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Les lecteurs ont la parole
Dans le n° 10 (1989) des Entretiens sur l'Education, une lectrice nous faisait part des difficultés de sa petite fille à l'école: « Elle a peur de la maîtresse ».
Aujourd'hui, un autre lecteur, Monsieur Maye, intéressé par le sujet et la réponse que nous avions donnée pense «qu'il est utile d'explorer l'hypothèse pédagogique, moins culpabilisante que celles proposées dans la réponse des Entretiens. Par ailleurs - ajoute-t-il- en explorant l'hypothèse pédagogique, on peut rencontrer d'autres problèmes, affectifs, relationnels et les affronter avec douceur».
M. Maye nous adresse le texte suivant dont nous publions quelques extraits tirés de:
Une pédagogie de l'entraide, Antoine de la Garanderie, « Les Editions Ouvrières», 1974, 120 pages.
«Maman, je sais
»
Voici le jeune enfant qui récite sa leçon à sa mère le soir ou le matin avant de partir en classe. Il la sait par coeur et la récite sans une hésitation. Interrogé par l'instituteur quelques quarts d'heure ou quelques heures plus tard, il ânonne ou reste silencieux. Supposons que l'instituteur lui reproche sa paresse. L'élève pourra lui objecter qu'il avait parfaitement récité sa leçon à sa mère. Quelles interprétations va-t-on couramment donner pour expliquer cette leçon non sue?
1° La mère est indulgente. Elle a aidé son rejeton en lui soufflant les mots à dire, en commençant les phrases ou en les complétant. Le manque de rigueur et de méthode de la mère entretient son enfant dans l'illusion qu'il sait sa leçon.
2° L'enfant a bien récité sa lecon à sa mère et il la savait. Mais comme il a peu de mémoire, il oublie très vite. Ou encore, il a fait un effort suffisant pour répéter dans l'instant mais insuffisant pour retenir à long ou moyen terme.
3° L'enfant est très émotif; il se démonte en classe. Il savait sa leçon, mais, par peur, il n'a pas osé la réciter au maître.
Nous n'excluons pas la possibilité de ces hypothèses explicatives. Mais nous estimons qu'on a passé sous silence la plus importante, celle qui justement fait intervenir la relation. Si nous prenons soin de décrire avec plus de précision l'acte de mémorisation, qui est un acte de réflexion projeté sur autrui, nous comprenons beaucoup mieux le cas que nous venons de présenter.
On apprend quelque chose pour quelqu'un
Voici l'élève en train d'apprendre sa leçon. Que se passe-t-il dans sa tête? Nous l'imaginons lisant les phrases, les répétant en levant les yeux. Nous l'imaginons s'imprégnant des titres de sa leçon, les projetant sur l'écran de l'espace ou s'efforçant de retrouver la page lue avec sa disposition, avec les lettres en caractères gras
S'il sait sa leçon lorsqu'il la récite à sa mère, c'est parce qu'implicitement il l'apprend en relation avec elle; il la projette sur elle. Il l'apprend pour la lui réciter.
Faute d'avoir compris que la relation avec celui qui interroge est essentielle pour prendre conscience de l'acquis - qui n'est acquis que parce que projeté - il ne se rappelle plus sa leçon. Il croit qu'il sait sa leçon parce qu'il l'a récitée à sa mère; mais il ignore qu'il ne peut la savoir que si la relation avec celui ou celle à qui il doit la réciter a été établie au temps où il l'apprenait.
Dès lors, une leçon apprise en relation avec sa mère, et pour elle, peut être perdue pour le maître, si, au temps de l'apprentissage, la relation avec le maître n'était pas visée, si le contenu de la leçon n'était pas projeté par une représentation imaginaire sur le temps d'avenir où, en classe, la leçon aura à être récitée.
Comme M. Jourdain
La première objection qui paraîtrait inspirée par le bon sens revient à dire que beaucoup d'élèves savent souvent leurs leçons sans jamais s'être avisés de cette projection dans la relation de ce qu'ils devaient apprendre.
En fait, cet argument ne tient pas compte de ce que vit l'élève en train d'apprendre sa leçon, car, quand bien même l'accent ne serait pas mis sur cette relation d'avenir avec le maître et la classe, il n'en resterait pas moins qu'elle est présente, qu'elle anime du dedans l'acte de mémorisation.
Un élève qui prend confiance en lui et qui se met à bien savoir ses leçons, n'est-ce pas déjà sa relation avec son maître qui devient et qui se développe? Cela peut demeurer implicite et n'être pas exprimé puisque jusqu'à présent personne n'a attiré l'attention de l'élève sur la condition relationnelle de l'acquisition des connaissances.
L'élève est dans la situation de M. Jourdain qui fait de la prose sans le savoir.
Non pas supprimer l'effort mais lui donner sa perspective
La seconde objection a un caractère pédagogique. Nous pouvons la préciser ainsi: sous prétexte de relations pédagogiques vous allez détourner les élèves de l'effort pour apprendre en leur faisant croire qu'il leur suffit de se placer dans cette perspective d'avenir et de jouer « leur leçon» pour la savoir.
Mais nous n'avons jamais nié l'utilité de la réflexion ni de l'effort pour acquérir et mettre en ordre des connaissances. Nous avons affirmé qu'une condition fondamentale avait été négligée, celle de la relation. Nous avons montré que l'effort de la répétition, sempiternel, ne faisait pas avancer d'un pas l'élève dans ce qu'on appelle l'acquisition des connaissances, s'il n'a au préalable axé sa volonté d'apprendre sur un geste de projet de réciter, de re-dire, c'est-à-dire sur une relation avec quelqu'un, qu'on va re-trouver.
Une image esquissée plutôt que dessinée
La troisième objection est d'ordre psychologique: comment se fait-il que les élèves, lorsqu'ils passent un examen dans une salle inconnue, devant un maître qu'ils voient pour la première fois, c'est-à-dire sans qu'ils aient pu à l'avance projeter leur savoir, réussissent à manifester les connaissances adéquates?
Se représenter l'avenir n'implique pas la connaissance préalable des lieux ni des personnes. L'image vague vers laquelle on projette son acquis a des contours, un sens: il s'agit d'une salle d'examens, d'un professeur qui interroge.
Répéter pour tout intégrer, c'est améliorer la relation avec un interlocuteur que l'on se figure très exigeant et que l'on a intérêt à imaginer tel. L'effort accompli revêt un sens différent de celui qu'on a coutume de penser: il est dialogue, il fait retour à l'autre qui apprécie, qui juge.
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