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Les mémoires d'un boeuf de Judée
Conte de Noël paru dans la Revue de Belles-Lettres de 1917.
Dans ce numéro de novembre, la rédaction a choisi de présenter un texte de Noël. - Déjà, diront certains!
Non, nous n'avons pas l'intention d'être parmi les premiers dans la course aux préparatifs de Noël, mais en publiant ce conte maintenant, nous désirons vous donner le temps de vous préparer en famille à cette fête. Ce conte est plutôt destiné à de petits enfants qui aiment qu'on leur lise de belles histoires plusieurs fois. Vous aurez ainsi tout loisir d'en reprendre la lecture sans être pris au dépourvu la veille de Noël.
Je ne suis qu'un pauvre boeuf, un boeuf tout ordinaire. Je n'ai rien d'Apis et ma corne n'est point dorée. Si je me crois permis de prendre la parole ce n'est point par vanité, ni pour défendre les traîneurs de charrues de ma caste et les bovins de mon espèce, mais le destin a voulu que je visse des choses bien extraordinaires. Peu d'hommes en furent témoin et je crois bien être le seul boeuf qui les ait vues; non point le seul animal, car un âne était avec moi; mais il n'en a gardé aucun souvenir, ne sachant voir plus loin que son nez, ce qui veut dire pourtant plus de choses pour un âne que pour un homme.
Voici ce que mes yeux humides ont vu. Il faut dire que je suis né en Judée chez un aubergiste de Bethléhem. Or, en ce temps, il me souvient que Bethléhem fut envahi par une grande population. Une foule d'humains venaient tous dans ce village. Au chaud dans notre étable, je disais à cet âne, mon compagnon: «Heureux, nous sommes bien au chaud dans notre écurie. Les humains s'entassent dans leurs hôtelleries. Ils y sont serrés et empilés. C'est à n'y rien comprendre». «Oui, répondit l'âne. Heureux, si les hommes ne viennent pas partager notre logis».
A peine ces mots étaient-ils prononcés que des hommes firent irruption chez nous. «Voilà, leur disait l'aubergiste, mettez-vous là, c'est tout ce que je peux vous offrir». Et, ce disant, il introduisit un homme de bonne mine à l'air doux, mais ennuyé et sa femme au visage tendre et fatigué.
Ils s'installèrent au soir tombant sur la paille à nos côtés.
Nous étions tous yeux pour les considérer.
Et voici que, sur le coup de minuit, dans une extase merveilleuse, la
femme mit au monde un petit enfant rose.
L'homme la regarda, très étonné, l'air de n'y pas comprendre grand chose, puis il dit: «Ainsi soit-il» et, prenant l'enfant, il le coucha, devinez où? juste dans notre crèche!
Nous étions stupéfaits, mon ami l'âne et moi, et, par curiosité nous nous penchâmes sur ce nouveau-né. Voyant mon muffle effleurer l'enfant, le père voulut me repousser. Mais la femme lui fit d'une voix douce: «Joseph, laisse le boeuf. Son haleine réchauffera le petit».
Je fus touché aux larmes par cette parole et je me mis de tout mon coeur à souffler un bon air chaud sur ce petit chéri
L'âne, qui m'imite toujours, fit la même chose. Nous étions heureux de souffler comme cela: et le petit souriait, souriait en agitant ses petits pieds.
La mère nous remerciait du regard mais Joseph gardait une certaine méfiance.
Et, brusquement, voilà la porte qui s'ouvre et tous les bergers du voisinage entrent en chantant des louanges et en se prosternant devant l'enfant.
Et ce pauvre âne qui prenait cela pour lui! Vaniteux! Nous n'en croyions pas nos oreilles ni nos yeux!
Mais les bergers, cela n'a rien d'étonnant. Moi, j'en vois tous les jours
Ce qu'il y a eu de merveilleux c'est quand les rois sont venus.
Oui, j'ai vu trois rois, tout en or et azur qui sont venus mettre devant la crèche des trésors et des richesses comme les hommes les aiment et qui se prosternaient aussi devant l'enfant. Vous avez peut-être vu des rois, mais avez-vous jamais vu des rois prosternés? Moi, je l'ai vu. L'âne n'y a rien compris. Moi non plus. Mais lui, il en oubliait de souffler, moi je n'ai pas oublié. J'ai toujours soufflé pour réchauffer le doux petit bébé.
Au bout de quelques jours le père, la mère et l'enfant sont partis.
Croyez-moi si vous voulez, mais depuis leur départ la crèche est toujours pleine de fourrage fin et parfumé. On ne sait pas qui le met, mais toujours il y a quelque chose de bon pour le pauvre boeuf qui a soufflé. Et chaque année, un soir en hiver il entre à l'étable vers minuit un homme tout brillant, avec des ailes blanches qui vient vers moi et me gratte longuement sous les deux cornes.
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