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Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
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La solidarité

Rien n'égale l'habileté de certains parents à soumettre l'esprit qu'ils doivent former à leurs idées personnelles, à leurs opinions, à leurs convenances, comme en pays sauvages on écrase la tête du nouveau-né, quand elle est encore molle, pour lui faire prendre une forme réputée avantageuse. Ainsi font-ils. Ils broient, triturent dans leur mortier, jettent dans leur moule l'intelligence et le caractère de l'enfant, de façon qu'il ne puisse jamais voir que par leurs yeux, penser que d'après leurs pensées. Le fils suivra la carrière du père, qui veut se continuer, revivre en lui, comme pour se donner l'illusion d'une seconde existence. On lui dira ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas, le genre de vie qui lui convient; il n'apercevra le monde qu'à travers la vision anticipée qu'on aura évoquée devant lui par une suggestion constante de jugements affirmatifs et de maximes sommaires. De là, de génération en génération, dans la même famille, l'esprit de routine, la conservation d'idées jadis excellentes, parce qu'elles étaient conformes aux moeurs et aux besoins de l'époque, mais qui, aujourd'hui, sont de véritables anachronismes; de là, cette insignifiance de beaucoup de jeunes gens qui ne sont que les épreuves effacées d'un cliché très ancien; de là, de lamentables désastres. Les effets de cette éducation compressive sont déplorables, car de trois choses l'une: ou bien l'enfant réagit: des tendances héréditaires le rattachant à des ancêtres éloignés, se redressent en lui, réveillés par la provocation de l'éducateur maladroit; et alors nous assistons à des résultats inattendus: nous voyons, par exemple, des fils de croyants devenir des incrédules fanatiques pour avoir été contraints, dans leur enfance, de se plier aux habitudes d'une piété trop rigide. (Il est dangereux de laisser croire aux enfants qu' il n'y a qu'une manière d'être chrétiens.) Ou bien les instincts naturels s'opposent à l'éducation, mais n'ayant pas assez de force pour en triompher, se contentent de la tenir en échec; et alors le conflit d'éléments antagonistes partage l'enfant dans un dédoublement stérile entre les sollicitations de ses goûts et la tyrannie de ses habitudes. Ou bien encore, la suggestion artificielle employée à contre sens l'emporte sur toute la ligne; et alors ce n'est pas un être moral qu'on a élevé, mais un animal qu'on a dressé, et qui, ne sachant faire que des actes commandés, n'ayant que les idées qu'on lui a imposées, se jettera tête baissée dans les plus graves erreurs, dès que l'avenir posera devant lui des questions ou le mettra aux prises avec des circonstances non prévues par les principes paternels. Dans le premier cas vous aurez fait un révolté; dans le second, un impuissant; dans le dernier, un irresponsable; et dans les trois, un malheureux.

Mais j'entends les protestations d'un grand nombre de parents, ils me disent: «Nous n'élevons pas nos enfants pour nous, mais pour eux; notre seul tort serait peut-être de les aimer trop, mais nous préférons pécher par excès de tendresse que par excès de sévérité.»

Vous élevez vos enfants pour eux? Eh bien, c'est une autre erreur dont les conséquences sont aussi funestes que celles que je viens de signaler. Vous les élevez pour eux, cela veut dire que vous cherchez, par des moyens factices, à leur embellir la vie, que vous leur cachez toutes les tristesses et tous les devoirs qu'elle leur réserve sous prétexte qu'ils auront bien le temps plus tard de les connaître. Vous les élevez pour eux cela veut dire que vous leur suggérez sans cesse que leur faiblesse leur donne des droits que vous leur enfoncez dans l'esprit depuis le premier âge par des caresses exagérées, des appellations hyperboliques, l'idée qu'ils sont infiniment précieux et uniques. Vous les élevez pour eux, cela veut dire, non pas que vous les aimez trop, mais, au contraire que vous ne les aimez pas assez, car aimer trop, comme vous l'entendez, c'est aimer mal, et aimer mal, c'est aimer moins. Que produira votre méthode? Des êtres capricieux et volontaires qui, devant la réalité brutalement révélée, resteront désarmés et déçus, et se briseront aux obstacles, faute de savoir les surmonter; des orgueilleux qui se rendront insupportables par leurs prétentions, leur besoin de se faire admirer, d'être un centre, comme jadis, à ceux avec lesquels ils seront obligés de frayer, jusqu'au jour où ils iront grossir la foule hargneuse des mécontents, des jaloux et des dédaigneux; des êtres insociables en somme, dilettantes s'ils ont quelque talent, misanthropes s'ils n'en ont aucun, inutiles toujours.

Il n'y a donc qu'une issue pour sortir de cette impasse de l'individualisme, où l'éducation se trouve engagée entre l'égoïsme des pères et l'égoïsme des fils. Cette issue est la solidarité bien comprise, qui commande à l'éducateur d'élever l'enfant, non pour soi, ni pour lui, mais pour la société où il doit s'incorporer. Pratiquez donc cette règle très simple. Rattachez l'anneau suspendu par le passé dans le vide à tout le présent. Placez vos enfants sous une suggestion générale, qui a l'avantage d'être en harmonie avec leurs instincts fondamentaux, celle qu'ils sont des membres de l'humanité de leur temps. Combattez en eux, dès les premières années de leur existence, les dispositions antisociales, la bouderie et la mauvaise humeur. Habituez-les à la compassion pour les misères de notre époque, à la pitié pour tous les humiliés, à la justice pour tous les offensés, vous souvenant que l'absence de ces sentiments altruïstes est le trait caractéristique de tous les déséquilibrés, depuis le pessimisme ombrageux jusqu'à la folie. Démontrez-leur, en toute occasion, qu'ils sont non des créanciers mais des débiteurs, que le travail est une restitution, que le bonheur est en proportion de la conscience qu'on a de son utilité, que le dévouement est le meilleur moyen de devenir une forte individualité. Prouvez leur - les exemples n'en manquent pas dans l'histoire - que le plus grand n'est pas celui qui domine, mais celui qui sert, celui qui dans la position où il se trouve, a la noble ambition de diminuer, ne serait-ce qu'une heure et pour un seul être, le poids d'une douleur. Apprenez-leur la religion de la souffrance, qui contient toute une morale, la morale du coeur destinée peut-être à sauver ou à remplacer celle de la conscience si souvent compromise par les subtilités des casuistiques, ou ébranlée par le scepticisme des psychologues modernes. Préparez-les en un mot à la profession d'homme, en leur révélant tous les liens de solidarité qui les unissent au passé par ce qu'ils sont, au présent par ce qu'ils doivent et à l'avenir par ce qu'ils feront.









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