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Ethique et civilisation de consommation

Nous avons tiré cet extrait d'un article des « Cahiers protestants» (1968, n° 3) intitulé «Chacun sa morale», où l'auteur, psychanalyste, analyse l'attitude de l'adolescent face à la société dans diverses cultures et à diverses époques; il se livre ici à une approche de l'éthique et de la civilisation de consommation. ll nous semble intéressant de vous transmettre ces lignes, adressées autant aux adultes que nous sommes qu'aux enfants en voie de devenir adultes, plus sensibles encore à la culture ambiante.

La rédaction



La civilisation de consommation se caractérise entre autres par une pression publicitaire continuelle exercée sur le conscient et l'inconscient de l'homme, éveillant et entretenant en lui des besoins à satisfaire et proposant à ses désirs, élargis jusqu' à l'imaginaire, des produits qui y correspondent symboliquement, et partiellement en réalité. En outre, la diminution de la qualité et de la durabilité des produits commercialisés pousse l'acheteur à les renouveler de plus en plus fréquemment, ce qui maintient en éveil son appétit et sa demande.
Au fur et à mesure que les barrières morales extérieures et l'austérité des habitudes sociales s'estompent, le névrosé ne peut que raffermir puissamment ses barrages intérieurs pour tenter de diminuer l'angoisse que lui donnent ses poussées instinctuelles interpellées par la plus grande permissivité sociale. Mais comme, parallèlement, les démarches publicitaires ambiantes ne font que stimuler ses besoins - même mythiques ou imaginaires - la tension névrotique ne cesse de croître entre les pulsions exacerbées et les barrières de plus en plus rigides qu'elles nécessitent en retour.
Comme tout cela se passe en dehors du champ de la conscience où le Moi pourrait agir, le névrosé ne peut que se sentir toujours plus ambivalent et insatisfait, et toujours moins adapté. (Le mois de décembre, par exemple, connaît une recrudescence des poussées dépressives. De multiples facteurs coucourent à cela, et l'on peut supposer que la surexcitation commerciale qui s'empare alors des citadins, avec l'accroissement de tension qu'elle provoque chez le névrosé, figure parmi ces facteurs comme occasion de troubles réactionnels).
Ne percevant dans l'évolution actuelle que la disparition des règles, des tabous et des exigences sociales traditionnelles, et n'ayant pas la maturité ou l'équilibre affectif ni intellectuel suffisant pour faire les prises de conscience structurantes qui consolident le Moi et la personnalité d'une élite, certains êtres sont asservis à tous leurs besoins, les satisfaisant - ou croyant les satisfaire - chaque fois qu'ils se manifestent. Ces êtres sont livrés pieds et poings liés aux sollicitations commerciales ou autres et nous lisons l'histoire de leur drame tous les jours dans la presse ou bien nous les voyons dans nos offices de consultations ou d'enquêtes, dans nos centres sociaux, couverts de dettes, ou tragiquement inadaptés sur le plan social ou professionnel, familial ou conjugal.
Enfin, il y a les êtres privilégiés, qui bénéficient d'une histoire affective et familiale, de dons personnels harmonieux; ces hommes-là peuvent trouver dans les transformations actuelles de la société l'occasion de mûrir encore, de parfaire leur personnalité et de renforcer d'autant leur éthique consciente qu'elle est moins prisonnière des lois et des coutumes sclérosées qui tendent à disparaître.
Pour ceux-ci, la civilisation de consommation peut devenir un terrain d'exercice précieux pour leur éthique consciente et, surtout, pour découvrir, par la force des choses, une attitude de gratuité, de simplicité, je dirai même une liberté spirituelle; sous cet angle, l'emprise matérialiste, en effet, devient d'autant, plus faible que les produits s'usent et disparaissent plus vite et qu'il n'est plus possible de s'y attacher, qu'ils ne valent plus la peine de les entretenir comme des «trésors». Ce ne sont plus «nos biens» comme autrefois, mais des moyens qui sont offerts à celui qui, visant au delà, sait utiliser paisiblement la réalité actuelle et passagère pour construire les vraies valeurs qui, elles, sont incorruptibles.









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