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Des pleurs et des hommes
Ils parlaient cinéma. Lui et elle - 20 ou 25 ans et l'après-midi devant eux - évoquaient les films qu'ils pourraient avoir envie de voir. Lui suggère «Les saisons du coeur. Elle ne connaît pas. Il poursuit: « De temps en temps, j'aime bien ce genre de film tendre, un peu mélo». Tiens, comme «Tendres passions». Elle ne connaît pas non plus. Il précise avec un petit sourire en coin :« Mais oui, ce film qui a fait pleurer toutes les filles», et enchaîne: «Moi, j'aime bien avoir le coeur fendu par une belle histoire d'amour»
Qu'à cela ne tienne: il en a sûrement eu les larmes aux yeux, mais la spécificité du film réside dans le fait qu'il a fait pleurer «toutes les filles». Pas les garçons, bien sûr. Du moins pas officiellement. Parce qu'il faut bien se rendre à l'évidence: aujourd'hui comme hier, en 1985 comme avant que le féminisme ne marque quelques points incontestables, ce sont toujours et encore les filles qui pleurent. Les larmes restent l'apanage du sexe féminin. Je connais un seul homme qui ose clamer haut et fort qu'il pleure au cinéma, et qu'il n'en a pas honte et qu'il n'y a rien de plus normal. Mais il est l'un des rares de son espèce, voire le seul.
Les pleurs - au cinéma comme ailleurs - sont perçus comme la manifestation négative d'une sensibilité excessive
et exclusivement féminine.
Certes, on pourrait les excuser, les hommes. Reflets de l'éducation reçue, des images véhiculées et des étiquettes collées toujours dans le même sens. Un exemple: Il se trouve encore des gens assez stupides pour lancer au petit garçon dont les yeux s'embuent de larmes: « Mais tu ne vas pas pleurer. Ce sont les filles qui pleurent, voyons, pas les garçons.» Et de qui, souvent émane ce genre de réflexion? Pas forcément de bouches masculines. Au contraire. De l'esprit bien-pensant de dames comme il faut. On peut comprendre alors que, frottés à ce refrain populaire et bête, les hommes ressentent par la suite une irritation extrême face aux pleurs féminins. Ils font peut-être resurgir la honte vécue dans leur enfance, lorsque leurs pleurs, naturels et instinctifs, se voyaient irrémédiablement brimés et refoulés par ces remarques vexantes. De ce moment-là, qui sait, résultent leur incapacité de pleurer, et l'immense malaise que suscitent en eux des larmes coulant sur des joues féminines.
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