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Vous dites: Punir?
J'ai failli devenir la championne des punitions à l'époque où sont nés les groupes de mères paroissiaux et les causeries proposées par l'Ecole des parents.
Quand on me demandait: «Vous n'auriez pas un titre accrocheur qui inciterait les parents à se réunir pour parler de ce qui les préoccupe? » je n'avais pas à hésiter. Il y avait d'abord les punitions. (Et puis aussi la jalousie et l'énurésie.)
Spécialiste des punitions moi? Pas dans le sens où on l'entend habituellement. Car, depuis que je m'intéresse aux enfants, je n'ai jamais cessé de me poser les mêmes questions: faut-il absolument punir? Existe-t-il de bonnes punitions? Si oui, dans quel but les inflige-t-on? Est-il possible d'éduquer un enfant sans sévir? Le recours aux punitions n'est-il pas souvent synonyme d'impuissance?
La peur, mauvaise conseillère
Dans ces fameuses réunions de parents, une chose m'a souvent frappée: la croyance qu'une attitude éducative ne peut se passer d'un arsenal de mesures punitives adaptables à chaque situation critique. Comme si le bon éducateur était celui qui sait punir.
Cet enfant qui désobéit, mouille son lit, répond, chaparde, casse ou vous nargue fait peser une sorte de menace sur l'adulte. Au lieu de filer doux et de consentir à passer dans le moule qu'on lui a préparé, il ose se dérober ou carrément refuser. Le joli plan d'éducation qu'on avait soigneusement élaboré à l'avance «pour son bien», voilà qu'il se révèle inefficace. On prend peur. Que faire?
«Il faut serrer la vis, disent les uns. La crainte du gendarme, il n'y a que ça. Le laxisme, vous voyez où ça mène! Ils ne comprennent que la manière forte.»
Ces prises de position carrées impressionnent énormément ceux qui ne sont pas sûrs d'eux, qui doutent, qui cherchent. Si c'était vrai qu'une attitude intransigeante mettait fin à toutes nos perplexités?
La solution miracle: quelle tentation! Mais quel leurre! En mettant fin brutalement à une situation jugée inadmissible je cours le risque de couper le courant affectif. Et quand le courant ne passe plus, qui peut prévoir ce que ça va donner?
Ceux qui parlent de tuer le mal à la racine réagissent comme si l'enfant récalcitrant était un ennemi en puissance qu'il faut se hâter de neutraliser. «Tu refuses de me donner la main pour traverser la rue? C'est la fessée. Tu ramènes un 2 d'orthographe? Tu seras privé de télévision toute la semaine. Tu es rentré à minuit alors que tu avais la permission de onze heures? Plus de sorties avec les copains jusqu'à nouvel avis.»
Les parents consciencieux sont souvent exagérément soucieux. Le moindre écart de conduite leur fait craindre pour l'avenir de leur progéniture. «S'il se comporte de cette façon à 7 ans qu'est-ce que ça va être à 17 ans?» Comme si les tendances fâcheuses étaient les seules à avoir quelque chance de se développer.
C'est bien ce qui me choque dans la préoccupation de beaucoup d'éducateurs à la recherche de la «bonne» punition qui serait censée décourager les comportements répréhensibles: on ne se hérisse pas seulement contre les manquements de l'enfant, mais contre l'enfant lui-même. «Tu n'en feras jamais d'autres. La confiance, c'est fini; dorénavant j'aurai l'oeil sur toi. C'est ainsi qu'on finit au poste de gendarmerie.»
Un signal avertisseur
Le courant coupé. Le soupçon adopté comme mesure de prévention, la méfiance réciproque. C'est la guerre déclarée. L'échec assuré à longue échéance.
Car l'enfant n'est pas une mécanique dont on peut resserrer les boulons à volonté. C'est un être vivant qui a besoin de contact et de compréhension pour donner son maximum.
Quand il fait des bêtises, refuse de se soumettre ou se livre à des insolences, ce n'est pas obligatoirement parce qu'il est «méchant». Faible en face de la tentation, sûrement. Encore incapable de maîtriser ses impulsions, oui. Désireux de se faire sa place au soleil sans penser à autrui, bien souvent. Mais est-ce en adoptant la loi du talion qu'on l'encourage à se maîtriser davantage, à mieux tenir compte des sentiments de ses proches?
Si ses désobéissances, ses oublis, ses maladresses ou ses négligences s'installent à l'état chronique. Si les mensonges se multiplient ou les chapardages deviennent fréquents. Si le désintérêt à l'égard de l'école, la musique ou le sport se transforment en apathie, ce ne sont pas des raisons suffisantes pour s'affoler.
Premièrement, dites-vous bien que votre enfant n'est pas le seul à connaître ce genre de défaillance. Ensuite ôtez-vous de l'idée que c'est mauvais signe.
Je dirai simplement que c'est un signe, tout court. Ou mieux: un signal avertisseur. Quelque chose s'est modifié dans l'enfant, à moins que ce ne soit autour de lui. Il est mal dans sa peau, il souffre de frustrations (réelles ou imaginaires), ses besoins ont changé, il ne sait plus quel rôle il joue ici-bas.
Le traiter en coupable, ce n'est pas cela qui l'aidera à se remettre en selle. S'angoisser en pensant que son avenir est compromis ne constitue pas le meilleur des stimulants. Mais ce qu'on peut toujours essayer, même dans le désespoir, c'est de remonter à l'origine, retrouver le moment où un caillou s'est faufilé dans le soulier pour finir par rendre la marche boîteuse, pénible, voire impossible.
Avec lui, pas contre lui
Rien n'arrive tout à fait par hasard. Des impressions et des événements se tressent sans qu'on y prenne garde au début. C'est seulement quand les relations se sont détériorées qu'on prend conscience du malaise qui règne en profondeur. Malaise dont l'enfant souffre encore plus que ses parents, en dépit des apparences.
Si on partait de l'idée qu'il ne demanderait pas mieux que d'être heureux et d'entretenir de bonnes relations avec ceux qui l'élèvent. Si, au lieu de le condamner, le saler, le rejeter, on lui demandait ce qu'il ressent, ce qui lui manque, ce qu'il cherche en définitive?
Car un comportement nettement en désaccord avec le milieu a toujours une signification. Mais rarement celle qu'on avait cru déceler sous l'empire de la déception ou de l'énervement.
Dans le groupe familial aussi bien que dans notre société on est si pressé de désigner le coupable et de chercher à l'empêcher de nuire! Ce serait tellement commode si le responsable, c'était lui seulement, et moi pas du tout. En réalité, nous avons partie liée. Rien de ce qui arrive à l'autre n'est totalement étranger à ce que je suis, ce que je dis, ce que je fais.
Plutôt que de me tourmenter au sujet de la paille qui me gêne dans l'oeil de mon enfant, si je m'interrogeais aussi à propos de la poutre qui m'empêche d'avoir le regard transparent?
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