y aura plus de larmes!». Alors, je me réjouis de ma mort.
Edith de Baralle
Une lectrice du canton de Vaud nous envoie un témoignage poignant, que nous regrettons de ne pas pouvoir publier in extenso, faute de place.
A 8 ans, elle vécut en famille la mort d'un grand-père; puis, à 12 ans, d'une grand-mère et d'une soeur cadette. Une image lui reste de chaque décès: fête de famille dans le premier cas; choc au vue de la mentionnière de sa grand-mère; souffrance de ses parents enfin: Je revois encore très précisément mon père, que j'aimais tendrement, prostré sur une chaise et sanglotant devant la porte où ma soeur venait de rendre le dernier soupir. Cette vision m'a bouleversée plus que tout. Papa a accepté ma petite main dans la sienne, il n'a rien dit et nous avons pleuré ensemble. Cela reste, pour moi, un grand moment.
Dans les dix ans qui suivirent, je perdis ma grand-mère, puis mon grand-père et hélas mon père. Si nous avons eu le privilège de soigner mon grand-père et de le voir mourir à la maison, mon père décéda à l'hôpital. Mais grâce à la compréhension du personnel hospitalier, ma mère, mes soeurs et moi avons pu être à ses côtés jusqu'au bout. Si son départ, ses souffrances, nous ont brisés, révoltés parfois, il n'y a pas eu d'angoisse face à la mort.
Personnellement, je ne pense pas que les adultes soient plus aptes à faire face à la souffrance et à la mort que les enfants. Ce sont des périodes de la vie que nous devons vivre ensemble en nous soutenant mutuellement.
Rachel Rochat
P.S. Comment aurions-nous vécu cette période si on nous avait écartés, envoyés «en vacances». Que de liens n'auraient pas été tissés.
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