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Attention aux étiquettes!
Jaloux! Paresseux! Nul en maths! Egoïste! Timide! Insolent! Menteur!
Peu de parents résistent à coller une étiquette sur leurs enfants. Attention à ces jugements hâtifs, ils peuvent les marquer pour la vie.
«Mais qu'est-ce qu'on va faire de toi, Jérôme? Tu deviens de plus en plus paresseux! Tu crois que je ne te vois pas rêvasser tous les soirs au lieu de faire tes devoirs. Je sais très bien que dès que j'ai le dos tourné, tu t'installes devant la télé. Ça ne peut plus durer, Jérôme.» Scène de la vie quotidienne chez les X
Tandis que maman enrage, Jérôme, neuf ans, tortille d'une main l'ourlet de son jean tout en lapant bruyamment un yaourt aux fraises.
«Cataloguer c'est enfermer»
Le couplet maternel, pour tout dire, il s'en fiche. Son avenir est balisé. Il le sait. Depuis le temps qu'on la lui serine, sa paresse, il y souscrit sans réserve. Il en a même fait sa carte de visite. L'autre soir, à sa grand-mère qui s'enquérait de ses résultats scolaires, il a récité tout de go: «C'est pas brillant-brillant. Mais tu sais, j'ai un sacré poil dans la main.»
Jérôme est paresseux, Nanou, sa grande soeur, est «très courageuse», et Lydia, la fille des voisins, est une «vraie chipie»
Papa et maman l'ont dit. A chacun son étiquette
Papa et maman ont donné à Jérôme une identité sur laquelle il est en train de se construire, persuadé qu'il répond ainsi au désir de ses parents. Ceux-ci, pourtant, essaient de le mobiliser contre cette fainéantise. Ils vont même parfois jusqu'à lui faire honte, mais le petit bonhomme, lui, capte inconsciemment un tout autre message. C'est en tant que paresseux qu'il est reconnu par ses parents, qu'il existe pour eux. Il ne faut donc pas qu'il change.
Surtout pas! Sinon il cesserait d'être conforme à l'image qu'on se fait de lui. On ne l'aimerait plus.
Comme il est lourd le malentendu! Personne à la maison ne soupçonne ce qui se passe dans l'inconscient du jeune cossard. Papa et maman s'inquiètent: «Il est intelligent, mais s'il ne se ressaisit pas, il ne fera jamais d'études. Il n'aura pas de métier. Il sera malheureux.»
Jérôme lui-même est à cent lieues de comprendre
C'est vrai qu'il préfère de très loin le club Dorothée à l'histoire de France. C'est vrai qu'il n'a que faire du subjonctif ou des poésies du grand Arthur Rimbaud! «Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas envie de travailler», dit-il. Et il est sincère! Il ignore qu'il signe ainsi son désir de plaire à ses parents en ajustant son comportement à ce qu'il prend inconsciemment pour leur désir.
«Rien n'est pire que de cataloguer un enfant», considère Gérard Séverin, psychanaliste, qui se méfie comme de la peste de «l'enfermement». «Cataloguer, dit-il, c'est enfermer».
Que faire alors face à un enfant cuirassé d'indifférence pour la langue de Molière et la règle de trois? Lui parler, répond Gérard Séverin. Lui expliquer qu'il n'est pas possible d'évoluer dans un monde que l'on ne connaît pas. Lui faire comprendre la nécessité de savoir lire, écrire, compter
Et surtout ne pas globaliser son comportement. L'être humain n'est pas monolithique. Un paresseux n'est jamais exclusivement paresseux. Dans certaines circonstances, il se montrera plutôt courageux, travailleur. Il faudra donc sauter sur ces occasions et le féliciter. «On a toujours intérêt à montrer à un enfant ce qu'il a bien fait. L'inconscient se dirige vers ce que les autres regardent.»
Regarder les actes courageux d'un paresseux, les actes généreux d'un égoïste, les actes audacieux d'un timide, c'est donner à ces conduites une chance de se multiplier.
Attention: gare aux petits génies
Gare cependant! Regarder n'est pas lorgner! A trois ans, Sophie, fille unique, petite princesse choyée, débitait l'alphabet, écrivait son nom en capitales et expliquait au premier venu que la Terre tourne autour du Soleil.
«Nous avons fait un petit génie, une petite surdouée», claironnaient devant elle ses parents. Mais, bientôt, Sophie a levé le pied. Elle s'est essoufflée. Aujourd'hui, son blason de génie se dédore, virant au badge d'élève sérieuse et moyenne. Le drame. On la voulait supérieure aux autres. Voilà qu'elle ne l'est pas. Alors Sophie a adopté une position de repli, d'isolement, communiquant peu et s'autopunissant. «Elle ne cesse de se blesser, raconte son institutrice. Elle se couvre de plaies et d'égratignures. Quand je la questionne, elle me dit «Je suis tombée» ou «Je me suis cognée». Traduction: «Je suis une mauvaise fille. Je ne corresponds pas au désir de mes parents. Je ne suis pas digne d'être aimée. Je ne vaux rien.»
Du danger de mettre la barre trop haut
Le reflet du désir parental
«A l'enfant qui réussit, déclare Gérard Séverin, on dit: Continue, tu nous fais plaisir.» Mais le jour où il décroche, il faut qu'il sache qu'il nous plaît toujours, qu'il nous fait toujours plaisir.»
Le voilà le filigrane salutaire, celui qui devrait sous-tendre tout discours parental: Quoi que tu fasses, nous te reconnaissons, nous t'aimons, tu nous fais plaisir
L'enfant a pour mission de réparer l'échec des parents, voire de faire aboutir leurs rêves perdus. Les plaintes des parents au sujet de leur descendance nous renvoient ainsi d'abord à la problématique propre de l'adulte. En d'autres termes, toute étiquette plaquée sur un enfant, qu'elle soit négative ou positive, qu'elle soit fondée ou non, n'est autre que le reflet du désir de ses parents.
L'enfant découvrira ainsi les limites de l'adulte
Il ne s'agit nullement de minimiser le travers. Mais de se garder de le traiter comme une constance. On mettra l'accent sur le caractère ponctuel de la «faute», de la «bêtise», du «penchant». Au petit diable qui joue les Rambo, on dira: «Tout à l'heure, tu as cassé un carreau. Je n'aime pas ça. Utilises ta force pour faire de la boxe ou du karaté.» Et si parfois l'on s'emporte, eh bien, tant pis. Ou plutôt tant mieux. Le« coup de gueule» s'inscrit dans la condition de parent
Il suffira seulement de s'excuser après. «L'enfant découvrira ainsi les limites de l'adulte qui n'est pas un dieu tout-puissant. Ça lui permettra de grandir».
A l'inverse, on ne hissera pas le don, l'aptitude, la qualité, au rang de valeur suprême. Petit Pierre a la bosse des maths? Très bien. Ses parents en sont heureux. Mais Petit Pierre, c'est Petit Pierre, avec ou sans bosse des maths. Et ça, Petit Pierre, il faut qu'il le sache.
Benjamin, Sophie, Jérôme et les autres
garderont-ils longtemps leurs étiquettes plaquées comme des autocollants waterproof?
L'enfant, indique Gérard Séverin, subit le désir de ses parents jusqu'à l'adolescence. «Ce n'est qu'à cette période qu'il s'en sépare pour découvrir son propre désir.» Lorsqu'une étiquette a été apposée (imposée
) par les grands, elle se dissout, alors supplantée par un face-à-face avec sa propre réalité. On comprend que l'adolescence ouvre si souvent la porte des grandes métamorphoses! Dans un sens ou dans l'autre. Mais ce n'est pas une règle.
L'univers est également peuplé d'hommes et de femmes qui n'ont pas réussi à mettre le cap sur leur propre désir et vivent encore, sans le savoir, conformément aux volontés de leurs parents. Certains «se découvriront» à trente, quarante, soixante ans. D'autres ne se découvriront jamais
Pas facile, n'est-ce pas d'être parent! D'oeuvrer pour le bien de sa progéniture. De toute façon, un fait est sûr: Gérard Séverin le confirme: «Il n'existe pas de parents parfaits. Les enfants se bâtissent sur nos qualités mais aussi sur nos failles.»
A nous adultes, de ne pas camper trop lourdement sur nos failles
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