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J'ai huit enfants

Sous ce titre vient de paraître (Librairie Baudinière, 23, rue du Caire, Paris) un livre charmant plein de gaieté et d'un optimisme fait pour dérider les plus austères visages. Les quelques fragments que nous en tirons donneront une idée de ce joli volume. Réd.

Je connais des enfants qui sont les plus beaux du monde. Les plus beaux du monde ? En êtes-vous sûr? me demanderont des mamans jalouses.
Si j'en suis sûr! Ce sont les miens!

Tous les papas, toutes les mamans trouvent leurs enfants incomparables. Ils ont raison. Entre leurs enfants et eux, il y a l'amour, l'amour qui corrige, amende, redresse, orne, pare, embellit ce qu'il touche et dès le moment qu'il le touche. Vous pouvez, dans l'un des plateaux de la balance, accumuler toute distinction, toute grâce, toute science, toute vertu: à peine dans l'autre plateau l'amour s'est-il posé qu'il emporte la charge…
Il n'est pas de livre où l'on puisse s'instruire autant que dans une âme d'enfant; toute la science des philosophes y est enclose. Dieu lui-même a de ses mains écrit ce sublime ouvrage. Ni le vent des passions n'en a froissé les feuillets, ni la marée des vices n'en a corrodé les caractères. En prêtant l'oreille à de doux gazouillis, vous entendez un langage qui n'est pas de la terre; en caressant de fins cheveux, vous sentez palpiter les ailes des angelots; en baisant une petite main fraîche, vous avez la révélation de la pureté originelle; en fixant de grands yeux candides, vous voyez au fond des prunelles Dieu lui-même, qui vous regarde et vous sourit.
Mais pour lire en une âme d'enfant, il faut redevenir un enfant soi-même. La tâche est au-dessus des forces humaines ; nous en viendrons à bout cependant avec l'aide de Celui qui nous a proposé les enfants comme modèles: "si vous ne devenez semblables à ces enfants"…

Solange, Geneviève, Jean, Mimi, Francois, Pierre, Antoinette, Etienne, tels sont les noms de mes huit enfants. Leur âge ? treize ans, sept ans, six ans, cinq ans, quatre ans, trois ans, deux ails, six mois.
Dans la belle série, une longue coupure: c'est un cercueil qui l'a faite. Une maman est partie et, quelques années après, une maman est arrivée.
Une autre coupure encore que commanderait la sagesse humaine: l'âge de trois ans devrait disparaître de la colonne, car c'est l'âge qu'aurait mon petit Francois, s'il ne s'était envolé un jour pour s'en aller avec les anges.
Mais l'amour et la foi se moquent de la sagesse humaine, Francois est avec les anges, mais aussi avec nous; il ne nous a pas quittés, tellement mêlé à notre vie que nous ne pouvons faire un pas sans qu'il s'en vienne buter entre nos jambes.
Petit François, mon chérubin, c'est à toi que je consacre ce livre. Donne-moi ton âme d'enfant, afin que je sache lire dans les âmes de tes petites sÅ“urs et de tes petits frères. Inspire-moi, conduis ma plume, souffle-moi les mots qu'il faut dire, ranime au baiser éternel mon pauvre coeur transi, et que de ces pages jaillissent des flammes qui aillent éclairer et réchauffer la terre entière.

La petite maman

« Solange ! mouche-moi. - Solange ? mon lacet est défait. - Solange! je ne trouve pas ma balle. Solange ! où est mon chapeau? - Solange! habille-nous pour aller au jardin. - Solange ! amuse-toi avec nous. - Solange! Jean-Jean m'a tiré les cheveux »… Quelques-unes des exclamations, des admonestations, des prières, que tout le long du jour, Solange entend bourdonner autour de ses oreilles. Elle doit, à sa qualité de sÅ“ur aînée d'avoir été adoptée par ses frères et soeurs comme petite maman. Or une maman - l'exemple de la grande maman le prouve avec surabondance - est créée et mise au monde pour obéir à ses enfants.

Solange s'impatiente parfois et répond par un «non! » sec et définitif à une demande importune. Mais son «non » est trop sec, définitif. On sent qu'elle a besoin de prendre des assurances contre sa propre faiblesse.

L'intéressé ne s'y trompe pas. Il répète sa demande et Solange cède.
La peine qu'elle prend a d'ailleurs son salaire: l'admiration et l'affection dont chacun des petits l'entoure. Quand elle s'absente, quel vide! (Si Solange était là, elle nous raconterait une histoire. - Si Solange était là, elle nous découperait des images. Si Solange était là… - Si Solange était là…) Et quand elle revient, quels transports! On la presse, on lui saute au cou, chacun réclame sa première caresse.

Ma grande fille est saine d'esprit aussi bien que de corps. Son sang et sa joie de vivre lui coulent à fleur de peau. Pourquoi donc cette mélancolie que parfois je remarque dans ses yeux, quand je m'attarde à câliner un des tout petits?

Sans doute pense-t-elle au temps où elle était seule à la maison? Alors, je la prenais sur mes genoux, je la berçais, je la dorlotais ; je lui chatouillais le cou avec ma moustache…

Elle est trop grande maintenant et mes genoux sont assiégés de trop de convoitises.

Quand nous sommes seuls, tous les deux, je m'efforce de redevenir pour elle le papa de jadis. Elle devine ma pensée et elle aussi… vains effort ! Elle voudrait un papa qui ne gronde jamais, qui ne prêche jamais, qui ne pense qu'à rire, qui soit un peu fou, comme avec les autres. Mais elle est femme déjà et elle m'intimide. Moi, je voudrais une Solange naive, ingénue, confiante, abandonnée comme sont les autres, une Solange où je puisse lire à livre ouvert. Mais elle est déjà femme, et ses confidences, elle les garde.

Et nous demeurons, l'un devant l'autre, gênés, embarrassées, stupides, la gorge grosse de paroles, mais dont aucune ne se résoud à passer la première, le cÅ“ur gros de tendresses, mais trop lourdes pour que puissent les porter leurs ailes.

Quelle chose étrange que cette contrainte entre enfants et parents ! D'une part, la timidité, toute méfiance ; d'autre part, l'amour, toute confiance : comment ces deux sentiments peuvent-ils co-exister dans un même cÅ“ur ?

Au vrai, ils ne forment pas un excellent ménage. Comme tout ce qui est, ils s'efforcent vers un accroissement de leur être. Ce que gagne la timidité, l'amour le perd. Nous devons, papas, mamans, tenir notre vigilance en garde sur ce point. A nous la responsabilité de la cassure. Ce sont nos duplicités, nos mensonges, nos sautes d'humeur, nos injustices, qui troublent, choquent, déconcertent nos enfants et les font se recroqueviller. Leur simplicité se heurte à notre complexité. Nulle combinaison possible entre les deux éléments contraires.

Ce qui se passe en Solange, je le sais, car une vieille expérience d' enfant complète ma jeune expérience de père. Je tiens pour exprimées ses muettes déclarations d'amour, pour reçues les caresses qui au bord de ses lèvres, au bout de ses doigts, s'agitent prisonnières.

Mais, elle, la pauvre petite.

Ce que je devrais faire, ce que je devrais dire, le le sais bien : la prendre sur mes genoux, la bercer longtemps, comme je berce Antoinette ou petit Pierre, puis très doucement, à l'oreille « C'est toi ma fille, qui m'as sacré papa, toi qui as posé sur mon front l'auguste diadème, je garde en moi comme un trésor tes premières grimaces de nouveau-né, tes premiers gestes, tes premiers agissements, la première caresse de tes menottes ô joie ! - ton premier « Papa» - ô ravissement!

« Quand vintent, par la suite, tes soeurs et tes frères, ils ne furent que tes copistes et tes contrefacteurs. L'amour qu'ils me donnent n'est qu'un rappel de ton amour à toi. Tu fus le chant, ils sont l'écho. A toi, dans mon coeur, la première place.

« Mais - ne sois pas jalouse et tâche de me comprendre - Etienne aussi, qui vient de naître, occupe la première place dans mon cÅ“ur. N'est-il pas le plus besogneux, le plus grelet et guinguet ? Tes préférences à toi-même, n'est-ce pas vers les tout petits qu'elle se portent ?

…«A chacun la première place, et qu'est-il besoin de chercher des raisons ?

« Comme dit, avec une si belle assurance, mon diablotin de Mimi, quand une question l'embarasse.

«Pourquoi ?… mais parce que ! »

Et je devrais ajouter :

« Ne mets jamais en doute l'affection de ton papa. L'amour d'un papa, c'est un roc ; les petites filles peuvent s'y appuyer de tout leur poids sans craindre qu'il cède. Si parfois un de mes actes, une de mes paroles, t'inquiète et te désoriente, pense que je ne suis qu'un homme et, comme tous les hommes, ah! si ignorant, si empêtré, si maladroit, si balourd »

Mais par dignité paternelle, je dois m'interdire un pareil langage…
Par dignité paternelle ou par stupide orgueil ?

Le clown

Il est des époux qui ne veulent pas d'enfants parce qu'il leur faudrait renoncer au cinéma ou au théâtre. Je n'invente rien, je vous l'assure. Et pourquoi cette protestation même ? Toutes les raisons qu'on donne pour expliquer son horreur des enfants ne sont-elles pas de cette force ?

« La vie est tellement dure, expliquent-ils, notre tâche si monotone et si rude. C'est notre seul plaisir que ce spectacle du soir la seule occasion qui nous soit offerte de sortir de nous-mêmes ».

Venez chez moi, pauvres gens, je vous invite à une des représentations que nous offre petit Pierre avec une inspiration sans cesse en éveil et une verve toujours nouvelle. Vous me direz s'il est cinéma plus varié, théâtre plus captivant, que le spectacle donné par cet artiste de trente mois ?

Rien ne manque.

Le décor : ma maison où à chaque mur, chaque meuble, chaque objet familier s'accroche un souvenir heureux, comme à chaque cadre où sourit un portrait aimé s'accroche une branche fleurie.

L'assistance : pas d'inconnus qui vous éblouissent de leur luxe, qui vous heurtent de leur morgue, qui vous glacent de leur indifférence ; rien que des amis très chers, très sûrs, très tendres, ma Solange, ma Geneviève, mon Jean, ma Mimi. Trouvez-m'en des amis pareils !

La troupe : à la vérité cette troupe ne se compose que d'un seul acteur, mais c'est l'acteur préféré de l'assistance, son étoile, sa grande-vedette. Il ouvre la bouche et l'on s'esclaffe de confiance; il remue un bras ou une jambe et dans ce simple geste on trouve des sous-entendus pleins de drôlerie, une grâce piquante, une finesse allègre et déliée. Gratis est le spectacle. Que dis-je. De chaque représentation nous sortons plus riches. Riches d'avoir ri ensemble, de nous être attendris ensemble…

C'est l'heure du coucher. Les enfants sont réunis dans la salle de bain pour leur toilette !

On a commencé par François qui est le plus petit. C'est le tour de petit Pierre.

- Allons, petit Pierre, viens mon chéri, dit la maman.

Mais le chéri n'a pas envie de se coucher. Il se sauve à l'autre bout de la chambre.

La maman prend la voix la plus douce et renouvelle son invite. Cynique, petit Pierre se laisse tomber sur son derrière - pouf ! puis exécute une cabriole.

Papa, Solange, Geneviève, Jean, Mimi, éclatent de rire. La maman ne peut pas rire, car c'est son autorité qu'on bafoue. Elle ne peut pas rire, la malheureuse, et sa joie prisonnière court de l'une à l'autre de ses joues la contraignant à une horrible grimace.

Ravi de son succès, petit Pierre fait une seconde cabriole et c'est de nouveau l'hilarité, puis une troisième… Cette fois on rit encore, mais par politesse; le spectacle manque d'imprévu.

Petit Pierre cherche de l'inédit.

Il se met à quatre pattes, se rassied, se gratte le nez avec l'index, se tire les cheveux, sort un petit bout de sa langue rose et, le menton levé, montre l'objet à chacun des assistants.

Il fait le clown ! s'écrie Geneviève.

Petit Pierre la regarde, quêtant le sens du mot mystérieux. A défaut du mot, il a vite compris l'admiration peinte sur le visage de sa grande soeur.

Alors c'est de la haute fantaisie, du cocasse échevelé de l'inspiration frénétique.

Il est dans la même minute, le vent qui souffle, le chien qui aboie, le chat qui miaule, le train qui siffle, le tonnerre qui gronde; ses pieds se multiplient et le portent partout à la fois. Il bouscule Geneviève, arrache à Jean son ballon, le lance à la tête de Solange, se précipite vers sa maman qui déjà, étend les bras pour le saisir et - une pirouette - le voici là-bas caché derrière la baignoire.

Nul artiste n'a jamais approché de sa maîtrise; nul non plus n'a jamais recueilli pareils suffrages. On n'en peut plus autour de lui de rire, de rire. La maman elle-même ne résiste plus et se laisse entraîner au torrent…

Qu'est cela ? Oh ! rien du tout, une toute petite scène dans une maison, entre une maman, un papa et des petits enfants.

Rien du tout, à la vérité. Rien que tout le bonheur de la terre.









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