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Nos devoirs envers la jeunesse moderne (Suite)
Cette transformation de la jeunesse est-elle fâcheuse ? Il est presque oiseux de poser cette question. Fâcheuse ou non, elle existe et il faut nous rendre compte des devoirs qu'elle entraîne pour nous. Du reste fâcheuse, elle ne l'est point à tous égards; si les voies nouvelles côtoient des écueils, si telle nouveauté peut nous attrister ou nous inspirer quelque inquiétude, il y a beaucoup de bon dans cette évolution des jeunes; le temps a balayé des coutumes surannées, des besoins nouveaux surgissent, c'est normal, et il y a dans notre jeunesse des aspirations légitimes en même temps que des virtualités réjouissautes qui réveillent l'espoir.
Nous, parents, ne sommes pas à l'abri de tout danger, et nous sommes menacés, en face de notre tâche, par des écueils qu'il faut savoir signaler: nommons d'abord l'esprit conservateur. C'est dans tous les domaines l'écueil des générations âgées, le passé nous est cher, nous l'avons vécu, il se légitime à nos yeux; nous avons une tendance naturelle à lui attribuer un caractère d'absolu et à nous défier de ce qui est nouveau. Non contents de nous défier, nous risquons de nous effrayer de ce qui est nouveau; nous y discernons des éléments qui nous paraissent funestes, nous prolongeons les lignes, nous croyons volontiers tout perdu parce que l'avenir nous semble inapte aux tâches qu'a remplies le passé. Puis vient l'amour de nos aises; cela nous gêne d'être dérangés dans nos idées, dans nos habitudes; nous sommes froissés de voir mettre en question nos principes; nous préférerions vivre et voir vivre comme nous avons toujours vécu. Hélas ! nous ne sommes point dénués d'égoïsme; nous avons façonné notre propre jeunesse, nous avons vécu notre vie, pourquoi refuserions-nous à nos enfants de vivre la leur et les dépouillerions-nous des droits que nous avons réclamés pour nous ?
Notre devoir est de réagir contre ces dangers et de nous pénétrer de la pensée que nos enfants ne sont pas là pour nous, mais bien nous pour eux.
Une obligation s'impose à nous c'est d'évoluer. Il est inutile de s'opposer à la marche du temps et de se perdre en regrets d'un passé disparu, de nous irriter contre les manifestations nouvelles de la vie. Dans tous les domaines, politique, artistique, social, les hommes qui acceptent d'évoluer, sont seuls assurés d'exercer une influence salutaire sur leurs contemporains. Plaçons-nous du reste en face de notre tâche: quelle est-elle? Préparer nos enfants à la vie. Cette vie s'écoulera-t-elle dans le passé, quelque trente ans en arrière ? Notre idéal serait-il de reproduire en nos enfants nos propres personnes et de façonner des êtres qui sont à l'aurore de la vie à l'image de nous pour qui le jour décline? Non, certes; il nous faut les préparer pour qu'au sein des conditions futures de l'existence telle qu'ils la traverseront, ils demeurent dans la voie droite et deviennent autour d'eux des germes de vie. Il nous faut évoluer: plusieurs d'entre nous l'ont sans doute fait dans le cours des trente dernières années et ne se souviennent pas sans émotion du labeur intérieur de coeur et d'esprit que cette évolution leur a coûté.
Comment faire pour évoluer?
Appliquons-nous d'abord à distinguer dans notre mentalité ce qui est fondamental de ce qui n'appartient qu'au cadre de l'existence, ce qui relève de la vérité éternelle de ce qui n'a qu'une valeur temporaire et locale. Il peut se produire en nous une confusion: beaucoup de choses nous apparaissent comme bonnes parce qu'elles sont bonnes, d'autres nous semblent bonnes parce qu'elles se sont simplement incorporées à nos habitudes. Semblable au pêcheur de l'Evangile, opérons un triage dans tout ce que notre filet ramène au rivage. Faisons une revue de nos principes, de nos manières de voir, de nos coutumes, passons-les à la filière d'une critique morale judicieuse, et soyons disposés à abandonner ce qui n'a qu'une valeur traditionnelle: illustrer ce conseil par des exemples nous ferait tomber dans un domaine trop familier. Ces ruptures ne s'opéreront pas sans certains regrets, sans quelque chagrin, mais elles sont la condition indispensable d'une influence salutaire.
Puis ouvrons les yeux et observons notre jeunesse: débarrassons-nous de toute idée préconçue, ne nous façonnons pas en imagination un type de jeune homme ou de jeune fille auquel nous nous efforcons de ramener nos enfants; étudions ce qu'ils sont de par leur nature et ce qu'ils peuvent devenir, et en sages jardiniers, partons pour travailler au développement non de ce qui devrait être, mais de ce qui est.
Surtout comprenons notre jeunesse; faisons effort pour la comprendre. Aucune action morale ne peut s'exercer sur nos semblables sans une compréhension préalable de ce qu'ils éprouvent. Vous ne réussissez pas à consoler un affligé si vous ne pénétrez pas sa douleur; vous ne convaincrez pas un adversaire si vous ne comprenez pas son point de vue; si le coeur des jeunes vous demeure une terre étrangère, je ne dis pas que votre influence sera tuée d'avance, car votre personnalité peut encore produire sur eux une impression de respect et s'imposer peut-être comme un exemple, mais vous en diminuerez considérablement l'efficacité et la puissance. J'ajoute que cela est non seulement nécessaire en soi pour vous procurer tous vos avantages; mais en outre la jeunesse ne sera accessible que si elle se sent comprise, autrement elle se retranchera en elle-même, elle se fermera pour vous; elle vous respectera peut-être, vous admirera cas échéant, mais elle demeurera soustraite à votre action.
Ayons donc les yeux et le coeur ouverts; étudions notre jeunesse, les influences qu'elle subit, les courants qui l'entraînent, les tentations qui la menacent; rendons-nous compte de ses forces et de ses faiblesses, sondons ses aspirations, ses luttes, ses défaillances, ses doutes. Ne soyons bornés ni d'esprit ni de sentiment. Que tout ce qui en elle est exubérance de l'âge, indépendance prématurée, rencontre en nous de l'indulgence; que tout ce qui est noble et généreux, sincère et honnête, trouve en nous un écho sympathique.
Donnons-lui de l'air à cette jeunesse; il est naturel, légitime qu'elle aspire au mouvement; gardons-nous de l'entraver de tous côtés par des barrières. Ne lui en veuillons pas de sa jeunesse. Ne la critiquons pas trop, ne la fatiguons pas en vantant toujours le passé, ne l'irritons pas en dénigrant les nouveautés par le seul fait qu'elles sont nouvelles. Le principe de l'autorité extérieure a faibli certainement: c'est un mal à certains égards, c'est un bien à d'autres; nous ne pouvons pas le faire revivre artificiellement; nous frémissons lorsque nous le voyons dans certaines familles être remis en action avec excès. Que les parents cultivent en eux l'être intérieur de façon à posséder une autorité morale qui s'impose au coeur et à la conscience de leurs enfants; ce sera sur ceux-ci le plus puissant moyen d'influence.
Laissons aussi nos jeunes s'organiser, se créer et se constituer de nouveaux cadres: le vin nouveau ne peut être versé dans de vieilles outres.
Mais au travers de ces égards pour sa liberté, n'interrompons pas le contact avec notre jeunesse; veillons soigneusement à le maintenir. Nous pourrions être tentés du contraire: il nous serait peut-être plus commode de les laisser vivre de leur côté et de vivre du nôtre, de respecter leur indépendance à condition de demeurer nous-mêmes à l'aise et dans le repos de nos goûts, d'éloigner ainsi de notre quiétude toute cause de trouble et de nous désintéresser de l'existence de nos enfants. Malheur à nous si nous nous laissions envahir par cette coupable et paresseuse inertie; nous récolterions à coup sûr ce que nous sèmerions, et un fossé se creuserait entre nous et ceux que nous avons charge de conduire: c'en serait fini de notre influence. Associons-nous au contraire à leurs intérêts, à leur activité, prenons-en dans la mesure du possible notre part, provoquons leurs communications à cet égard et éveillons leur confiance; que dans leurs travaux comme dans leurs amusements ils trouvent leurs parents sympathiques. Efforçons-nous au travers de cela de faire luire devant eux un idéal, et s'ils en ont déjà un, veillons à ne pas le laisser s'affaiblir. Qu'il n'y ait dans notre manière de leur présenter le christianisme aucune étroitesse de pensée ni de coeur; tendons à ce que la piété chrétienne les attire, qu'ils aient l'impression de la source de force et de joie qu'elle constitue pour nous et qu'elle peut devenir pour eux.
Puis enfin attendons: laissons-les faire leurs expériences, le temps est un puissant correcteur; le temps les instruira; à leur tour ils feront un triage parmi tout ce qu'ils auront amassé ou conçu dans leurs premières années; bien des faux diamants dont l'éclat les avait hypnotisés perdront leur lustre; les choses acquerront petit à petit leur valeur véritable; ils lâcheront les appuis qui se révèleront être des roseaux, fendus, leur oeil apprendra à discerner la vérité, leur volonté d'action à s'appliquer à ce qui est bon et utile. Que Dieu, et c'est là l'essentiel, les dirige et les bénisse!
Serait-ce à dire que la largeur de vue et la sympathie soient nos seuls devoirs, et que nous n'ayons rien d'autre à faire qu'à lâcher la bride a cette efflorescence de jeunesse! Non, nos enfants se heurtent à des écueils comme nous risquons de nous heurter aux nôtres. L'indépendance porte atteinte au respect; au respect des personnes et à celui des choses, car il y a des choses qui méritent le respect; sur ce point l'usage de l'autorité sera légitime; efforçons-nous avant tout de le mériter ce respect, c'est l'essentiel, mais envisageons-en l'expression et ne permettons pas qu'il y soit fait offense. L' activité extérieure risque de compromettre la vie de famille, or les liens de famille sont la base de la vie sociale, rattachons nos enfants à la famille, cultivons les réunions entre membres de la famille, efforcons-nous de rendre notre intérieur agréable et attrayant, nous-mêmes ne nous en absentons pas trop souvent, et que nos jeunes gens trouvent autant que possible leurs parents, tout au moins leur mère, à la maison. De quel prix pour des coeurs paternels et maternels est l'attachement témoigné pour la «maison» par des fils ou des filles partis pour l'étranger et leur ardeur à y revenir à l'occasion!
L'enthousiasme pour les joies du présent et les perspectives de l'avenir menacent de rendre injuste envers le passés. Nos jeunes le méprisent volontiers, ils le dénigrent; il semble parfois à les entendre que dans le passé on n'a rien su faire, on était arriéré. Réagissons contre cette tendance, affirmons à côté des droits de l'avenir ceux du passé; l'avenir dans un sens doit tout au passé, et si l'on a droit à user de liberté quant à ce qu'il nous a transmis, il mérite notre respect et notre reconnaissance pour ce qu'il a préparé en notre faveur.
Dans leurs affirmations nos jeunes oublient leur ignorance ou leur inexpérience. Enseignons-les. Montrons-leur où aboutissent certaines lignes qui les séduisent: «Telle voie paraît droite à l'homme, dit le livre des proverbes, dont l'issue est une issue de mort». Rendons-les attentifs aux visions généreuses qui dérobent à la vue le devoir présent, aux enthousiasmes sous lesquels l'égoïsme trouve à se cacher. Par dessus tout, amenons-les à s'attacher à Celui qui a dit: «Je suis le chemin, la vérité, la vie». Qu'ils lui soumettent leur coeur, qu'ils prennent sa parole pour boussole, et au milieu des sentiers nouveaux et divers qui s'ouvrent devant eux, ils découvriront la route sûre et droite.
Nos devoirs vis-à-vis de la jeunesse moderne ? Ce titre donné à notre causerie est quelque peu prétentieux, aucun de nous ne se trouve en face de toute la jeunesse, et pour chacun cette question théorique se résout dans des problèmes pratiques; ce titre d'une portée si générale se traduit pour nous dans une série de cas de détails. Nous nous trouvons en présence non de la jeunesse, mais de quelques individualités jeunes, de nos enfants. D'un côté cela complique, de l'autre cela simplifie le problème, et dans les difficultés qui se présenteront, chaque parent cherchera la lumière, mais sera en définitive réduit à agir comme il pourra. Les données de chaque situation sont si diverses et si multiples, que les solutions ne peuvent être qu'individuelles. Souvenons-nous seulement que nous serons plus assurés de bien réussir en communiquant à nos enfants des principes vitaux par lesquels ils laisseront s'inspirer leur conduite qu'en entravant leur marche morale par des barrières qui les limitent.
L'humanité est dans un perpétuel état de devenir; les générations se succèdent les unes aux autres; chacune a sa mission qu'elle doit remplir dans les circonstances et dans le milieu de son époque. Nous parents, nous devons préparer les enfants à vivre dans leur temps, au sein des hommes de leur génération; notre but ne doit pas être qu'ils reproduisent notre image mais qu'au milieu de leurs contemporains, ils soient des forces de justice, des instruments de bien, des ouvriers de Dieu. Le poète antique, dans un vers célèbre, représente les générations humaines, portant le flambeau de la vérité et se le transmettant de l'une à l'autre. Nous avons nous aussi un flambeau, une lumière qui seule de siècle en siècle peut éclairer véritablernent les hommes: transmettons-là à nos enfants, moins par nos paroles que par des vies vécues en Dieu; quand ils nous auront vu alimenter nos vies à la source de toute justice, de toute droiture, de tout amour et de toute force, ils expérimenteront que pour eux-mêmes cette source n'est pas autre, et alors, très différents de nous à beaucoup d'égards, au sein d'existences différentes, dans un avenir où les besoins, les tâches, les devoirs, les situations seront autres, ils seront capables d'occuper une place utile, et, semblables au roi David dont il est dit qu'«après avoir en son temps servi aux desseins de Dieu il mourut», ils réaliseront eux aussi, l'intention et le plan de Dieu à leur égard: c'est ce que nous pouvons désirer de mieux pour eux.
Ayons confiance: chaque génération humaine a contemplé des nuages à son horizon, parfois les hommes s'en sont effrayés: et pourtant Dieu dans sa sagesse a dirigé le monde et réalisé, au travers de tout, son plan d'amour. Demandons la sagesse, soyons fidèles dans notre tâche, et croyons: «Ne t'ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu».
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