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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
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DE LEUR CÔTÉ. L'adolescence. Espace
Besoin de prendre de la distance
Il a l'impression que sa peau devient trop petite pour lui. Ça tire de tous les côtés. Il se sent coincé. Il étouffe.
Ça ne pourra pas durer longtemps. Il faut qu'il se passe quelque chose. Si non, il va éclater.
Mais que faire? Où aller? Comment trouver une solution?
S'il s'en va, il pourra mieux respirer peut-être. Il se sentira plus au large. Il pourra enfin souffler à son aise.
Mais à quoi lui servira cette liberté? Tout au fond de lui-même, quelque part, il éprouve encore un besoin fou de sécurité.
Il voudrait être deviné, compris, cajolé. Et, en même temps, il ne supporte plus qu'on s'occupe de ses affaires et de ses sentiments.
Qu'on lui fiche la paix! Quand ses parents comprendront-ils qu'ils ne peuvent rien «faire» pour lui? Ils sont bourrés de bonne volonté. Ils veulent son bien. Ils pensent à son avenir.
C'est touchant, cette sollicitude. Mais c'est tellement encombrant! Quand il cherche sa voie laborieusement, en tâtonnant au milieu de ses incertitudes, il a surtout besoin de silence et de respect.
Il a besoin d'un espace libre où il puisse préparer sa mue, loin des regards trop appuyés.
Espace! Où te trouver? Faut-il inévitablement quitter la maison, s'en aller très loin ? Comme ce serait plus simple et moins périlleux si je pouvais prendre de la distance à domicile! Au sein de ma famille. A l'intérieur de moi-même.
Partie en claquant la porte !
Il y a trois heures qu'elle erre dans ce grand magasin. Personne ne la regarde. La foule anonyme s'écoule autour d'elle sans lui parler, sans s'apercevoir qu'elle existe.
Est-ce qu'elle existe vraiment? Si oui, à quoi ça lui sert?
Elle a quitté la maison sur un coup de tête: «Puisque vous ne pouvez plus me supporter, je m'en vais.»
Cette fois, elle a osé faire le pas. Depuis le temps qu'elle y pensait, il fallait bien qu'elle se décide. Elle en avait tellement assez de subir des questionnaires, des conseils et des reproches!
Maintenant, la voilà enfin libre. Sans horaire, sans obligations, sans but. Libre. Et vide.
A quoi bon la liberté si on ne sait pas qui on est, ni où on veut aller?
Les bagarres familiales ne valaient-elles pas mieux que ce naufrage dans un magasin surchauffé? Elle se sent noyée au milieu de tous ces indifférents.
Les supplications et les reproches, est-ce que ce n'est pas souvent, pour les adultes inquiets, une façon maladroite de dire: «Je t'aime, j'ai peur pour toi, je ne voudrais pas que tu commettes l'irréparable»?
Et l'adolescente, quand elle s'en va en claquant la porte, est-ce qu'elle est aussi déterminée qu'elle en a l'air?
Cette réaction brutale était un geste de désespoir, une manière camouflée d'appeler au secours. Au lieu de couper les liens, n'aurait-il pas fallu essayer de parler ensemble? S'écouter mutuellement et trouver un terrain d'entente?
Allons! Il n'est jamais trop tard. On peut toujours repartir sur de meilleures bases.
Savoir traduire
Stéphanie a quatorze ans. Depuis quelques mois des grains de sable se sont introduits dans les rouages bien huilés des relations familiales. Ça grince, ça grince
Si Stéphanie préfère le hard rock, ça ne l'empêche pas de réinventer Brassens en clamant sur tous lestons: «Les copains d'abord.» Et quels copains: mal embouchés, mal polis, bruyants, ne respectant rien, ne s'intéressant à rien, si ce n'est à leurs boguets.
Et c'est ces gens-là que tout à coup Stéphanie adore, admire, suit partout. Rien n'est plus important que les rendez-vous de la place du marché où l'on fait vrombir à plaisir les moteurs, tout en se refilant les derniers trucs à connaître absolument pour être branché.
L'été venu, les exigences familiales ou scolaires ont dissout la bande, les uns s'en allant découvrir le monde du travail, les autres exercer leur allemand, ou tout simplement, comme Stéphanie, chercher en famille un climat ensoleillé.
Les adieux faits, le voyage se déroule sans encombre et toute la famille se retrouve sur la plage. Stéphanie s'applique à parfaire son bronzage - il ne faudra pas manquer d'épater les copains au retour - et nage comme une sirène. Surtout elle dépense des fortunes en cartes postales qu'elle expédie tous azimuts.
Maman, qui va faire les courses, est chargée de poster toute cette littérature. La tentation est grande et Maman ne résiste pas: elle jette un coup d'oeil furtif sur la prose de sa fille. Elle en reste abasourdie. Quel langage, d'abord !
- Je m'emm
, raconte la première carte.
- Je me fais ch
, poursuit la deuxième. Et le tout à l'avenant.
Maman surtout se sent coupable de ne pas avoir senti que sa fille était si malheureuse.
Quelques jours plus tard, mère et fille sont installées au bord de la mer.
- Qu'on est bien, dit Stéphanie, en s'étirant voluptueusement.
- Oui, rétorque Maman, dommage que tu t'emm
tant que ça!
- T'as lu! bondit Stéphanie.
- Ben, ma foi, c'était des cartes, se justifie Maman. Un lourd silence s'installe.
- Quand même, insiste Maman, qui voudrait bien savoir ce qui se passe.
- Mais, t'en fais pas, explique Stéphanie, c'est chouette.
- Pourquoi alors? s'étonne Maman.
- M'enfin, ça va de soi, j'peux quand même pas raconter aux copains que je passe de bonnes vacances avec papa et maman!
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