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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
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Un bonheur partagé

Ainsi, mes filles aimaient choisir et avaient horreur d'être bousculées ou gavées. Il fallait qu'elles aient le temps de choisir et de goûter à leur rythme, de tremper des mouillettes dans leur Å“uf à la coque, de grignoter les bouts croustillants d'agneau, de sucer l'os de leur côtelette, d'écraser une pêche juteuse entre les doigts, d'étaler leur purée sur leur assiette et de gravement la pétrir. C'était une des étapes à respecter.
Après le biberon, les doigts, puis la cuillère, la fourchette, elles voulaient manger comme les grands, en savoir plus. Peu à peu, la joie qu'elles partageaient avec toute la famille, les petits gestes rituels, la variété des mets faisaient des repas l'un des moments riches de la journée. Elles découvraient doucement un certain bonheur partagé, un art de vivre ensemble.

Un palais audacieux

N'est pas gourmand qui veut; éveiller un palais à la nouveauté demande de la patience et un peu de courage. Aussi, j'essayais d'élargir la palette de leurs goûts. Je comptais sur leur curiosité pour aller des plaisirs connus à de nouveaux goûts. Je voulais surtout éviter que leurs répugnances passagères ne se transforment en dégoûts permanents.
Quand elles allaient à la campagne, elles rentraient de promenade les joues couvertes de traces jaunes et brunes: elles avaient goûté des fleurs de genêts, des aiguilles de pin, un peu de terre même et parfois des fourmis et des sauterelles. Curieuse et dangereuse éducation mais, pour les gourmets en herbe, un palais audacieux vaut mieux qu'un palais timoré.
En grandissant, les filles prenaient autant de plaisir à participer à la préparation et à l'évaluation des opérations culinaires qu'au résultat. Tout était jeu.
Lorsqu'aux vacances d'été, par exemple, nous arrivions à la campagne, nous passions de suite aux choses sérieuses: la visite du jardin potager. Les haricots verts étaient-ils déjà en fleur? Les tomates déjà formées ? Les choux avaient-ils survécu à la voracité des pucerons ? Les limaces avaient-elles attaqué la laitue? Les moineaux nous avaient-ils laissé quelques cerises? Allions-nous trouver des fourmis dans les abricots, des vers dans les pommes? Chaque légume, chaque fruit était considéré comme un trophée et, pour préserver le précieux patrimoine, tout le monde se mettait à arroser, à sarcler, à nettoyer les pousses. Dans la cuisine qui sentait le vinaigre, le fenouil et le melon, on épluchait, on coupait, on rangeait selon ses talents.
Après tous ces mois de passivité scolaire en ville, ce monde des saveurs, des textures, des parfums enchantait les enfants. Après ces longs mois de docilité, elles dépendaient enfin de leur goût, de leur odorat, de leur intuition. Elles apprenaient aussi l'art de partager.

L'art de partager

Les repas de famille, pour célébrer une fête, une visite, un départ, étaient toujours des événements.
Mais chacun de ces repas risquait toujours de tourner au désastre, pour cause d'ennui, de rivalité, de rancunes. Nous donnions donc le meilleur de nous-mêmes à l'organisation de ces festins… et les convives en oubliaient les vieilles querelles et les petites divergences! Car un palais ouvert et généreux, «large d'idées» si je puis dire, crée un état d'esprit ouvert et généreux. Nous composions des plats capables d'enchanter les plus récalcitrants.
La nourriture est un lien puissant entre les générations. L'ouïe, la vue peuvent baisser, les facultés intellectuelles diminuer, mais le palais dans sa sagesse est le dernier à perdre sa finesse. L'été dernier, l'un de mes vieux voisins tomba malade, ses facultés avaient baissé, il ne trouvait plus de goût aux choses, il avait perdu l'habitude d'être heureux. En même temps, notre abricotier était couvert de fruits, les enfants en cueillaient des paniers, j'en cuisais d'immenses bassines.
Un matin, quand tous mes pots furent remplis, quand la confiture caramélisée et rousse à souhait fut prête, mes filles lui en portèrent un bol et le miracle se produisit. Il se mit à rire, à rougir, il parla des petits déjeuners de son enfance, des tartes préparées pour le festin du village et de ce vieil arbre qu'il connaissait depuis si longtemps. La confiture était douce et acidulée, elle était bonne, elle le rassurait. Il se sentait tout à coup en accord avec lui-même, avec ses souvenirs, avec le vieil arbre voisin.

Cuisiner c'est continuer à donner la vie

Eduquer un palais, c'est aussi parler des plantes, des animaux, et de leurs rapports avec l'homme. Faire pousser des légumes, élever une basse-cour incitent au respect des saisons, au respect du donné; c'est découvrir le monde autour de nous et en nous; c'est être attentif à ses petits miracles, à ses petits trésors, ses enchantements, ses rythmes, ses cycles.
Cuisiner, c'est continuer à donner la vie. C'est un exorcisme contre la solitude et l'ennui, un prisme qui nous oblige à nous concentrer sur l'instant présent, à saisir la réalité dans ses formes les plus humbles pour les transformer en plaisirs forts.
La soupe aux crabes, le ragoût d'artichauts, les pâtes au basilic laisseront des traces parfumées dans le cÅ“ur et dans l'esprit de nos enfants. C'est là un héritage fort que nous leur léguons: le sens des plaisirs du corps, de la joie partagée, de la confiance entre soi et la nature, et le souvenir d'un apprentissage, d'une initiation au bonheur qu'ils pourront à leur tour transmettre à leurs enfants avec, au-delà du savoir bienfaire, un véritable bien-vivre.









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