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De la sensibilité
Nous avons à parler maintenant de la sensibilité de l'enfant. Le sentiment, c'est la disposition que l'on éprouve à aimer ceci ou cela
L'enfant peut être porté invinciblement, par nature ou par hérédité, à aimer telle personne, tel objet, sa mère, sa bonne, ses jouets. Cependant, tous les sentiments ne sont pas innés, ils peuvent être le résultat d'une habitude, d'un enseignement, par exemple l'amour de la patrie. C'est-à-dire que l'enfant peut aimer d'instinct sa maison, son clocher, son village, le coin de pays où il habite, mais ce n'est que peu à peu, par habitude qu'il s'y attachera profondement, c'est par l'enseignement qu'il aimera l'histoire de son pays, connaîtra ses gloires, et en sera fier; c'est par comparaison qu'il appréciera les institutions de son pays plus que celles d'un autre, etc. Il y a donc là instinct, sentiment héréditaire, et aussi culture. Un évènement spécial, gloire ou désastre, peut aussi vivifier et exalter ce sentiment.
La sensibilité, si innée qu'elle soit, a besoin d'être à la fois encouragée et éclairée, car il ne faut pas se prendre aux mots, et tout n'est pas bon dans les émotions affectives ; l'enfant peut, livré à lui-même, les concentrer sur soi, les rapporter à des objets mesquins. Il y a en lui une force, celle de l'affection, de l'émotion, mais cette force très puissante, doit être dirigée, sous peine de tarir, de s'aigrir, ou de se porter sans règle et sans frein vers des objets divers ou des objets indignes, ce qui produit de l'éparpillement ou des ruines. Ici nous rencontrons un préjugé fort répandu : L'affection ne se commande pas ; les choses du cÅ“ur sont spontanées ; elles échappent à toute culture et à toute éducation. C'est une erreur ; il faut reconnaître seulement que l'éducation du cÅ“ur est plus difficile, plus délicate que celle de l'intelligence.
Ici plus qu'ailleurs, l'éducation est en même temps qu'une science, un art ; pour développer le cÅ“ur, il faut une main légère, beaucoup de tact, un grand coeur. Vous pouvez développer la mémoire ou l'attention de l'enfant par des exercices que vous lui ferez répéter longtemps ; vous pourrez lui faire faire des gammes pendant des heures pour assouplir ses doigts.
Mais quel exercice de cœur peut-on faire ?
Il faut plus qu'ailleurs de la patience ; il ne faut rien brusquer ni forcer. Suivant les caractères, le système affectif s'éveille plus ou moins tôt et plus ou moins complètement. Il ne faut pas forcer l'enfant à des manifestations qu'il n'éprouve pas. On peut et on doit habituer l'enfant à être poli, à dire bonjour, à tendre la main sans timidité, et à ne pas recevoir un service sans dire merci. Mais c'est une erreur de croire que l'on développe son cÅ“ur par des appellations mièvres : petit père, petite mère, petit bien-aimé, chouchou, chichi, chéri-fleur. Le petit chou-fleur est très capable de n'avoir ni affection, ni respect pour sa petite mère bien-aimée, et d'en faire sa très humble esclave. Cette mièvrerie, accompagnée d'intonations bêlantes, le langage chienchien, toutou, dada et lolo, peut parfaitement s'accompagner d'une certaine sécheresse et de beaucoup d'égoïsme ; et les diminutifs conservés jusqu'à un âge avancé peuvent conduire l'enfant à l'exaspération.
Eh bien, nous ne devons produire ni l'exaspération, ni la sensiblerie, qui n'a rien de commun avec le sentiment. Le sentiment est une chose profonde et forte. Généralement les enfants en ont. Mais il arrive qu'ils l'accompagnent d'une sorte de pudeur farouche ; beaucoup mettent à le dissimuler toute leur force de caractère: ils auraient honte de pleurer, ils ne veulent pas avouer leur émotion, et affirment que cela ne leur fait rien. Ce serait une psychologie bien superficielle que celle qui les prendrait au mot. On dit aussi communément que les enfants oublient vite, et cela est vrai des tous petits ; si leur bonne doit les quitter, la mère anxieuxe se demande si l'enfant n'en mourra pas ; et en effet l'enfant pleure. Cependant au bout d'un jour, il vous dira suavement : « Catherine
a plus
est partie
a Louise». C'est très vrai, l'enfant est superficiel. Mais songez combien d'objets, d'impressions se présentent à lui tous si attirants, si forts ; il va où il est sollicité et ne peut approfondir. Le contraire est vrai aussi, recueillez quelques souvenirs, demandez à quelques mamans et vous aurez bientôt une série de traits, d'anecdotes, prouvant que l'enfant se rappelle très longtemps, que certaines impressions de la première enfance - qui paraissent très fugitives - sont très tenaces.
Si même l'enfant oublie, nous pouvons dire que cela tient à son âge, à la faiblesse de son organisme, c'est presque pour lui une condition d'existence, (s'il devait passer par des secousses trop nombreuses et trop fortes, il ne vivrait plus), mais cela ne veut par dire que les facultés d'affection n'existent pas et ne deviendront pas puissantes.
Comme un enfant peut être sensible au chagrin des autres ! Si par exemple, il voit pleurer sa mère, il la caresse, il lui apporte ses joujoux, je te les donne pour toujours ! Sur ce l'enfant se laisse distraire.
Il faut donc ne pas lui demander d'exprimer ce qu'il n'éprouve pas, ni plus qu'il n'éprouve. Vous l'ameniez à une sorte de comédie, à remplacer le sentiment par une manifestation extérieure. Certaines émotions très vives chez les adultes n'existent qu'à peine pour les enfants qui ne sont pas encore murs pour cela : le sentiment de la nature, le spectacle de certaines infortunes dont l'enfant ne peut pas mesurer la profondeur : il ne faut pas vouloir qu'il sente comme nous. En revanche il ne faut jamais se moquer du sentiment de l'enfant. Nous l'avons déjà dit au point de vue intellectuel ; c'est encore plus vrai au point de vue du cÅ“ur.
Il faut toujours supposer le bien. Dire à un enfant : toi, tu n'as pas de cÅ“ur, c'est lui infliger, s'il en a, une blessure profonde et presque inguérissable; et s'il n'en a pas, une telle constatation ne lui en donnera pas. Il en prendra son parti. Encore bien moins que pour une chose intellectuelle, faut-il analyser le caractère de l'enfant devant lui, raconter combien il est sensible ou combien il l'est peu.
L'exemple est presque l'unique moyen d'action. L'enfant qui verra vivre autour de lui une famille unie, aimante, dans laquelle il verra une solidarité chaleureuse, une symphatie vraie, de la confiance, de l'expansion, le respect et le secours mutuel, agira comme il a vu agir. Si l'éducation des sentiments, l'éducation morale est difficile, elle peut en revanche compter sur un puissant appui : la contagion des sentiments. Un enfant qui est aimé, généralement aimera, et une émotion conduit à une autre. La sensibilité se développe et s'étend ; c'est le résultat et la récompense de l'exercice de toute faculté, mais de celle-là plus que de toute autre. C'est pourquoi lorsqu'on a ouvert le coeur de l'enfant à une émotion douce, on peut dire qu'on a tout gagné ; l'enfant environné d'une affection humaine, chaude et sainte, peut bien souvent être conduit par là à l'amour de Dieu.
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