Accueil
   

 

 

 

RECHERCHES
Rechercher un mot dans les articles:


Recherche avancée
• par mots
• par thèmes

ARCHIVES DE TOUS LES ARTICLES



AUTRES MENUS
ACCUEIL
ADRESSES
  • Adresses utiles
  • Bibliographie
  • Liens Internet
LE JOURNAL






Les « Entretiens sur l'éducation » est un mensuel publié sans interruption depuis plus de 100 ans.
Le site www.entretiens.ch vous offre la possibilité de consulter en ligne ces extraordinaires archives parcourant/ponctuant au jour le jour l'histoire de l'éducation familiale d'un bout à l'autre du XXème siècle.
La survie de la brochure mensuelle imprimée parallèlement à la distribution virtuelle à travers le site est le garant de la poursuite de cette aventure. La rédaction est assurée de façon bénévole par un groupe de parents passionnés par la réflexion et l'écriture autour du vécu familial. Les frais d'impression du journal et la gestion du site (100 000 pages demandées par mois??)....30.- par an (20€).
En dehors du grand intérêt pour vous de cette matière exceptionnelle, que vous soyez jeune parent, chercheur dans une université ou simplement intéressé par l'évolution des comportements humains, votre soutien par l'intermédiaire d'un abonnement nous est indispensable.
Pour les pays lointains et si vous ne désirez pas profiter de la version papier, un abonnement sous forme de pdf est accessible au même prix annuel de CHF 30. Il vous donne un accès complet aux archives
RETOUR

Souvenirs de mon enfance

Entre quatorze et seize ans, je passai par une phase pénible. Je me rendis insupportable à tout mon entourage et spécialement à mon père par ma manie de discuter. Je ne pouvais rencontrer quelqu'un sans traiter avec lui les questions du jour en un examen approfondi et raisonné et sans m'attacher à démasquer les erreurs de l'opinion et à faire triompher le vrai. La joie de rechercher la vérité et la raison me tournait la tête. Tout entretien devait aller au fond des choses. Sortant de la réserve où je m'étais jusqu'alors confiné, je devins le trouble-fête de toute conversation où l'on ne cherchait que délassement. Que de fois, à Mulhouse ou à Günsbach, l'entretien a pris, à table, par ma faute, une tournure fâcheuse! Ma tante me taxait d'irrévérence parce que je prétendais discuter avec les adultes comme avec des camarades. Quand nous allions en visite, mon père me faisait promettre de ne pas lui gâter la journée par quelque sotte intervention dans la conversation.
En réalité j'étais aussi insupportable que peut l'être un jeune homme à peu près bien élevé. Ce n'était pas simple manie d'ergoter. J'étais dominé par le besoin passionné de réfléchir et de rechercher par la discussion la vérité et les solutions rationnelles en toute chose…
Après cette fermentation tumultueuse, le vin se clarifia. Je suis resté ce qu'alors je devins. Je sentis nettement que ce serait me trahir moi-même que de renoncer à m'enthousiasmer pour tout ce que mes réflexions auraient reconnu vrai et rationnel. Sur ce point, je suis encore le raisonneur intraitable d'autrefois, à cette différence près que je cherche, dans la mesure du possible, à concilier ma passion avec les égards dûs aux autres, afin de ne pas les importuner. Je me suis plié à prendre part à des conversations qui ne sont que bavardages et à écouter, sans m'insurger, débiter des idées creuses. Ma réserve innée m'a aidé à revenir aux manières imposées par la civilité.
Mais que de fois je sens gronder une révolte intérieure ! Combien je souffre de nous voir, nous autres hommes, perdre notre temps en propos futiles au lieu de nous entretenir sérieusement de choses sérieuses et de nous montrer ce que nous sommes, des êtres pleins d'aspirations, de douleurs, d'espoirs et de foi ! Notre masque de civilité me parait presque criminel, et je me demande jusqu'à quel point le respect des convenances ne porte pas préjudice à la vérité…
Une ombre plana longtemps sur ma jeunesse par ailleurs si ensoleillée. Il y avait cinq enfants au presbytère de Günsbach, et les soucis d'argent n'y manquaient pas. Ma mère économisait par tous les bouts. Moi-même, à Mulhouse, je mettrais mon amour-propre à réduire autant que possible mes dépenses. Un jour d'automne, ma mère exprima l'avis que mon complet d'hiver était sans doute trop petit et qu'il m'en fallait un neuf: je refusai sa proposition. En réalité, il n'était plus mettable, et tout l'hiver je portai mon costume d'été en gabardine jaune. Ma tante me laissa faire; elle préconisait la méthode spartiate. Mais il était dur à ma vanité juvénile d'être classé par mes condisciples parmi les crève-la-faim et les miséreux, et je ne le supportais que pour épargner du souci à ma mère. ..
A cette époque mon père souffrait de maux d'estomac. Une crise de rhumatisme articulaire, due à un lit humide où il avait couché à Strasbourg, aggrava son état de santé. Des semaines et des mois de tristesse s'abattirent sur notre maison. Les yeux rougis de ma mère, à cette époque, resterons à jamais dans ma mémoire.
A l'époque de ma confirmation, la santé de mon père commença à s'améliorer. Il le dut pour une bonne part, au fait que nous échangeâmes le vieux presbytère humide et entouré de constructions contre une nouvelle demeure donnant sur un jardin ensoleillé.
Nos soucis d'argent devinrent avec le temps moins pressants. Une parente éloignée et sans enfants nous laissa sa petite fortune.
De la sorte, pendant les dernières années que je passai au lycée, le plein soleil revint éclairer la maison paternelle. Nous étions tous en bonne santé et la concorde régnait entre nous. Les rapports entre parents et enfants étaient des meilleurs, grâce à la compréhension que nos parents nous témoignaient en tout, même en nos sottises. Ils nous élevaient pour la liberté. Jamais, depuis que j'avais renoncé à ma manie de discuter, on ne sentit dans notre maison entre père et fils adulte, cette tension qui trouble le bonheur de tant de familles. Mon père était mon meilleur ami.
Nous appréciions comme une bonté spéciale de nos parents la permission d'emmener en vacances nos amis d'école jusqu'à ce que la maison fut bondée. Comment ma mère faisait pour venir à bout de tout ce travail supplémentaire, je me le demande encore.
Ma jeunesse fut donc particulièrement heureuse. Cette pensée ne cessait de m'occuper. Je me sentais écrasé sous le poids de ce bonheur, et je me demandais si j'avais le droit d'accepter ce don comme tout naturel.
Le droit au bonheur, voilà le problème qui pour ma vie intérieure, devint un événement aussi important que l'avait été dès mon enfance la compassion pour toutes les souffrances qui règnent dans le monde. Par leurs réactions réciproques, ce sentiment et cette question déterminèrent ma conception de la vie et fixèrent ma destinée.









www.entretiens.ch fait partie du réseau « NETOPERA - culture - société - éducation sur Internet » et pour la photographie PhotOpera - Uneparjour || DEI - Défense des Enfants - International
ROUSSEAU 13: pour allumer les lumières - 300 de Rousseau  ROUSSEAU 13: les IMPOSTURES - 300 de Rousseau - portraits déviés PHOTOGRAPHIE:Nicolas Faure - photographe d'une Suisse moderne - Le visage est une fiction - photographie de l'image brute - Laurent Sandoz - comédien et acteur professionnel - Genève