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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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«Alouette», enseignante pendant 42 ans

En septembre 1942, j'ouvrais la porte de ma classe pour la première fois.
J'avais 19 ans, j'étais en quelque sorte une réfugiée, pour diverses raisons, dont la première était: la guerre. Je n'avais aucune vocation, aucun talent pédagogique, mais il me fallait gagner ma vie tout de suite, et j'avais vu une annonce: «Ecole de la place cherche enseignante primaire». (Il s'agissait de l'Ecole internationale.)
Avais-je un idéal international de paix? Je ne sais même pas. Je haïssais la guerre, le racisme, et étais heureuse de me trouver dans un milieu qui professait mes idées. C'est tout.
Au bout de l'essai de trois mois on m'a gardée. Depuis? Depuis je me suis levée tous les jours à la même heure pour aller tous les jours au même endroit et faire tous les jours la même chose depuis 42 ans? Apparemment oui. La réalité est tout autre.

***

J'arrivais d'une famille bien pensante, d'un pensionnat bon genre, la tête remplie d'idées toutes faites, de morale bien solide, d'habitudes conformistes et de désir de faire le bien. Le drapeau était sacré et j'imaginais mal qu'il put y avoir une autre façon de penser que celle de ma famille. Je ne connaissais pas le mot de tolérance.
La Suisse fut une première surprise. On y parlait plusieurs langues. Genève se partageait entre deux religions. Y avait-il donc plusieurs vérités?
L'arrivée dans cette école fut pour moi une naissance! Il n'y avait plus de jaunes, de noirs, de blancs. Il y avait des visages, des yeux, des sourires ou des larmes, tous pareils dans leur fond. Comme j'ai maintenant dans ma dernière classe des Libanais et des Syriens, des Arabes, un peu plus tard des Américains et des Russes. C'était, et c'est, sans problème… à huit ans! Sans l'intervention des adultes, les jeunes enfants ne remarquent pas les différences: ils voient des semblables. Petit à petit ils m'ont guérie.
J'avais autour de moi Tamim et Ayla, Mohammed et Sarah, Jean-Pierre et Wolfgang, Timothy et Sacha. Les drapeaux nationaux se multipliaient sur mon registre d'adresses et mon drapeau à moi au milieu de tous les autres perdait sa provocation guerrière.
Les cris d'un bébé qui a faim, l'éclat de rire d'un enfant, les hurlements des bras couverts de napalm… C'est de quelle couleur de peau, de quel drapeau, de quelle langue?
Pas plus qu'entre les enfants, je ne vis désormais de différence entre les parents. C'était simplement un père ou une mère désireux que son enfant apprenne beaucoup de choses et soit heureux.
On m'avait dit: les noirs sont paresseux, les Asiatiques sont travailleurs, les Américains sont naïfs, les Juifs sont ambitieux, etc., etc… J'aurais pu remplir un immense carton de ces idées toutes faites. Et puis en connaissant vraiment tels ou tels parents, en partageant quelques instants de leur vie, repas ou autre, un jour a éclaté en moi la réalité: «Mais… ce n'est pas vrai?» Tout ce qu'on m'avait affirmé comme inéluctable s'avérait à remettre totalement en question! Il n'y avait pas un grand peuple blanc, un grand peuple noir, un encore plus grand peuple jaune. Si on ne s'arrêtait pas à l'apparence on se retrouvait en face d'êtres, humains comme nous, et c'est tout.
Dans la joie de cette découverte, j'ai ouvert ma classe à tous les adultes, très vite. Ce fut alors, avec ceux qui comprenaient, une collaboration magnifique pour les enfants et pour nous. Je me suis sentie encore plus responsable; j'ai appris ainsi l'autonomie et essayé de transmettre ce cadeau à mes élèves.
Je me suis sans arrêt enrichie dans cette école, pas en argent, mais en découvertes humaines. Les parents me parlaient de leurs enfants bien sûr d'abord, puis de leurs pays, de leurs coutumes, de leurs habitudes. Que de fois ai-je mangé chez eux la nourriture de leur pays qu'ils mijotaient des heures pour que ce soit authentique! Leurs questions ou leurs problèmes concernaient ce qu'ils avaient de plus précieux, leur enfant, il n'y avait aucune possibilité de folklore ou de curiosité. Je partageais leur repas comme je partageais leurs inquiétudes possibles. Notre niveau d'échange était donc très vrai. Nous étions tous obligés de rester dans la vérité pour ce petit enfant qui ne demandait rien d'autre que de grandir le mieux possible. Il n'y avait entre nous aucune place pour la tricherie.
En dehors de l'Ecole je me suis entendu dire des centaines de fois: «Vous travaillez pour des riches». Ou: «Pas étonnant que votre métier soit facile dans cette école de privilégiés!».
Ces critiques m'ont amenée à faire un choix et je l'ai fait une fois pour toutes: «Je reste dans cette école parce que beaucoup des enfants qui y sont auront sans doute des postes clés plus tard, et c'est très important pour eux de tenter de trouver les vraies valeurs de la vie». Alors les objections surgirent, inévitables: «Utopiste! … Idéaliste!…» J'ai persisté parce que j'avais compris qu'il était possible là de «vivre» la tolérance, ce qui est la vraie manière de l'apprendre. Elle n'était plus une vertu quasi inaccessible, mais une expérience quotidienne, progressive, toujours plus profonde.
Je pars comblée par ces 42 années, reconnaissante à tous, éblouie d'avoir découvert ici ce qui reste quand les êtres se laissent dépouiller de leurs préjugés et de leur intolérance.

Merci à l'auteur de nous avoir autorisés à publier ces extraits d'une «lettre ouverte» qu'elle a adressée en guise d'adieu aux amis de l'Ecole internationale.









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